Ego sum : le protestant

Un regard protestant sur le pontificat de Benoît XVI

par | 14 avril 2013

Un regard protestant sur le pontificat de Benoît XVI

Pour un pro­tes­tant écrire sur les huit années d’un pon­ti­fi­cat relève d’un exer­cice sen­sible. La figure papale cris­tal­lise tout ce qui sépare depuis cinq siècles catho­liques et pro­tes­tants. Nous fête­rons bien­tôt le cinq cen­tième anni­ver­saire de l’affichage le 31 octobre 1517, des 95 thèses de Luther sur la porte de l’église de Wittemberg. Le réfor­ma­teur alle­mand y condamne alors la com­mer­cia­li­sa­tion des indul­gences vou­lues par le pape Léon, des­ti­nées à finan­cer l’édification de l’église Saint Pierre de Rome. Depuis le pro­tes­tant a été défi­ni comme anti­pa­piste et il s’est défi­ni lui-même comme tel tant ce qui n’était en 1517 qu’un « dis­pu­ta­tio » théo­lo­gique est deve­nue un affron­te­ment sans fin de deux « mondes ». La guerre est finie entre nous, l’œcuménisme a per­mis de mieux se connaître, mais natu­rel­le­ment reste le dif­fé­rent théologique.

SOLA GRATIA

Et si l’on s’en tient à la théo­lo­gie, le pro­tes­tant serait plus, si l’on m’autorise un néo­lo­gisme « a‑papiste » qu’antipapiste. On se sou­vient du fameux vers de Boileau, « Tout pro­tes­tant est pape, Bible à la main » (Satire XII). Et pour pous­ser le trait, si je suis pape, ma Bible à la main, le pape des catho­liques est un frère comme un autre. Et j’aurais de la défé­rence pour lui comme frère et non comme auto­ri­té. À tra­vers ce minis­tère pétri­nien qui se fige dans la doc­trine de l’infaillibilité pon­ti­fi­cale en 1870, appa­raît pour un homme, la capa­ci­té, tota­le­ment étrange en pro­tes­tan­tisme, de par­ler défi­ni­ti­ve­ment et de façon irré­vo­cable au nom de Dieu (1). La pos­ture réfor­mée vis à vis du pape n’est donc ni une appré­cia­tion sur la et les per­sonnes, ni sur l’organisation ecclé­siale romaine mais la cris­tal­li­sa­tion d’un dif­fèrent sur l’église, sur la grâce et sur le rap­port de l’homme à Dieu. Les Réformateurs ont expri­mé leurs convic­tions en cinq for­mules signi­fi­ca­tives com­men­çant par SOLA ou SOLUS (seul).

  • SOLI DEO GLORIA : Dieu est le seul qu’il faut ado­rer et prier.
  • SOLA GRATIA : Le salut n’est pas le résul­tat de nos efforts ou de nos mérites mais s’obtient par la grâce seule.
  • SOLUS CHRISTUS : Jésus-Christ est le seul média­teur entre Dieu et nous.
  • SOLA FIDE : Le salut n’est pas don­né par les sacre­ments ou la reli­gion mais par la foi seule.
  • SOLA SCRIPTURA : La Bible est l’autorité suprême en matière de doc­trine. Les 4 autres Solas découlent de celui-ci.

Et donc découle de la révé­la­tion de la « grâce seule » (que Luther découvre dans les textes de Saint Paul) que l’église n’est pas un inter­mé­diaire, une orga­ni­sa­tion qui pour­rait deve­nir média­tion entre Dieu et les hommes. Elle est tout sim­ple­ment l’assemblée des croyants, le peuple réuni de ceux qui recon­naissent que jésus est vivant. En se refu­sant à pla­cer une ins­tance d’autorité spi­ri­tuelle au-dessus des croyants, l’église pro­tes­tante se risque au désordre, à la dis­per­sion, aux désac­cords. Ce qui depuis cinq siècles marque effec­ti­ve­ment notre his­toire et notre vécu quo­ti­dien. Ainsi celui qui écrit ces lignes ne s’exprime aucu­ne­ment au nom des pro­tes­tants, c’est un laïc, un pro­tes­tant par­mi d’autre qui fait part de son res­sen­ti sur un pon­ti­fi­cat.
Il était néces­saire de faire ce détour pour abor­der le bilan d’un évêque de Rome. Son action nous inter­pelle évi­dem­ment puisque nous vivons en congruence avec nos frères catho­liques. Dans l’Europe occi­den­tale, catho­liques et pro­tes­tants vivent une même his­toire et si les églises ont été sépa­rées, nos socié­tés nous font vivre ensemble, l’œcuménisme nous a mis en dia­logue et en ques­tion­ne­ment réci­proques.
Que pen­ser donc de Benoît XVI avec la dis­tance que je viens d’énoncer ?

Nous ne pouvions pas être déçus

Joseph Ratzinger est connu bien avant le 19 avril 2005. Préfet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi, sous le flam­boyant pon­ti­fi­cat de Jean Paul II, il est un gar­dien rigide de la confor­mi­té à un cer­tain catho­li­cisme. Il écarte condamne, éloigne tous les brillants théo­lo­giens catho­liques (2) comme Hans Küng, qui ont une pen­sée ori­gi­nale, nou­velle, déran­geante. Les his­to­riens retien­dront que le réno­va­teur de Vatican II est deve­nu le gar­dien rigou­reux et rigide de la mai­son romaine. Au regard de l’œcuménisme il a écrit et signé un texte qui est un page sombre du monde chré­tien : la décla­ra­tion Dominus Iesus, une décla­ra­tion de la Congrégation pour la doc­trine de la foi vati­cane sur « l’unicité et l’universalité sal­vi­fique de Jésus-Christ et de son Église » (3). Parti en guerre contre le « rela­ti­visme », le théo­lo­gien alle­mand réaf­firme le vieux dogme : « Hors de l’église catho­lique romaine, point de Salut » (4). Clairement, selon l’article 17 de Dominus Iesus, “il existe une seule Église de Christ, qui sub­siste en l’Église Catholique, gou­ver­née par le suc­ces­seur de Pierre et par les évêques en com­mu­nion avec lui. » La Fédération Protestante de France mar­que­ra sa sur­prise attris­tée devant ce texte qui déclare que les Églises nées de la Réforme du XVIe siècle “ne sont pas des Églises au sens propre du mot” ! Non que cette affir­ma­tion soit nou­velle. Mais pour­quoi sa répé­ti­tion aujourd’hui ? » Le théo­lo­gien pro­tes­tant André Gounelle note en novembre 2000 que ce « docu­ment refuse la qua­li­té d’Église aux pro­tes­tants. Ils forment tout au plus, comme on le disait dans les années soixante (avant Vatican II), des “com­mu­nau­tés ecclé­siales”. Les res­pon­sables ecclé­sias­tiques réfor­més et luthé­riens ont jus­te­ment réagi à ce point. Personnellement, il me laisse assez froid. Je me réjouis plu­tôt que l’Église à laquelle j’appartiens ne soit pas vrai­ment une Église au sens où l’entend ce catholicisme-là, c’est-à-dire une ins­ti­tu­tion dog­ma­tique, hié­rar­chique et auto­ri­taire, dépo­si­taire et ges­tion­naire du sacré, dis­pen­sa­trice du Salut. Mais je sais que le catho­li­cisme n’est pas que cela, et je m’attriste de voir sa réa­li­té, que j’ai décou­verte avec beau­coup de res­pect et d’amitié, cachée et défi­gu­rée par cette Déclaration. » D’ailleurs au sein même de l’église catho­lique cette décla­ra­tion sème le trouble, par­ti­cu­liè­re­ment chez ceux qui sont enga­gés dans le dia­logue œcu­mé­nique. Comme dia­lo­guer si l’on affirme d’emblée sa supé­rio­ri­té abso­lue et défi­ni­tive ?
Richard Bergeron, fran­cis­cain, pro­fes­seur émé­rite de la facul­té de théo­lo­gie de l’Université de Montréal expri­me­ra sa tris­tesse de voir son Église « s’enfermer seule dans le coffre-fort de sa véri­té, étouf­fer dans sa soli­tude d’être seule à avoir rai­son, se pour­fendre à don­ner des consignes qui ne sont d’ailleurs pas sui­vies, et être inca­pable de voir du bon et du vrai ailleurs que dans son sein sans se les appro­prier en pré­ten­dant que cela vient d’elle. Tristesse de voir les autres grandes Églises dépouillées à toute fin pra­tique du titre d’Églises du Christ et les autres reli­gions réduites à des pré­pa­ra­tions évan­gé­liques. Tristesse de voir le cou­pe­ret de l’exclusivisme chris­to­lo­gique et ecclé­sio­lo­gique tom­ber sur tout ce qui n’est pas catho­lique. »
Cette décla­ra­tion signée par Jean Paul II, est en retrait avec les dis­cours de celui-ci lorsqu’il ren­contre, dans ses voyages, l’église ortho­doxe ou lorsqu’il prie dans la mos­quée des Omeyades à Damas. En retrait aus­si, par rap­port à l’encyclique “Ut unum sint” qui parle à de mul­tiples reprises des “Églises et com­mu­nau­tés ecclé­siales” chré­tiennes et recon­naît que les “diver­gences, mal­gré leur impor­tance, n’excluent pas les influences réci­proques et la com­pré­hen­sion”.
Les débuts de Benoît XVI sont mar­qués par ce retour à la Tradition (jusqu’à la mitre de Pie IX res­sor­tie des pla­cards du Vatican), les ouver­tures vers les tra­di­tio­na­listes et une place gran­dis­sante offerte aux membres de l’Opus Dei.
Nous ne pou­vions donc être déçus, puisque nous nous atten­dions une gla­cia­tion de l’œcuménisme, à une rigi­di­fi­ca­tion de l’église catho­lique. Mais Joseph Ratzinger est un grand intel­lec­tuel, un homme d’analyse et de réflexion, peu pré­pa­ré certes à l’exercice d’un man­dat média­tique, mais d’une grande rigueur de pen­sée. Ses textes, ses dis­cours sont d’une vraie pro­fon­deur spi­ri­tuelle et théo­lo­gique. Et l’homme confron­té au réel, ins­pi­ré, pourrait-on dire, va bou­ger sur trois aspects qui me semblent impor­tants. Je retien­drai trois focus :

  • Le pape et le monde musulman
  • Le pape et le monde anglican
  • Le pape et Luther.

Le pape et le monde musulman

Tout com­mence très mal. À l’université de Ratisbonne en Allemagne, où il avait été pro­fes­seur, le 12 sep­tembre 2006, le pape pro­nonce un long dis­cours sur les rap­ports entre foi et rai­son. C’est un bref pas­sage repris par les agences de presse, dif­fu­sé aus­si­tôt dans le monde entier qui met le feu aux poudres. « Le pro­blème, sou­ligne Vincent Aucante, auteur de Benoît XVI et l’Islam dans le Point, c’est qu’il uti­lise, pour illus­trer son pro­pos, un texte écrit au XIVe siècle par l’empereur byzan­tin Manuel II Paléologue, qui relate une polé­mique avec un éru­dit musul­man per­san à pro­pos du dji­had. “L’empereur, avec une rudesse assez sur­pre­nante qui nous étonne, raconte Benoît XVI, s’adresse à son inter­lo­cu­teur sim­ple­ment avec la ques­tion cen­trale sur la rela­tion entre reli­gion et vio­lence en géné­ral, en disant : Montre-moi donc ce que Mahomet a appor­té de nou­veau, et tu y trou­ve­ras seule­ment des choses mau­vaises et inhu­maines, comme son man­dat de dif­fu­ser par l’épée la foi qu’il prê­chait.“
Cet extrait va mettre à mal les com­mu­nau­tés chré­tiennes mino­ri­taires en pays musul­mans : des églises sont incen­diées, des atten­tats meur­triers sont com­mis, les chré­tiens sont stig­ma­ti­sés. L’intellectuel Ratzinger avait mani­fes­te­ment sous esti­mé ce que le pape Benoît XVI avait comme impact. Les effets dévas­ta­teurs vont conduire le pape à mesu­rer au mil­li­mètre ses inter­ven­tions, quitte à en limi­ter la durée. Le voyage en Turquie est un test. Il sera « sans faute ». Le pape prie « (ou médite ?) dans la Mosquée bleue, tour­né vers la Mecque et découvre, lui, le let­tré que le geste a plus de por­tée qu’une dis­ser­ta­tion théo­lo­gique. La diplo­ma­tie vati­cane a mon­tré ce qu’elle avait de meilleur et les rela­tions se paci­fient.
Le pape va aller plus loin. Il réunit pour la pre­mière fois en synode, du 10 au 24 octobre, les 185 évêques ou vicaires patriar­caux du Moyen Orient qui sont rat­ta­chés à Rome. Ces églises sou­vent oubliées, maro­nites, chal­déennes, mel­kites… pra­tiquent les rites orien­taux mais recon­naissent le pri­mat de l’évêque de Rome. Elles vivent dans un Orient en guerre ou les conflits locaux ne les épargnent pas. Beaucoup de ces Chrétiens émigrent, ont peur, se sentent iso­lés, tant dans leur pays qu’en Occident où leur ara­bi­té est sus­pecte. Le synode va faire rai­son­ner l’arabe sous les voûtes du Vatican. Une pre­mière. Benoît XVI écoute, découvre un monde éloi­gné de ses racines et encou­rage les tra­vaux des évêques. Jean-Michel Cadiot, jour­na­liste à l’AFP résume ain­si les acquis de ce synode pour le site « Dieu main­te­nant ».
« Ce furent des dis­cus­sions à bâtons rom­pus, dures par­fois, en public ou en pri­vé, aux­quelles le pape a assis­té avec assi­dui­té, sem­blant par­fois décou­vrir un monde trop éloi­gné des pré­oc­cu­pa­tions romaines. Mais il n’a dit “non” à rien. […] Les évêques d’Orient font valoir, presque una­ni­me­ment, quatre revendications.

  1. Tout d’abord, le rôle de leurs patriarches (pour mémoire chal­déen, syrien-catholique, copte-catholique, maro­nite, armé­nien catho­lique, mel­kite, mais aus­si latin à Jérusalem) qui devrait avoir “les cou­dées plus franches” vis-à-vis de leurs fidèles de la diaspora.
  2. Ils demandent que les prêtres orien­taux mariés puissent offi­cier en Occident, comme cela est per­mis aux Anglicans pas­sés récem­ment au catholicisme.
  3. Et puis, ces Pères, en s’appuyant sub­ti­le­ment sur les direc­tives bien anciennes de Léon XIII, estiment que l’Église latine doit s’abstenir de tout “pro­sé­ly­tisme” (…)
  4. L’arabe enfin, devrait deve­nir une des langues de l’Église. Lors des deux audiences pon­ti­fi­cales qui se sont tenues pen­dant le synode, Benoît XVI a par­lé en fran­çais, alle­mand, espa­gnol, polo­nais, et dans d’autres langues euro­péennes. Mais pas un mot, ne serait-ce que sym­bo­li­que­ment, en arabe ou en per­san, alors qu’à quelques mètres les “chré­tiens d’Orient” tra­vaillaient ou priaient. »

La visite que fera Benoît XVI au Liban mar­que­ra cette ère nou­velle. Il s’y rend du 14 au 16 sep­tembre 2012, à l’occasion de la signa­ture et de la publi­ca­tion de l’exhortation apos­to­lique post-synodale de l’Assemblée spé­ciale des évêques pour le Moyen Orient (octobre 2010). Vu la situa­tion locale de ten­sion avec la Syrie, le voyage aurait pu être annu­lé. Il n’en est rien et les Libanais vont appré­cier. La contro­verse de Ratisbonne est oubliée, même le Hesbollah va envoyer des troupes pour saluer le pas­sage du pape sur la route qui va de l’aéroport au centre de Beyrouth. À la Basilique Saint Paul de Harissa qui domine la baie de Beyrouth, il salue « l’heureuse coha­bi­ta­tion de l’Islam et du Christianisme, deux reli­gions ayant contri­bué à façon­ner de grandes cultures, qui fait l’originalité de la vie sociale, poli­tique et reli­gieuse au Liban. On ne peut que se réjouir de cette réa­li­té qu’il faut abso­lu­ment encourager. »

Le pape et le monde anglican

Avec le monde angli­can, tout com­mence là aus­si très mal. La com­mu­nion angli­cane est tra­ver­sée par de forts débats. Le pri­mat de l’archevêque de Cantorbéry est plus hono­ri­fique que réel. Les prêtres comme les évêques peuvent se marier. Mais le débat est vif sur l’accès des femmes au minis­tère épis­co­pal et l’acceptation de la béné­dic­tion des couples homo­sexuels ou de l’ordination d’homosexuels. Depuis long­temps, des cou­rants se forment au sein de l’église angli­cane, qui se rap­prochent de la doc­trine romaine.
Benoît XVI qui semble très pré­oc­cu­pé par cette frange conser­va­trice de l’église angli­cane publie le 9 novembre 2009, une Constitution apos­to­lique, inti­tu­lée Anglicanorum Coetibusqui pré­voit que les prêtres angli­cans (même mariés) qui se ral­lie­raient à Rome béné­fi­cie­ront d’un ordi­na­riat per­son­nel leur per­met­tant de conser­ver leurs tra­di­tions, notam­ment litur­giques, au sein de l’Église catho­lique. Le quo­ti­dien bri­tan­nique The Times estime que cette ini­tia­tive reve­nait à déployer « des chars (catho­liques) sur la pelouse angli­cane ». L’accueil sera plu­tôt froid du côté pro­tes­tant. Imaginons que les les pro­tes­tants créent des paroisses spé­ciales pour rece­voir les couples recom­po­sés qui sont exclus de l’Eucharistie romaine, ce ne serait pas vécu comme un acte œcu­mé­nique par nos frères catho­liques. Il en fut ain­si et à Marseille, le pas­teur Frédéric Keller, lors de la semaine de prière pour l’unité des Chrétiens dit sim­ple­ment que cette « consti­tu­tion » était cho­quante.
Puis lors de la visite au Royaume uni, Benoît XVI va mul­ti­plier les gestes d’apaisement et décla­re­ra qu’anglicans et catho­liques « che­minent ensemble et ne sont plus concur­rents, mais sont unis dans l’engagement pour la véri­té du Christ ».
En jan­vier 2013, Benoît XVI, en clô­ture de la Semaine de prière pour l’unité des chré­tiens, déclare « le dia­logue, lorsqu’il reflète la prio­ri­té de la foi, per­met de s’ouvrir à l’action de Dieu avec la ferme convic­tion que, par nous-mêmes, nous ne pou­vons pas construire l’unité, mais que c’est l’Esprit Saint qui nous guide vers la pleine com­mu­nion, et nous per­met de recueillir la richesse spi­ri­tuelle pré­sente dans les diverses Églises et com­mu­nau­tés ecclé­siales. » (La Croix jan­vier 2013)
Les mots sont loin de la décla­ra­tion Dominus Iesus. En remet­tant à l’Esprit Saint le che­min vers la pleine com­mu­nion, le pape laisse des portes ouvertes, autres que le simple ral­lie­ment à l’église romaine.
Ainsi donc fer­me­ture en 2000, ouver­ture en 2013, ain­si va Benoît XVI.

Martin et Benoît

Je ter­mi­ne­rai par la rela­tion de Benoît XVI avec les luthé­riens ou plu­tôt direc­te­ment avec Luther. Rappelons que le pape bava­rois connaît par­fai­te­ment la théo­lo­gie luthé­rienne. Il a fré­quen­té des théo­lo­giens pro­tes­tants de renom, il vit dans un pays qui est par­ta­gé : au nord le pro­tes­tan­tisme au sud le catho­li­cisme. En sep­tembre 2009, il se rend en Allemagne et l’on s’attend à un geste, à une ouver­ture vers la recon­nais­sance de la Cène ou du minis­tère pas­to­ral. D’emblée Benoît XVI écarte ce type d’attitude. « « On a évo­qué plu­sieurs fois avant ma venue, un don œcu­mé­nique […] que l’on atten­dait de cette visite. Je vou­drais dire que ceci consti­tue une incom­pré­hen­sion poli­tique de la foi et de l’œcuménisme. » (La Croix 23.09.2011)
De fait, on ne retien­dra que cette décep­tion. Alors que Benoît XVI se rend en Allemagne pour la troi­sième fois de son pon­ti­fi­cat, il va à Erfurt, là où Luther entre chez les Augustins, est ordon­né prêtre et célèbre sa pre­mière messe, le 2 mai 1507. Le dis­cours de Benoît XVI aurait pu saluer sim­ple­ment cette voca­tion de Martin Luther pour la prê­trise. Son dis­cours (5) va beau­coup plus loin.
« Ce qui l’a ani­mé (Luther), c’était la ques­tion de Dieu, qui fut la pas­sion pro­fonde et le res­sort de sa vie et de son iti­né­raire tout entier. « Comment puis-je avoir un Dieu misé­ri­cor­dieux ? » Cette ques­tion lui péné­trait le cœur et se trou­vait der­rière cha­cune de ses recherches théo­lo­giques et chaque lutte inté­rieure. Pour Luther, la théo­lo­gie n’était pas une ques­tion aca­dé­mique, mais la lutte inté­rieure avec lui-même, et ensuite c’était une lutte par rap­port à Dieu et avec Dieu. » […]
La ques­tion : quelle est la posi­tion de Dieu à mon égard, com­ment je me situe moi devant Dieu ? — cette ques­tion brû­lante de Luther doit deve­nir de nou­veau, et cer­tai­ne­ment sous une forme nou­velle éga­le­ment notre ques­tion, non de manière aca­dé­mique mais réel­le­ment. Je pense que c’est là le pre­mier appel que nous devrions entendre dans la ren­contre avec Martin Luther. » […]
« La pen­sée de Luther, sa spi­ri­tua­li­té tout entière était com­plè­te­ment chris­to­cen­trique : « Ce qui pro­meut la cause du Christ » était pour Luther le cri­tère her­mé­neu­tique déci­sif dans l’interprétation de la Sainte Écriture. Cela sup­pose tou­te­fois que le Christ soit le centre de notre spi­ri­tua­li­té et que l’amour pour Lui, le vivre ensemble avec Lui oriente notre vie. »
Ces pro­pos sont his­to­riques en ce sens que jamais une auto­ri­té catho­lique, jamais un pape n’avait pu dire ou écrire que la spi­ri­tua­li­té de Luther était « com­plè­te­ment chris­to­cen­trique », que sa quête, qui l’oppose vio­lem­ment à Rome, c’était la « ques­tion de Dieu, qui fut sa pas­sion pro­fonde et le res­sort de sa vie et de son iti­né­raire tout entier. » Oui, j’ai bien lu « tout entier » donc y com­pris la période de sa vie ou il rejette le céli­bat, se marie et prend la direc­tion d’un mou­ve­ment de réforme qui va ébran­ler l’Europe entière.
Benoît XVI est ain­si. Un affi­chage conser­va­teur, un refus qua­si­ment obses­sion­nel du com­pro­mis, une pos­ture déli­bé­ré­ment fidèle à une église de tra­di­tion. Puis des avan­cées intel­lec­tuelles, des ins­pi­ra­tions, des ana­lyses qui révèlent un homme bous­cu­lé par l’actualité, à l’écoute du monde, sen­sible aux chocs du réel, doté d’une volon­té farouche de trou­ver une ratio­na­li­té dans un monde irrai­son­né.
Le geste le plus moderne qu’il fait, sa renon­cia­tion, est pro­non­cée en latin. Un sym­bole de ce pon­ti­fi­cat char­nière. L’histoire dira s’il fut une pas­se­relle entre un catho­li­cisme cen­tré sur l’Europe, façon­né par le XIXe siècle et une église mon­dia­li­sée, plu­rielle, ouverte et confessante.

Christian Apothéloz


1 La Confession de foi de la Rochelle, pre­mière confes­sion réfor­mée en France défi­nit ain­si les minis­tères : « Nous croyons que tous les vrais pas­teurs, en quelque lieu qu’ils soient, ont la même auto­ri­té et une égale puis­sance sous un seul Chef, un seul Souverain et seul Évêque uni­ver­sel : Jésus-Christ. Pour cette rai­son, nous croyons qu’au­cune Église ne peut pré­tendre sur aucune autre à quelque domi­na­tion ou quelque sou­ve­rai­ne­té que ce soit. » L’église est alors selon la Parole de Dieu, « la com­mu­nau­té des fidèles qui, d’un com­mun accord, veulent suivre cette Parole et la pure reli­gion qui en dépend ; qui en font leur pro­fit tout au long de leur vie, gran­dis­sant et se for­ti­fiant sans cesse dans la crainte de Dieu, selon qu’il leur est néces­saire de pro­gres­ser et de mar­cher tou­jours plus avant. » Confession de foi de 1559, dite de la Rochelle.

2 Hans Küng, Edward Schillebeeckx o.p., Charles Curran, Roger Haight s.j., Andrew Fox, Eugen Drewermann, Tissa Balasuriya o.m.i., Josef Imbach, Leonardo Boff o.f.m. et Jon Sobrino s.j.

3 Citation du texte : « Aussi n’est-il pas per­mis aux fidèles d’i­ma­gi­ner que l’Église du Christ soit sim­ple­ment un ensemble — divi­sé certes, mais conser­vant encore quelque uni­té — d’Églises et de Communautés ecclé­siales ; et ils n’ont pas le droit de tenir que cette Église du Christ ne sub­siste plus nulle part aujourd’­hui de sorte qu’il faille la tenir seule­ment pour une fin à recher­cher par toutes les Églises en com­mun ».64 En effet, « les élé­ments de cette Église déjà don­née existent, unis dans toute leur plé­ni­tude, dans l’Église catho­lique et, sans cette plé­ni­tude, dans les autres Communautés ».

4 Déclaration approu­vée par le pape Jean-Paul II le 16 juin 2000.

5 Rencontre avec les repré­sen­tants du Conseil de l’Église évan­gé­lique en Allemagne, dis­cours du pape Benoît xvi, Salle du Chapitre de l’ex-couvent augus­ti­nien de Erfurt Vendredi 23 sep­tembre 2011 (Libreria Editrice Vaticana).