Le journaliste : déblog'notes

Chronique sur GOMET’ – Algérie : les réformes à marche forcée

par | 16 décembre 2015

En 14 mois le baril de pétrole est pas­sé d’environ 120 dol­lars à 35 dol­lars. Une chute ver­ti­gi­neuse et inat­ten­due, sur­tout des pays dépen­dants de la manne pétro­lière comme le Venezuela et l’Algérie. Le Venezuela de Chavez a pu faire croire qu’il avait un nou­veau modèle éco­no­mique, alors qu’il ne fai­sait que dis­tri­buer du baril à sa popu­la­tion. En Algérie, les hydro­car­bures rap­portent plus de 95 % des recettes exté­rieures et contri­buent pour 60 % au bud­get de l’État. L’Algérie a pris des mesures rai­son­nables avec cette res­sources qui per­forme à par­tir de 2010 : un désen­det­te­ment total de l’État, un plan d’investissements de dizaines de mil­liard de dol­lars dans les hôpi­taux, les uni­ver­si­tés, le loge­ment, les trans­ports, les écoles, la créa­tion d’un fonds de régu­la­tion des recettes et des réserves de change qui res­tent confortables.

Pendant des mois en 2014, le gou­ver­ne­ment algé­rien fut dans le déni d’une baisse que l’on croyait pro­vi­soire, atten­dant un rebond qui ne vint jamais. Tout devait conti­nuer comme avant avec des res­sources amoin­dries. Jusqu’au rema­nie­ment de mai 2015 qui vit arri­ver au poste de ministre des Finances Abderrahmane Benkhalfa. Une per­son­na­li­té que nous connais­sons bien. Il fut direc­teur de l’Association des banques algé­riennes, puis consul­tant indé­pen­dant et membre de notre réseau FCM, d’experts confiance. Économiste, diplô­mé en ges­tion de l’université de Grenoble, il avait tiré la son­nette d’alarme avec un regard cri­tique sur la ges­tion de la crise pétro­lière et des pro­po­si­tions auda­cieuses sou­vent par­ta­gées par le think-tank Care [1].

Arrivé au minis­tère, le ministre a d’abord ten­té une opé­ra­tion, toute en mesure, pour faire entrer l’argent de l’économie infor­melle dans les réseaux for­mels, donc ban­caires. Mais c’est avec la loi de finances 2016 que le ministre est deve­nu célèbre. Vues d’ici les réformes relèvent du bons sens et de la saine ges­tion d’un pays confron­té à une crise his­to­rique de ses res­sources. Retenons trois chapitres

La fin annoncée des subventions aux produits de nécessité.

Céréales, lait, sucre et huile sont sub­ven­tion­nés et ponc­tionnent près de 200 mil­liards d’euros sur le bud­get de l’état. Les car­bu­rants sont aus­si sub­ven­tion­nés ce qui coûte chaque année 11 mil­liards de dol­lars à l’État algé­rien. Ces mesures dites sociales ali­mentent en fait des tra­fics aux fron­tières incom­men­su­rables. Des cara­vanes de mulets char­gés de jer­ri­cans se font régu­liè­re­ment stop­per à la fron­tière maro­caine tan­dis que les pro­duits ali­men­taires sont reven­dus avec de juteuses plus values aux pays fron­ta­liers comme le Mali. Rien de social dans tout cela. Le ministre pro­pose donc de pas­ser d’une aide aux pro­duits à une aide sociale aux personnes.

Le 49/51

Depuis 2009, l’Algérie impose à tout inves­tis­seur d’inclure un par­te­naire algé­rien lors de son implan­ta­tion à plus de 51 % du capi­tal. Adoptée au som­met du prix du baril cette mesure a natu­rel­le­ment décou­ra­gé les inves­tis­seurs. Quel entre­pre­neur peut conce­voir de tra­vailler à plus 50 % pour une per­sonne tierce ? Mais, les flux de pétro­dol­lars ont camou­flé cette chute des IDE. Un code des inves­tis­se­ments en longue ges­ta­tion pour­rait la remettre en cause. Mais cette règle est deve­nue comme un Graal : intou­chable ! Donc on n’y touche pas, mais la loi de finance se pro­pose d’autoriser les entre­prises publiques algé­riennes qui sont venues en co-investissement avec des par­te­naires étran­gers de céder leurs actions en Bourse à des action­naires pri­vés algé­riens. De plus, les inves­tis­seurs étaient tenus qua­si­ment à ne pas rapa­trier de béné­fices s’ils avaient eu des aides à l’implantation. La loi de finance ferait sau­ter ce ver­rou [2]. Ce qui déclenche des cris d’orfraie dans la presse et à l’assemblée : « Siphonage des deniers publics », « sous-traitance au pro­fit des affai­ristes ». L’Algérie a une telle sen­si­bi­li­té à la spo­lia­tion, au « néo­co­lo­nia­lisme » qu’elle veut bien voir des inves­tis­seurs, mais avec un com­por­te­ment de mécène. Le béné­fice, qui en éco­no­mie de mar­ché est un signe de bonne san­té, de créa­tion de valeurs, est per­çu comme un mal abso­lu, un vol, frap­pé d’illégitimité. Étrange débat. L’Algérie n’a plus le choix. L’économie algé­rienne est mas­si­ve­ment impor­ta­trice, la manne pétro­lière est gâchée en achats quo­ti­diens de pro­duits sou­vent venus d’Asie. L’industrie algé­rienne est sor­tie exsangue des années d’économie diri­gée et de la décen­nie noire. L’ouverture à l’in­ves­tis­se­ment étran­ger, maî­tri­sée, s’impose. Encore faut-il que l’in­ves­tis­seur y trouve un intérêt.

Ajuster les dépenses

Enfin le ministre pré­voit la pos­si­bi­li­té d’annuler ou repor­ter des dépenses si la conjonc­ture l’impose sans repas­ser par la case par­le­ment (à tra­vers des “décrets d’a­jus­te­ment”). Bronca des par­le­men­taires qui voient dans cette déci­sion une ingé­rence de l’exécutif. Or le gou­ver­ne­ment algé­rien main­tient un plan d’investissements très ambi­tieux dans le loge­ment et les infra­struc­tures publiques. En sage, le ministre des finances sait que tout cela ne sera pas assu­ré avec des recettes en chute libre et incon­trô­lée [3]. Mais dépu­tés, jour­na­listes plaident pour un main­tien de la dépense, oubliant que dans les années quatre-vingt une telle poli­tique a conduit l’Algérie au désastre, obli­gée de pas­ser sous les fourches cau­dines du Fonds moné­taire inter­na­tio­nal et d’ap­pli­quer une aus­té­ri­té qui ne fut pas étran­gère à la mon­tée des islamistes.

Oui, ces réformes amorcent un virage mais les oppo­si­tions qu’elles déclenchent sont sur­réa­listes. Manifestation des dépu­tés dans l’hémicycle, avec des pan­cartes pour dénon­cer « les pri­va­ti­sa­tions », la spo­lia­tion « des richesses du pays », injures et outrances ont mar­qué cet adop­tion. « La loi de finances va affa­mer les Algériens » cette « Loi de la honte » consti­tue « une néga­tion de l’ap­pel du 1er Novembre » a décla­ré l’opposition.

Comme s’il y avait une « Algérie d’avant » mythi­fiée, à défendre face à une réa­li­té incon­nue et inquiétante.

Le défi algé­rien est pour­tant dans cette rup­ture avec l’économie de rente. Dans l’émergence d’une géné­ra­tion de déci­deurs et d’acteurs qui croient en l’entrepreneuriat.

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[1] Présidé par Slim Othmani

[2] L’article 2 de la Loi de finances 2016 per­met l’annulation de la dis­po­si­tion impo­sée par la loi de finances com­plé­men­taire 2009 aux inves­tis­seurs pour réin­ves­tir la part des exo­né­ra­tions fis­cales dont ils béné­fi­cient dans l’objectif d’encourager les investissements.

[3] Les recettes pétro­lières attein­dront 26,4 mil­liards de dol­lars en 2016 contre 33,8 mil­liards à la clô­ture de l’année 2015.