Article paru dans le magazine mensuel régional protestant Échanges.
Louis Schloesing s’en est allé par un jour brumeux de décembre. Après des mois de combat contre un cancer inexorable.
Il fut et reste pour moi la figure du pasteur. Je gardais de mon enfance l’image du pasteur narrateur qui enchantait l’école du dimanche, l’image du pasteur visiteur qui sermonnait les familles.
Approchant de la cinquantaine je revenais avec précaution vers mon église après 20 ans d’absence. Je tournais, je m’interrogeais, je passais devant la porte en me demandant si ce temple, cette Bible, ces cultes pouvaient éclairer la route. Louis n’attendit pas que je tire la sonnette, que je demande mon chemin, que je sois assidu. Non, il me fit une place comme si je n’étais jamais parti. Comme si depuis mon baptême cette place était évidente, réservée, vacante. Comme si l’on n’attendait que moi pour remettre à plat le journal régional, pour participer à l’organisation d’un rassemblement, pour animer une soirée synodale, pour créer un café théologique, pour communiquer avec la presse.
Mais il fit plus, il me mit en main Ricoeur et Dumas, Bonhoeffer, Tillich et les autres. Il me donna le goût de chercher dans l’histoire, la philosophie, la théologie, dans les textes ce que signifiait la Parole aujourd’hui. Quelques jours avant son départ, épuisé mais lucide, il me recommandait encore un livre, regrettait de ne plus pouvoir lire, se réjouissait de la présence de formations théologiques sur Internet !
Il considérait que son métier de pasteur était d’abord un métier de théologien, d’homme en quête permanente du sens.
Sa foi était une exigence. Une interpellation constante. Pour lui, pour les autres. Il n’avait rien d’un mentor. Mais il posait ses interrogations, il indiquait une piste, sans jamais imposer, il appelait chacun au réveil, au sursaut, à la vigilance. L’Église doit rester une « communauté d’indignation *», une vigie.
Pas question pour autant de se renfrogner dans une foi compassée, Louis vivait une théologie du bonheur. La foi en Christ, plaidait-il, nous libère des charges du passé, des entraves de l’égoïsme et nous invite à aller vers l’autre, vers un bonheur à partager. Il avait dû faire sienne cette phrase de Dietrich Bonhoeffer : « Jésus n’appelle pas à une religion nouvelle, mais à la vie ! »
Ainsi Louis vivait-il son ministère, avec ses colères, ses recherches, son écoute, sa foi. Les épreuves, les souffrances n’ont jamais altéré cet optimisme radical et cette joie de l’échange.
Il était plus qu’un pasteur, il était mon pasteur.
Christian Apothéloz
* Selon l’expression employée par Michel Bertrand lors du culte de reconnaissance.
PS. Ceux qui voudront poursuivre un bout de chemin avec Louis pourront lire et relire les deux indications bibliques qu’il donna lui-même pour le culte de reconnaissance du 14 décembre 2002 : Luc 24/13–24 et Jean 21/1–12