Le feuilleton romanesque de Bernard Tapie et son dernier épisode attendu, la condamnation à un remboursement de 404 millions d’euros a fait un dégât collatéral : l’arbitrage. Ce « mode alternatif de résolution des conflits », comme disent les juristes, est associé depuis 2007 à la rocambolesque histoire d’Adidas et de son éphémère repreneur. Budgets insensés, copinages avérés et entre-soi sans loi interminable sont associés à l’arbitrage. Les révolutionnaires qui avaient inscrit cette forme de justice dans la loi en 1792 doivent s’en retourner dans leurs tombes.
J’ai eu la chance au cours des deux dernières années, avec le réseau Finances et Conseil Méditerranée de travailler sur les questions d’arbitrage et de médiation et leur application aux PME. J’ai pu entendre les meilleurs juristes marocains, algériens, tunisiens, libanais et français sur ces questions et lorsqu’on est dans la vraie vie, on est loin de la mascarade Tapie Crédit Lyonnais Adidas. Reprenons les trois points qui émergent de cette affaire
Des budgets insensés : les chiffres sont sur la place publique. 300 000 euros de frais du Centre d’arbitrage, un million d’euros de rémunération des arbitres et des chiffres similaires pour les avocats des parties. Justice privée, justice de riches ? et de très riches puisque qu’il s’agit d’une affaire à plusieurs centaines de millions d’euros (Bernard Tapie rêvait même d’un milliard !). Rémunérations éhontées, quand on sait qu’un arbitre a même avoué avoir simplement recopié ce que l’ont lui a soumis. La question du coût de l’arbitrage est un repoussoir. Mais tous les centres d’arbitrage et toutes les affaires ne sont pas aussi budgétivores. Nous avons même des centres d’arbitrage qui se situent délibérément à portée de PME. L’ami Yann Le Targat, avocat à Montpellier a ainsi fondé avec la CCI de sa région un Centre méditerranéen d’arbitrage qui offre des procédures d’arbitrage simplifiées (avec un seul arbitre) à partir de 5 000 euros. Dans des affaires normales entre entreprises, les coûts sont à mettre en parallèle avec ce que coûterait une procédure longue dans un pays étranger, avec des avocats, du droit et des juges à longue distance.
Copinages : le tribunal arbitral composé à la demande de Bernard Tapie s’affranchissait de toutes les règles de déontologie qui s’appliquent à l’arbitrage. Romain Dupeyré, avocat au Barreau de Paris a souvent détaillé dans nos débats la montée des exigences d’indépendance des arbitres avec une déclaration préalable sur les confits d’intérêt méticuleuse. Même l’appartenance à des groupes Facebook, à des sociétés savantes, la participation à un même colloque, la défense de filiales lointaines sont scrutées. Le tribunal arbitral de Tapie échappait à l’évidence à ces règles et sa sentence a été cassée.
L’entre-soi sans loi : il est vrai que les arbitres professionnels les spécialistes se connaissent et se reconnaissent. Mais l’arbitrage n’est pas un espace de non droit, une sorte de Far West de la justice où tout serait permis. Des conventions internationales[1] des textes de lois nationaux des jurisprudences encadrent cette justice, mais ne la situe jamais hors du système judiciaire. La justice “normale “est d’ailleurs là pour vérifier comme elle l’a fait pour Tapie, la régularité des procédures. L’arbitrage est un domaine de droit extrêmement ouvert : les parties peuvent choisir leurs arbitres, le droit appliqué, la langue parlée, mais c’est du droit donc des règles. L’exécution des jugements, l’exequatur devant la justice d’un pays se fait elle-même après vérification du respect de ces règles. Les cours d’appel contrôlent que les arbitres comme les avocats ont respecté le droit national et international.
Le feuilleton interminable : c’est le paradoxe final de cette affaire. Depuis 2007, elle alimente la presse, donnant ainsi l’impression que l’arbitrage est une affaire, très compliquée, et très longue. Or justement le recours à l’arbitrage est une mesure d’accélération de la résolution des conflits. Le tribunal arbitral a un délai fermé, souvent de six mois à un an, pour remettre sa sentence. Pas plus. C’est une justice économique et économe en temps et procédures lorsqu’elle est utilisée à bon escient.
Manifestement ce n’était pas la préoccupation de Bernard Tapie qui y a eu recours pour échapper au cours de la justice.
Les chefs d’entreprise, particulièrement ceux qui sont à l’export, ont tout intérêt à dépasser cette mauvaise image donnée par l’affaire Tapie pour instaurer avec leurs clients étrangers des clauses qui anticipent les difficultés et prévoient des médiations et arbitrages efficaces.
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[1] Notamment la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères signée à New York le 10 juin 1958 (la « Convention de New York »), entrée en vigueur le 7 juin 1959