Article paru dans La Lettre de l’Institut euroméditerranéen des médias.
Les relations entre l’Algérie et notre région sont chaotiques. Michel Vauzelle s’y rend en juin, Jean Claude Gaudin à l’automne, mais les flux restent limités et les initiatives timorées. Pendant ce temps, la Chine, l’Italie, l’Espagne les USA y prospèrent.
La vision que nous avons de l’Algérie depuis Marseille est déformée parce que nous croyons trop bien nous connaître. Les Marseillais d’origine algérienne constituent toujours la première communauté étrangère de la cité phocéenne et les pieds noirs ont marqué durablement la ville. Et pourtant qu’y a‑t-il de commun entre l’Algérie des années soixante qui compte dix millions d’habitants dont un million d’origine européenne et l’Algérie d’aujourd’hui avec ses 33 millions d’habitants dont 60 % ont moins de 30 ans ? Avec une ville d’Alger qui compte 4,4 millions de résidants.
Oui, la proximité peut être un obstacle aux échanges et à la connaissance mutuelle. Marseille et Alger ne se racontent pas la même histoire, ne vivent pas les mêmes rythmes. Peut-être pour parler comme René Girard par mimétisme, parce qu’elles se ressemblent trop. Le miroir des deux plus belles baies de la Méditerranée est un leurre. Il faut apprendre la différence. L’Algérie n’est ni le rêve recomposé des pieds noirs, ni l’imaginaire modèle de ceux qui ont accompagné son combat pour l’indépendance. Ni enfer, ni paradis. L’Algérie, c’est l’autre, celui d’en face.
Si l’on abandonne la recherche du temps passé et le fantasme du modèle de développement, l’Algérie devient plus lisible. Plus complexe aussi, au carrefour des tensions de la Méditerranée, mais accessible, accueillante, foisonnante et passionnante. Boualem Sansal *, écrivain algérien, nous y invite : « En France, où vivent beaucoup de nos compatriotes, les uns physiquement, les autres par le truchement de la parabole, rien ne va et tout le monde le crie à longueur de journée, à la face du monde, à commencer par la télé. Dieu, quelle misère ! Les banlieues retournées, les bagnoles incendiées, le chômage endémique, le racisme comme au bon vieux temps, le froid sibérien, les sans-abri, les islamistes, les inondations, […], les réseaux pédophiles, le gouffre de la sécurité sociale, la dette publique, les délocalisations, les grèves à répétition, le tsunami des clandestins… Mon Dieu, mais dans quel pays vivent-ils, ces pauvres Français ? Un pays en guerre civile, une dictature obscure, une République bananière ou préislamique ? À leur place, j’émigrerais en Algérie, il y fait chaud, on rase gratis et on a des lunettes pour non-voyants. »
Après dix années de cendres où nous nous sommes interdit le voyage à Alger pour cause de terrorisme, l’Algérie nous apparaît comme un pays qui s’ébroue, qui se donne des lois libérales dans un univers où se sont accumulées les pratiques bureaucratiques, qui ouvre les portes à l’entreprise avec une administration pointilleuse et sourcilleuse, qui voit émerger une société civile intelligente et inventive dans un maquis de pouvoirs et contre-pouvoirs. Rien n’est évident, rien n’est simple. Sauf que ce pays devient le premier pays producteur de pétrole de la Méditerranée, que son produit intérieur brut a explosé en cinq ans. L’Algérie a un PIB par habitant de plus de 3 000 $, deux fois celui de 1999, deux fois celui du Maroc. Le pays affiche un taux de croissance de plus de 5 %.
Le PIB de 100 milliards $ est quatre fois celui de la Tunisie et deux fois celui du Maroc. Et les réserves d’énergies fossiles, selon les experts, lui sont garanties pour le XXIe siècle, ses réserves prouvées en hydrocarbures sont de l’ordre de 45 milliards de tonnes en équivalant pétrole. Une société italienne vient de découvrir dans le Sahara la huitième réserve gazière au monde, supérieure aux gisements d’Alexandrie. L’Algérie est exportatrice d’énergie pour longtemps comme la Libye et la Mauritanie, alors que d‘autres pays méditerranéens vont devoir payer une facture énergétique forte. Dans le paysage énergétique mondial, souligne une étude de KPMG, l’Algérie occupe la 15e place en matière de réserves pétrolières, le 18e rang dans la production et le 12e en exportation. Les ressources prouvées en gaz naturel placent l’Algérie à la 5e place en production et à la 3e en exportation après la Russie et le Canada. « Compte tenu de ces chiffres, l’Algérie apparaît comme un véritable géant énergétique », relève le document de KPMG. « L’Algérie, n’a pas de rival en Méditerranée ».
La manne pétrolière ne fait pas le bonheur et elle a induit une économie de la rente tétanisante. Mais les plans du gouvernement prévoient un programme quinquennal (2005–2009) de “soutien à la croissance économique” de 60 milliards $ pour le logement et les infrastructures. Dans ce pays qui crée chaque année 100 000 entreprises, TPE et PME, l’initiative privée retrouve ses droits.
Notre région, les acteurs économiques ont du mal à se situer dans ce nouveau paysage algérien. L’accueil est toujours si chaleureux et si attentif que les Français croient être “les seuls au monde” et attendent l’hypothétique « jour meilleur » qui permettra d’investir sans risque. Pendant ce temps, Chinois, Canadiens, Italiens, Espagnols, Allemands, Américains et Russes investissent, coopèrent, font du business.
Marseille avait pourtant une grande longueur d’avance puisque Gaston Defferre avait signé en 1980 les premiers accords d’amitié Alger Marseille. Las, les errements de la politique d’immigration, les coups d’accordéon sur les visas, les voyages sans lendemain et les promesses non-tenues ont écorné cette relation privilégiée. « Les Français aiment bien venir en délégation, nous confiait un responsable gouvernemental algérien, ils doivent aimer notre pays ou notre cuisine, mais ils font leur business ailleurs ».
Les acteurs de la société civile, eux, persévèrent. Dans le monde de l’économie, l’Adeci, l’Association pour le développement du compagnonnage industriel, vient de créer un Club PACA Algérie qui réunit 15 entrepreneurs de la région qui ont déjà des relations d’affaires avec l’Algérie. Ce club des 15, renforcé par la Bonnasse Lyonnaise de banque, accepte de partager son expérience, son vécu, ses problèmes et ses solutions avec ceux que tente le marché algérien. Il est temps de s’y mettre. C’est un pays qui aura bientôt la puissance de l’Arabie saoudite à une heure de vol de Marignane. Un pays ou l’on peut discuter de la politique hexagonale en Français avec les chauffeurs de taxi !
Christian Apothéloz
* Boualem Sansal, qui vit près d’Alger, a publié quatre romans aux Éditions Gallimard