Je ne t’entends plus mon église.
Chaque matin que la radio réveille,
Le monde me saute à l’oreille
Apportant sa rengaine des grandes injustices et des petites complaisances.
Un Pdg américain gagne 531 fois le salaire d’un col bleu.
Un Pdg français du Cac 40 gagne en moyenne 140 fois le smic.
Au nom de quoi, un homme peut-il valoir 150 fois un autre ? Quelle échelle de valeur faut-il adopter pour mesurer de tels écarts ? Et la situation s’empire. Le nombre de millionnaire en dollars augmente cette année de 3 % et l’écart se creuse chaque année, sans parler des différences entre les pays.
Et mon église s’en satisfait, comme s’il ne fallait pas choquer les derniers vestiges de la HSP.
Je n’admets pas qu’un Pdg, si intelligent soit-il, et je ne dénigre pas son travail, mérite 150 fois mon pasteur ou mon facteur.
Mon église se tait, mon église est molle.
Le Proche Orient voit naitre les premiers bantoustans du XXI ° siècle. Un peuple suicide ses enfants pour survivre, une armée, la plus moderne du monde, dresse un nouveau mur de la honte, les résolutions de l’Onu, les investissements de l’Europe, le travail de nos Ong sont bafoués.
Et mon église s’en satisfait, elle appelle gentiment à la fraternité, elle « équilibre » ses positions comme s’il ne fallait pas ébrécher le dialogue judéo-chrétien.
Je n’admets pas qu’au nom d’un génocide, on nie les droits d’un autre peuple, je n’admets pas qu’au nom de l’histoire biblique, la Palestine se couvre de barbelés.
Mon église se tait, mon église est molle.
Un peuple qui nous est cher, Madagascar s’est donné un nouveau président pour mettre fin à des années d’un pouvoir bureaucratique et militaire. Les bulletins ont été comptés et recomptés, plus encore que pour départager Républicains et Démocrates américains aux dernières présidentielles. Rien n’y fit. La France a joué d’intrigues acceptant les séjours « privés » du dictateur déchu, du colonel félon, de l’ artisan de la sédition.
Et mon église s’en est satisfaite comme s’il ne fallait pas heurter le quai d’Orsay.
Je n’admets pas qu’au nom d’une politique africaine désastreuse, on mégote sur les choix démocratiques d’un peuple et l’on incite à la guerre civile.
Mon église se tait, mon église est molle.
La télévision nous programme l’adultère en spectacle d’été. Après les apologies de l’élimination de l’autre (Loft story, Maillon faible…), la relation intime à l’autre devient jeu, spectacle, terrain de sport.
Mon église s’en satisfait comme si elle avait renoncé à son éthique.
Je ne suis ni pudibond, ni censeur, mais il est paradoxal de voir les parpaillots tirer les sonnettes des ministères pour défendre leur place dans les livres d’histoire entre Vercingétorix et Jeanne d’Arc et ne rien dire sur la morale du temps présent.
Mon église se tait, mon église est molle.
Un de nos frères « protestant », président de la première puissance mondiale a décrété la guerre du Bien contre le Mal. Dieu, la Bible et la morale sont de tous ses discours pour dicter aux peuples du monde le droit chemin. Le 11 septembre devient alibi pour décider du sort des peuples, pour imposer sa loi à la planète, pour préserver en tout les intérêts de son pays.
Mon église s’en satisfait comme s’il ne fallait pas se distinguer des églises évangéliques américaines.
Je ne me sens aucune sensibilité commune avec des églises moralistes, ignorantes du monde, méprisantes pour le « mécréant », enfermées dans une lecture primaire des évangiles.
Mon église se tait, mon église est molle.
Mon église s’accommode des choses, et du pire des choses. Elle est politiquement correcte, socialement correcte, théologiquement correcte. N’aurait-elle plus rien à dire ?
Mon église ne se met plus en colère et lorsqu’il n’y a plus de colère, meurt l’espérance.
Albert Schweitzer, Théodore Monod, Marc Bœgner, André Dumas, réveillez-nous !
Mon église s’est assoupie au Jardin des Oliviers.
Christian Apothéloz
Marseille, le dimanche 14 juillet 2002