Article paru dans le magazine mensuel régional protestant Échanges.
46 ans, marié, journaliste, actif dans sa ville de Marseille, Christian Apothéloz ne met pas son protestantisme dans sa poche. Et pourtant, pendant 20 ans, il a oublié Dieu, et n’est revenu à la foi que très récemment. Questions sur un itinéraire.
Vous avez eu une éducation protestante ?
Oui, j’ai suivi le catéchisme, je suis passé par le scoutisme et les clubs de jeunes de la fin des années soixante. J’étais très engagé et je crois que certains conseillers presbytéraux m’auraient bien vu pasteur !
Et pourtant, vous vous éloignez de l’église…
Je suis né avec le milieu du siècle et mai 68 m’a beaucoup marqué. J’ai perdu le fil avec ceux qui avaient accompagné mon adolescence protestante. Je n’ai jamais eu de contact avec des étudiants protestants, j’ai un moment fréquenté les jécistes et la paroisse étudiante catho… Et je me suis éloigné de la foi. Je me suis engagé avec conviction dans les mouvements sociaux et politiques de l’après mai 68, le PSU, puis le maoïsme. J’avais un système d’explication du monde où Dieu n’avait plus sa place. Je croyais en l’homme, en son devenir, en sa capacité à se transcender.
Qu’est-ce qui vous a fait changer de chemin ?
Ce fut très long. Avec les années quatre-vingt, l’échec de nos grands projets de transformation de la société est devenu patent. Et puis, le rideau s’est levé sur les pays que l’on croyait délivrés de l’exploitation, comme la Chine. Un monde, s’est effondré, les références ont chaviré. J’ai choisi alors d’être plus témoin qu’acteur. Comme le disait Jean Lacouture, “Nous étions des journalistes militants, nous sommes devenus des militants du journalisme”.
Ce n’était pas encore le chemin de la foi…
Non, il fallait digérer l’échec, admettre mes limites, les limites de l’homme. J’avais été de ce courant, symbolisé par Frères du monde, et Jean Cardonnel, qui magnifie tellement l’action humaine que l’on se croit, individuellement et collectivement capables d’absolu. Il faudra des événements personnels qui me bousculent, des chocs pour que je regarde le monde et l’homme avec plus d’humilité.
Devenir humble, c’est une condition pour croire ?
Il faut avoir conscience de ses limites, il faut accepter de dire, “je doute”, accepter de ne pas savoir, accepter de s’en remettre à Dieu. Sans pour autant renoncer à faire, à agir, à vivre un effort collectif. Mais en reconnaissant que tout homme porte en lui le bien et le mal, qu’il est capable du pire, comme du meilleur.
Est-il facile de revenir dans une église que l’on n’a pas fréquentée depuis sa jeunesse ?
J’ai d’abord repris contact avec mon ancien pasteur, Louis Spiro, un homme d’une grande jeunesse, il avait plus de 80 ans, qui m’a parlé de lui pour me parler de moi. Puis je suis retourné à un culte dans les Alpes. Une petite paroisse, un pasteur inspiré. Ce premier pas m’a incité à faire le second. Je suis allé au temple de Grignan à Marseille. Et je suis tombé sur un culte avec baptême d’adulte, une salle comble, une cérémonie émouvante. Après, j’ai pris contact et je prends peu à peu place dans la vie de l’église. Mais j’avoue que si j’étais tombé sur un culte à l’assistance famélique, aux psaumes cacophoniques et à la prédication hasardeuse, je ne répondrais peut-être pas à vos questions ! Connaissant aujourd’hui mieux nos paroisses, je crois que Dieu m’a tenu la main !
Vous sentez-vous intégré maintenant ?
Surtout pas ! Je me sens bien dans le protestantisme, dans cette manière d’être qui nous fait toujours nous interroger. Mais je veux garder ce regard de l’extérieur, le regard de celui qui est un peu dehors. Cette attente que j’avais, ce questionnement, cette quête de sens, sont partagés par nos contemporains. Comment y répondre si nous ne sommes pas plus ouverts, plus attentifs, au sens de celui “qui attend l’autre”, plus “ententifs”, comme on disait en ancien français.