04/02/2019 - Elections
Municipales Marseille : Le compte à rebours a commencé

« D’après
toi, qui sera le prochain maire de Marseille ? » La
question se fait de plus en pressante auprès du journaliste
que l’on croit « bien informé ».
Depuis le début de l’année et avec une
accélération sensible, la municipale s’installe
comme l’échéance première. La loi NOTRe,
après les lois décentralisation diverses et variées,
a pu déshabiller Monsieur le Maire de beaucoup de ses
prérogatives et de ses moyens, le fauteuil du premier
magistrat reste prestigieux, il est celui de la plus forte
personnalité de la Cité, tant au plan politique que
symbolique. Alors que dans le même temps nous n’avons
aucune assurance sur l’élection au suffrage direct de
ceux qui décident, à la métropole.
Et
les Marseillais ont raison de se focaliser sur ce scrutin. Au soir
des municipales, en mars 2020, quand les dépouillements
révéleront un nouveau visage de la France profonde,
trois villes, celles du PLM, seront dans le focus des commentaires.
Paris qui est toujours pour le pouvoir en place, ou un allié
ou une place de reconquête pour l’adversaire, Lyon sauf
cataclysme restera lyonnaise, mais Marseille sera dans le
collimateur, La fin des années Gaudin, 24 longues, trop
longues années, l’intérêt, l’affect
affiché du Président de la République pour la
Cité phocéenne, l’engagement de la France
insoumise, le risque du Rassemblement national vont attirer tous les
médias. Et le basculement, ou non, vers la majorité
présidentielle de Marseille sera un des événements
majeurs du quinquennat.
Or
donc, peut-on à 14 mois, prévoir quoique ce soit ?
Certainement pas.
Et
je vais analyser pourquoi. Par contre au lieu de suivre l’écume
des jours, je vais présenter mes cinq clefs pour ce scrutin
hors normes.
- Tout peut changer et vite
- La tectonique des plaques
- Citoyen, a voté… citoyen a fuité…
- Une tragédie grecque
- Une histoire d’amour
Tout peut changer et vite
Certains
croient encore aux trajectoires linéaires, aux courses
tranquilles et balisées, aux desseins venus de loin. Le temps
politique s’est redoutablement accéléré.
Nous
sommes à 14 mois des municipales. Souvenez vous à 14
mois des présidentielles Emmanuel Macron était encore
ministre et déclarait sur Europe 1 : "Bien sûr
que je souhaite que François Hollande soit candidat". En
quelques mois les présidentiables se sont enlisés uns
après les autres, les sondages ont fait du yoyo et chaque
épisode a laissé sur le bord de la route ses victimes
du jour. Le temps médiatique fait son œuvre et peut à
tout moment chambouler toutes les stratégies et tous les plans
de communication. Nous venons de le vivre à Marseille.
Lorsqu’ils se sont lancés, à pas feutré,
dans la compétition, Martine Vassal comme Bruno Gilles se sont
abrités sous le parapluie Gaudin revendiquant un parrainage,
un héritage, une succession tranquille.
Arrive
l’effondrement de la rue d’Aubagne et ce lien devient
vite embarrassant, sortent comme par miracle des plans de résorption
de l’habitat insalubre et l’on n’est pas loin du
devoir d’inventaire. L’ombre de Jean Claude Gaudin est
devenue en quelques semaines une malédiction.
C’est
un exemple, il y en aura d’autres, car la médiatisation
ultrarapide, les possibilités de réaction hors des
canaux officiels ou filtrés, font que chaque événement
génère immédiatement un effet dévastateur.
Ajoutons qu’à Marseille plus qu’ailleurs le siège
municipal se conquiert et ne s’hérite pas. La cité
phocéenne n’a jamais connu de maire adoubé par
son prédécesseur, de passage tranquille de relais, de
continuité programmée.
La
tectonique des plaques
La
chronique politique s’est installée dans ce prologue
comme si la partie se jouait au sein des Républicains, dans la
lignée du maire sortant. C’est oublier un peu vite la
géopolitique marseillaise. Le maire a cartonné en 2014
avec 38 % des voix, mais aux présidentielles François
Fillon fait moins de 20 % à Marseille. Ceux qui sont
tacitement ou explicitement en lice Renaud Muselier, Martine Vassal,
Valérie Boyer ou Bruno Gilles se disputent un territoire
étroit qui représente au mieux le quart des votants.
En
fait Marseille compte 500 000 électeurs. Environ 370 000
viennent voter. Et l’électorat se distribue en quatre
blocs de + ou - 80 000 voix.
- La
droite extrême avec le Front national aujourd’hui
rassemblement national,
- L’extrême
gauche, orpheline du parti communiste et qui se reconstruit avec la
France insoumise plus une poussière de voix sur les
formations trotskistes.
- Une
gauche avec un centre gauche que Gaston Defferre a longtemps
incarnée
- Une
droite et un centre droit qui fut le pré carré que
Jean Claude Gaudin a su conquérir et labourer.
Donnée
marseillaise : jamais les formations centristes, un peu à
gauche, ou un peu à droite n’ont perduré et
finalement toutes les tentatives pour structurer un centre se sont
traduites par une attraction aimantée vers un pôle de
droite ou de gauche. Par contre l’électeur marseillais
ne cautionne pas cette polarisation fruit du mode de scrutin et a
marqué sa préférence pour ceux qui rassemblent
au centre.
Géographiquement
ces quatre blocs de 20 % se sont cristallisés sur les
territoires avec aux cours des 20 dernières années deux
mutations.
- Au
Nord, le FN/RN qui a commencé par prospérer
dans la foulée de la droite au sud, est devenu l’expression
des quartiers nord avec la conquête d'une mairie de secteur et
des scores puissants dans les 13-14-15-16e arrondissements. Les
socialistes brillamment représentés par Gibrayel et
Andrieux y ont apporté une contribution historique. Il s’est
installé un face-à-face durable et glaçant
d’une moitié de la population qui ne veut plus vivre
avec l’autre.
- L’est
de Marseille fut longtemps une réserve du Parti socialiste.
Un socialisme conservateur que la dynastie Masse faisait fructifier.
Or ces quartiers ont basculé à droite, entre extrême
droite et droite dure, grâce à une habile politique de
logement, un découpage savant et un glissement de la
population d’un clientélisme à un autre.
Face
à ces données, de la dure géopolitique, on voit
toute la difficulté de l’exercice des candidats Exercice
difficile à droite où aucun leader, pour l’instant,
ne s’installe naturellement. Difficulté pour le parti
présidentiel qui a profité largement du délitement
du parti socialiste, mais qui devra d’abord conquérir et
consolider son bloc de 20 % pour avoir droit à la parole.
Citoyen,
a voté… citoyen a fuité…
La
clef de l’élection est donc d’abord dans la
capacité de chaque camp à mobiliser ses électeurs
potentiels. Chaque victoire électorale est en général
une victoire par défaut. N’imaginons pas des milliers de
citoyens passant d’une opinion à une autre ou
inversement. La victoire tient dans la capacité du leader à
faire d’abord se lever son camp et ses sympathisants
potentiels, à les emmener dans l’isoloir et à
choisir le bon bulletin. Le résultat final est la résultante
de ces mobilisations ou démobilisations partisanes.
- Par
exemple le FN/RN l’a emporté en 2014 dans les 13 14es
parce que les Républicains et les socialistes se sont
maintenus au second tour et ont sciemment produit une triangulaire
dans laquelle le vote pour le socialiste n’a pas dépassé
les 32,52 % sans faire le plein des voix de gauche alors que
Stéphane Ravier avait peu progressé (moins de 3 points
entre les deux tous). Même phénomène de
démobilisation dans le 1-7 secteur ancré à
gauche et qui voit Dominique Tian atteindre les 40 % alors que
Patrick Menucci plafonne à 40 % avec 40 %
d’abstention et 3 % de bulletins nuls.
- Un
avocat, observateur avisé de la politique marseillaise
m’invitait à compter les bateaux qui quittent le vieux
port pour savoir si l’électorat de beaux quartiers,
plutôt à droite avait choisi l’urne ou la voile.
Je ne ferai pas de ce « comptage » une donnée
scientifique, mais le nombre total de votants dans les
circonscriptions marquées d’un côté ou de
l’autre donne souvent la tendance du résultat final.
- Encore
un exemple, Bernard Deflesselles est sorti gagnant des dernières
législatives dans la 9e circonscription d’Aubagne,
malgré une vague En Marche qui a emporté nombre de ses
collèges. Il a lui même rapporté que c’est
en utilisant les bases des électeurs des primaires de la
droite (et pas en prêchant tous azimuts) qu’il a pu
convaincre, un à un, ses électeurs naturels de se
déplacer malgré le blues général de la
droite après la chute de la maison Fillon. Il a ainsi sauvé
un siège improbable.
Ce
phénomène du choix par abstention glissante, massif,
n’exclut pas les changements durables et profonds d’opinions
dont j’ai parlé dans la « tectonique des
plaques ». Mais il donne une clef de lecture : qui
fera se lever son camp, et qui désespère ses partisans
(qui vont rester à la maison). C’est la question pour
les Républicains en panne de leadership. Mais c’est une
question encore plus ouverte pour la République en Marche qui
n’a pas encore un socle solide construit avec un parti et des
personnalités locales reconnues sur le terrain.
Une
tragédie grecque
Le
scrutin municipal nous l’avons écrit en préambule
est la mère des batailles à Marseille. Quand les
combats se crispent, quand les affrontements s’aiguisent, quand
le ton monte et que l’avenir est suspendu à un dimanche
de printemps, l’atmosphère de la Canebière et du
Vieux port devient électrique, magnétique, survoltée.
Le jeu politique est ici une dramaturgie antique qui obéit
presque aux trois unités de temps, d’espace et d’action.
Une tragédie qui verra un seul acteur triompher et l’autre
sombrer.
Le
jeu politique phocéen n’est pas commun. À Aix en
Provence, on peut penser à une commedia Dell’arte avec
ses masques et bergamasques ses alliances incongrues et éphémères,
ses retournements comiques ou dérisoires et ses comédiens
détonants.
On
ne s’essaie pas à Marseille, on ne fait pas un tour de
piste, l’engagement de l’homme politique qui prétend
diriger cette ville doit être total car il sera fatal, celui
qui perd se relève rarement. Les ingrédients de la
tragédie grecque sont là : le chœur, les
citoyens de Phocée qui approuvent, réprouvent,
commentent, les deux ou trois acteurs pas plus, nous disent les
hellénistes, qui tiennent le devant de la scène :
le protagoniste, premier rôle, le deutéragoniste,
deuxième rôle et le tetragoniste, troisième
rôle !
Par
jeu, faites l’effort de vous remémorer les municipales
marseillaises
que vous avez en tête, au rythme de la tragédie
classique.
- Deux
lieux distincts ont deux fonctions distinctes : les personnages
dialoguent sur le proskénion et le chœur évolue
sur l’orchestra
- Le
Prologue expose les faits
- Le
Parodos marque l’entrée du chœur
- Puis
alternent les Épisodes (les personnages jouent faisant
avancer l’action) et les Stasimons : (le chœur
chante, commentant l’action)
- Enfin
l’Exodos signe le dénouement et la sortie du chœur.
Aujourd’hui
nous abordons le prologue. Tout le livret s’écrira sous
vos yeux.
L’intérêt
de ce détour par le tragique est de sélectionner les
candidats, ceux qui passent, qui hésitent, qui veulent sans
vouloir, ou testent, ne monteront pas sur le « proskénion ».
La
détermination doit être totale pour mériter la
ville et l’acteur doit y jouer tout son avenir politique.
Une
histoire d’amour
Corneille
nous donne les clefs de la suite :
« Que
dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le
cœur, l’échauffe et le remue.
(...)
Le
secret est d’abord de plaire et de toucher :
Inventez
des ressorts qui puissent m’attacher. »
Au
risque de désespérer ceux qui rédigent des
programmes et croient à l’empreinte du faire, l’élection
est ici un choix humain, L’électorat marseillais jauge
et juge l’homme ou la femme, il scrute autant et plus le
comportement que la promesse. Il veut du répondant, de la
résistance, de la force. Cette ville ne se donne pas, elle se
prend. Et c’est bien une histoire d’amour qui se tisse.
Le candidat devra aimer les gens et apporter la preuve de son amour.
Qu’importe la forme, il faut une légitimité
puissante pour entrer à l'hôtel de ville.
Un
vieil acteur quitte la scène d’autres vont tenter de
ravir le siège. Leurs propositions seront discutées,
leurs programmes bien léchés, leurs équipes
actives, mais, in fine, les Marseillais vont choisir celui, ou celle
qui saura témoigner de son amour et envoyer des preuves
d’amour.
Christian Apothéloz
Observateur engagé
Rappel : Résultat premier tour des présidentielles
à Marseille 2017
CANDIDATS |
VOIX |
VOIX (%) |
Jean-Luc
MÉLENCHON |
90 847 |
24,82 % |
Marine LE
PEN |
86 633 |
23,66 % |
Emmanuel
MACRON |
74 823 |
20,44 % |
François
FILLON |
72 516 |
19,81 % |
Benoît
HAMON |
19 417 |
5,30 % |
Nicolas
DUPONT-AIGNAN |
11 026 |
3,01 % |
Nombre d'inscrits |
500 296 |
Nombre de votants |
372 905 |
Taux de
participation |
74,54 % |
Votes blancs (en %
des votes exprimés) |
1,33 % |
Votes nuls (en %
des votes exprimés) |
0,50 % |
|