Le protestantisme est présent à Marseille depuis près de 450 ans. On connaît la forte présence en Lubéron des Vaudois, ces disciples du bourgeois lyonnais Pierre Valdo, qui en 1170 vendit tous ses biens pour fonder “Les pauvres de Lyon”. Protestants avant la lettre, ils refusaient la corruption du clergé, l’autorité de Rome, se référaient aux seuls textes bibliques… Ils furent tolérés dans les Alpes du Sud, puis persécutés, notamment par Meynier d’Oppede, président du Parlement d’Aix qui fit massacrer 4 000 Vaudois, détruire 22 villages du Lubéron en 1545 et condamna 660 personnes aux galères.
La première présence protestante reconnue à Marseille date de 1538, avec un pasteur du nom de Recamis. Marseille ne célébrera pas la Saint Barthélémy par des massacres comme Lyon, mais la ville est majoritairement soumise à la tradition catholique. Même avec l’Édit de Nantes, Marseille n’a pas le droit d’avoir un lieu de culte. Le Parlement d’Aix autorise l’ouverture d’un temple à… Velaux. Les protestants vivent dans une semi-clandestinité, aggravée à la révocation de l’Édit de Nantes, avec les persécutions conduites par Monsieur de Grignan et ses dragons.
C’est l’essor du commerce qui va faire grandir la communauté protestante de Marseille. Le port franc attire des hommes d’affaires des pays protestants : Suisse, Allemagne, Hollande, Danemark. La peste décime en 1720 les petits métiers, on vient du Languedoc, du Dauphiné, des vallées “vaudoises” des Alpes.
À la fin de l’Ancien régime, le haut capitalisme marseillais est protestant, mais sans avoir droit à une représentation dans les instances officielles, de la ville ou de la Chambre de commerce. La situation bascule avec le XIX° siècle. L’Édit de tolérance de Louis XVI, la Révolution d’avant le culte de l’Être suprême, puis le Concordat permettent aux protestants de faire surface. En 1792, l’Église réformée loue à la municipalité l’Église de la Mission de France, rue Tapis vert et y installe le premier temple de Marseille. Temple provisoire qui ferme avec le culte de la Raison. Le Concordat permet à nouveau en 1801 aux réformés d’organiser leur culte publiquement. Un temple est inauguré dans une salle louée au 10 rue Venture. En 1825, les protestants bâtiront leur propre église rue Grignan, puis pourront organiser leurs paroisses librement dans toute la ville. La liberté de culte retrouvée permet aux protestants d’élargir leur audience. Aux armateurs et commerçants, s’ajoutent des ingénieurs (L’ingénieur Franz Mayor Montricher qui construit le canal de Marseille est réformé.), des avocats, des professeurs.
De nombreuses œuvres sociales voient le jour : orphelinats, maisons de retraite et l’infirmerie protestante qui deviendra l’hôpital Ambroise Paré.
Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, cette population protestante joue un rôle économique important. Les chefs d’entreprises protestants sont présents dans les industries marseillaises de transformation : huileries (Cordesse), brasseries (Phœnix, Marx, Zénith…) dans la savonnerie, dans la chimie et dans la banque avec la SMC (de Cazalet). Ils sont influents à l’Union patronale.Le protestantisme ne se limite pas à la HSP, (la haute société protestante), son implantation, son action dans la ville lui donnent un enracinement bien plus large.
Le protestantisme marseillais est donc un protestantisme “d’immigration”, des suisses, (l’église protestante suisse avait sa propre structure, devenue Centre Guillaume Farel), des Vaudois du Piémont, des Cévennes (comme Gaston Defferre). Une tradition. Aujourd’hui, par exemple, la communauté malgache protestante est très active et apporte foi et dynamisme à l’Église.
Avec la crise de l’économie portuaire phocéenne, avec l’éclatement des grandes familles, cette visibilité du protestantisme marseillais a disparu. Il demeure une communauté très diverse qui réfléchit collectivement à sa foi, à son rôle, à son action. Une communauté qui doit toujours se réformer.
Christian Apothéloz