Jack Nicholson nous livre à travers son dernier film une jolie parabole, pourvu que l’on veuille la lire. Dans “Pour le pire et pour le meilleur”, il incarne avec maîtrise un écrivain de romans roses, Melvin Udal, homme parfaitement organisé, à la vie quotidienne d’une rigoureuse logique. Chez lui, tout est ordonné, classé, propre. Tellement organisé qu’il consulte un psychiatre à propos de ses “troubles obsessionnels du comportement”, ses TOC. Son voisin, un artiste homosexuel, la serveuse du bar qu’il fréquente ne sont qu’accessoires dans cette vie. Jack, alias Melvin, transporte ses couverts stérilisés, fuit tout contact physique avec les gens, évite les fissures du trottoir, repousse toute incursion dans son intérieur, écrit savamment sur l’amour, épie les autres et lâche des remarques dont la férocité n’a d’égal que la pertinence. Et ce parano (Paranoïa : surestimation pathologique du moi), va peu à peu subir les incursions de l’autre dans sa vie. Le réalisateur, James L. Brooks, le contraint à ouvrir sa porte, à sortir de chez lui, à toucher l’autre, et même à connaître l’amour… la jalousie et le bonheur partagé.
Passons sur l’improbable happy end de tout film américain, pour nous interroger sur le sens véritablement parabolique de ce film. N’avons-nous pas nos propres tocs, qui nous protègent des autres.
Oh bien sûr, nous avons des alibis en béton. Nous ne devons pas nous laisser envahir, nous avons une vie bien pleine, nous organisons notre quotidien. Mais en même temps, nous nous barricadons contre l’autre, soyons clairs, contre l’emmerdeur, celui qui dérange ce petit édifice confortable. Celui qui a envie de parler quand je suis concentré, celui qui quémande un regard quand j’ai envie de lire, celui qui est là quand je veux être seul, celui que j’évite car je suis pressé.
Je l’avoue, à y regarder de près, j’ai aussi mes tocs. Ces petits gestes qui sont autant de protections, fallacieuses. Ces petits gestes, ce mur, qui fait que le prochain reste lointain, jusqu’à ce qu’un événement, une révélation, une grâce y ouvre une brèche. L’homme libre n’a alors plus besoin ni de murs, ni de tocs, il ne se protège plus ni de lui, ni de l’autre, il peut alors vivre et pardonner.
Christian Apothéloz