Je fais partie des 3,3 millions de Français qui ont deux passeports et pire encore je suis né à l’étranger d’un père étranger. Grâce à Daladier je serais si je me « comporte en fait comme le national d’un pays étranger, » susceptible d’être déchu. Mais avouons-le j’avais oublié cet héritage et mes deux passeports matérialisent des racines différentes, qui se croisent en moi dans mon histoire, mes familles, mes affects, ma culture, mes références. À égalité. Du moins le croyais-je.
En Méditerranée la double ou multi-appartenance nationale est très vivace. Les exodes, les migrations, les déplacements ont façonné des populations plurielles qui ont au cœur un pays de leurs ancêtres, un pays d’accueil, un pays de leurs amours, un pays de leurs enfants. On connaît bien par exemple la capacité à se mouvoir à partir et revenir des Libanais. Nous sommes comme l’a écrit Jean Viard, « dans une société d’archipel » où chaque personne a des attaches multiples. Les itinéraires, les passages n’effacent pas les traces, les souvenirs, les identités. Marseille est à cet égard la ville archétype d’un Cité qui se construit avec des femmes et des hommes qui viennent avec la certitude de repartir et finissent par rester. Mais avec toujours en poche un passeport valide.
La bi-nationalité est un signe de modernité, d’appartenance au monde en mouvements, contraints ou choisis. Le débat récurrent sur des mesures qui devraient s’appliquer plus spécifiquement à ces 3,3 millions de Français est tout simplement une incongruité juridique. Et je suis toujours étonné que cette « déchéance » possible vienne de la droite qui normalement, est le plus attachée à l’idée de Nation. La Nation n’est pas une option, un objet au rayon d’un supermark, où l’on viendrait prendre ou laisser un passeport, un drapeau. L’enfant qui naît ne peut échapper ni à sa famille même s’il la renie même si elle le renie ; il ne peut échapper à sa ou ses nations quelle que soit son opinion. On ne choisit ni ses frères et sœurs, ni ses compatriotes. Le signal envoyé est d’une l’inefficacité totale « On ne voit pas comment la déchéance de nationalité pourrait faire peur à des terroristes qui souhaitent mourir ! » a ainsi dénoncé Patrick Weil[1]. Mais le signal est aussi de mauvais augure pour des pays méditerranéens qui ont du mal à accepter la double appartenance de leur jeunesse, comme l’Algérie par exemple.
Lutter contre le terrorisme demande plus d’intelligence que ce coup de menton politicien.
Ma double appartenance est plutôt tranquille, je suis né à Zürich, et mes chances de déchoir, restreintes. Mais si je me sens touché par ce débat, suspecté, amputé d’une identité à part entière, que dire de ceux qui justement ont mal à la France, ceux à qui nous n’avons pas su narrer, expliquer enseigner passionnément la France. Il y a la « un moins », une amovibilité de la nationalité qui la fragilise, qui est inutile et nuisible. Et plutôt que de débattre d’une déchéance, il vaudrait mieux s’interroger sur l’entrée en nationalité française[2]. Oui il y a un droit à devenir français et même si la nationalité est due par le droit, l’administration française fait lourdement, mais bêtement sentir que ceux qui ont le code 99 dans leur numéro de sécurité sociale sont dans le collimateur. Il m’a fallu ainsi plus d’une année de démarches pour obtenir le jugement, eh oui, c’est un jugement qui m’autorise à demander un passeport. J’ai fourni des papiers les plus improbables. Mais on n’a jamais vérifié que je parlais français, que je connaissais les couleurs de notre drapeau ou que j’avais quelques notions d’histoire ou de culture de mon pays. Incongruité à mon sens, que n’ont pas des voisins plus accueillants comme l’Allemagne qui forme très fortement à l’apprentissage de la langue germanique tous ceux qui veulent simplement, résider dans le pays.
L’ami Jean Pierre Mignard avait très judicieusement proposé d’utiliser la mesure « d’indignité nationale » qui existe dans notre droit et qui s’applique à toutes les personnes de nationalité française, binationales ou non, sans aucune distinction de lieu de naissance. Si nous n’avions que l’unité de la Nation en vue c’est ce qui s’imposerait…
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[1] Patrick Weil : « Le projet de déchéance de nationalité crée de la suspicion à l’encontre d’une partie des Français »
[2] J’avais perdu mes amis de droite au premier alinéa, je perds mes amis de gauche avec cet énoncé