Ego sum : le protestant

Attention au mur en “toc”

par | 10 février 1997

Jack Nicholson nous livre à tra­vers son der­nier film une jolie para­bole, pour­vu que l’on veuille la lire. Dans “Pour le pire et pour le meilleur”, il incarne avec maî­trise un écri­vain de romans roses, Melvin Udal, homme par­fai­te­ment orga­ni­sé, à la vie quo­ti­dienne d’une rigou­reuse logique. Chez lui, tout est ordon­né, clas­sé, propre. Tellement orga­ni­sé qu’il consulte un psy­chiatre à pro­pos de ses “troubles obses­sion­nels du com­por­te­ment”, ses TOC. Son voi­sin, un artiste homo­sexuel, la ser­veuse du bar qu’il fré­quente ne sont qu’accessoires dans cette vie. Jack, alias Melvin, trans­porte ses cou­verts sté­ri­li­sés, fuit tout contact phy­sique avec les gens, évite les fis­sures du trot­toir, repousse toute incur­sion dans son inté­rieur, écrit savam­ment sur l’amour, épie les autres et lâche des remarques dont la féro­ci­té n’a d’égal que la per­ti­nence. Et ce para­no (Paranoïa : sur­es­ti­ma­tion patho­lo­gique du moi), va peu à peu subir les incur­sions de l’autre dans sa vie. Le réa­li­sa­teur, James L. Brooks, le contraint à ouvrir sa porte, à sor­tir de chez lui, à tou­cher l’autre, et même à connaître l’amour… la jalou­sie et le bon­heur partagé. 

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Passons sur l’improbable hap­py end de tout film amé­ri­cain, pour nous inter­ro­ger sur le sens véri­ta­ble­ment para­bo­lique de ce film. N’avons-nous pas nos propres tocs, qui nous pro­tègent des autres.
Oh bien sûr, nous avons des ali­bis en béton. Nous ne devons pas nous lais­ser enva­hir, nous avons une vie bien pleine, nous orga­ni­sons notre quo­ti­dien. Mais en même temps, nous nous bar­ri­ca­dons contre l’autre, soyons clairs, contre l’emmerdeur, celui qui dérange ce petit édi­fice confor­table. Celui qui a envie de par­ler quand je suis concen­tré, celui qui qué­mande un regard quand j’ai envie de lire, celui qui est là quand je veux être seul, celui que j’évite car je suis pressé. 

Je l’avoue, à y regar­der de près, j’ai aus­si mes tocs. Ces petits gestes qui sont autant de pro­tec­tions, fal­la­cieuses. Ces petits gestes, ce mur, qui fait que le pro­chain reste loin­tain, jusqu’à ce qu’un évé­ne­ment, une révé­la­tion, une grâce y ouvre une brèche. L’homme libre n’a alors plus besoin ni de murs, ni de tocs, il ne se pro­tège plus ni de lui, ni de l’autre, il peut alors vivre et pardonner.

Christian Apothéloz