Article paru dans Réforme, hebdomadaire protestant.
Vous croyez connaître les Cévennes ? Oubliez tout ! Et visitez le nouveau Musée des vallées Cévenoles de Saint Jean du Gard.
Tout commence au pied d’un grand escalier monumental à double circonvolution, rue de l’Industrie. Vous êtes à l’ombre des platanes centenaires devant la plus ancienne filature industrielle des Cévennes et la dernière qui ferma ses portes en 1965. C’est aujourd’hui un espace muséal, une encyclopédie vivante de ce que furent et de ce que sont devenues les Cévennes.
Après 48 marches, le visiteur est attiré par les 25 mètres de briques rouges de la cheminée, la dernière de la cité gardoise, et il entre dans un univers de découvertes. Le fondateur du musée, Daniel Travier a conçu ce parcours initiatique autour de quatre vecteurs identitaires : le fait religieux, le pays construit, le châtaignier, la soie. Chaque pas, chaque objet, chaque bibliothèque, chaque vitrine, chaque cabinet de curiosités, renvoie à ces quatre racines cévenoles.
Le fait religieux est bien connu ! Le protestantisme a trouvé ici une terre d’élection, de résistance et… de répression. Mais le fait religieux est aussi dans ces vallées un catholicisme, présent et actif que le musée restitue. Si la voix de Luther ou de Calvin résonne dans les vallées, c’est peut-être, explique Daniel Travier parce que le paysan cévenol a travaillé dur pour construire ce paysage rural, parce que chaque arpent a été remué, labouré, restructuré en bancels et a donné du fruit. Peut-être aussi parce que chaque paysan s’est fait artisan et que les routes des Cévennes mènent aux grandes foires de Beaucaire ou d’Alès : les biens, l’argent s’y échangent et les idées circulent. Ce pays s’est construit pour maîtriser l’eau, celle qui manque et qu’il faut canaliser et celle qui détruit ponts et récoltes lors des grands orages. Dans cette confrontation, rugueuse, à la nature, le Cévenol s’est forgé un caractère qui trouve dans la Réforme, dans son salut individuel, une expression qui correspond à son histoire.
L’arbre à pain est l’arbre identitaire des vallées par excellence. Pendant 1 000 ans, chaque habitant s’est nourri au moins une fois par jour d’un produit dérivé de la châtaigne. Mais la châtaigneraie n’était pas cette épaisse forêt noire, paradis des sangliers et des fougères d’aujourd’hui. C’était un verger lumineux et verdoyant, irrigué, entretenu et le ramassage, la conservation, le traitement, le négoce de la châtaigne étaient une activité artisanale, vitale, dont on retrouve à Maison Rouge les outils, les gestes, les témoignages.
Moins visible est la fortune que « l’arbre d’or » apportera au XIXe siècle au pays. Le mûrier nourrit le ver à soie et son élevage est une activité familiale jusqu’au milieu du XIXe siècle. On incube, on couve le ver, on le nourrit quatre fois par jour, on surveille sa mue, puis le transporte dans la magnanerie. Ces bâtiments aux fenêtres étroites où sur des claies, le ver grandit dans un univers tempéré et propre. Pour devenir cocon, le ver insatiable va consommer une quantité phénoménale de feuilles de mûrier blanc : à la fin du XVIIIe plus de 400 000 mûriers ont été plantés dans les vallées. Les préceptes de l’agronome, moderne et protestant, Olivier de Serres sont suivis et appliqués. La production du fil de soie, le dévidage qui permet de tirer 400 à 1 500 mètres de fil d’un cocon se fait à la maison et le fil se vend auprès des négociants lyonnais. C’est une activité « artisanale » dans une vallée « industrieuse ».
La révolution technique vient avec le procédé Gensoul. En 1807, ce spécialiste lyonnais de la sériciculture, propose de modifier la filature de la soie grâce au chauffage des bassines d’eau par la vapeur pour étouffer les cocons, procurant ainsi un gain de temps, de personnel et de combustible aux propriétaires, tandis que la fibre est plus régulière.
À Saint Jean du Gard, les familles bourgeoises comprennent vite l’intérêt de cette industrialisation. Le travail final le filage, celui qui produit de la valeur et se négocie avec les Lyonnais se fait en entreprise, dans ces bâtiments de brique rouges aux vastes et hautes baies vitrées dont un grand nombre est aujourd’hui à l’abandon. En 1856, à Saint Jean du Gard, sur une population de 4 450 habitants, 1 090 femmes et 150 hommes travaillent la soie dans 23 filatures. Dans la seule Maison Rouge 150 femmes sont à l’œuvre. C’est l’émergence d’un prolétariat féminin qui travaille dur dans des conditions pénibles : la vapeur, la chaleur, l’odeur, les longues journées, la surveillance pointilleuse. Les femmes ne doivent pas se parler et le contremaître veille au grain, mais elles peuvent chanter, des chants profanes parfois, mais souvent des cantiques du Réveil et des psaumes.
Daniel Travier a pu sauver de la casse une des dernières grandes filatures à vapeur qui témoigne de cet essor industriel. Les Cévennes sont alors au milieu du XIXe siècle ce qu’on appelle aujourd’hui un cluster : les entreprises pourraient être en concurrence mais elles coopèrent car elles ont les mêmes fournisseurs : les paysans qui cultivent le mûrier et les mêmes clients : les soyeux lyonnais.
Le musée restitue pièce à pièce cette aventure industrielle. Chacun des 10 000 objets présentés (sur 30 000 en tout) parle, il a une histoire, une justification précise, scientifique. Depuis 50 ans Daniel Travier collecte auprès des familles, dans les greniers, lors des ventes aux enchères, tout ce qui fait mémoire du quotidien, du terroir. Tout ce qui peut redonner la conscience et la fierté de son histoire aux habitants.
La muséographie moderne qui marie le châtaignier et le béton ciré, le bâtiment nouveau, habillé de pierres sèches, qui pousse les murs de la filature pour offrir 2 500 m² d’exposition font de Maison Rouge* un ancrage dans le passé, mais aussi un pont vers l’avenir des vallées cévenoles.
Christian Apothéloz
* Le Musée des vallées cévenoles est géré par Alès Agglomération et représente un investissement de 13 millions d’euros.
Maison Rouge – 5, rue de l’Industrie, 30270 Saint-Jean-du-Gard Tél. : 04 66 85 10 48
www.maisonrouge-musee.fr
Pour poursuivre la réflexion le visiteur pourra se plonger dans les écrits de Patrick Cabanel et dans le livre « Saint-Jean du-Gard, Terre de Liberté » de Nelly Duret qui vient de sortir.