Le journaliste : déblog'notes

Chronique sur GOMET’ – Tapie ou la contre-publicité sur l’arbitrage

par | 07 décembre 2015

Le feuille­ton roma­nesque de Bernard Tapie et son der­nier épi­sode atten­du, la condam­na­tion à un rem­bour­se­ment de 404 mil­lions d’euros a fait un dégât col­la­té­ral : l’arbitrage. Ce « mode alter­na­tif de réso­lu­tion des conflits », comme disent les juristes, est asso­cié depuis 2007 à la rocam­bo­lesque his­toire d’Adidas et de son éphé­mère repre­neur. Budgets insen­sés, copi­nages avé­rés et entre-soi sans loi inter­mi­nable sont asso­ciés à l’arbitrage. Les révo­lu­tion­naires qui avaient ins­crit cette forme de jus­tice dans la loi en 1792 doivent s’en retour­ner dans leurs tombes.

J’ai eu la chance au cours des deux der­nières années, avec le réseau Finances et Conseil Méditerranée de tra­vailler sur les ques­tions d’arbitrage et de média­tion et leur appli­ca­tion aux PME. J’ai pu entendre les meilleurs juristes maro­cains, algé­riens, tuni­siens, liba­nais et fran­çais sur ces ques­tions et lorsqu’on est dans la vraie vie, on est loin de la mas­ca­rade Tapie Crédit Lyonnais Adidas. Reprenons les trois points qui émergent de cette affaire

Des bud­gets insen­sés : les chiffres sont sur la place publique. 300 000 euros de frais du Centre d’arbitrage, un mil­lion d’euros de rému­né­ra­tion des arbitres et des chiffres simi­laires pour les avo­cats des par­ties. Justice pri­vée, jus­tice de riches ? et de très riches puisque qu’il s’agit d’une affaire à plu­sieurs cen­taines de mil­lions d’euros (Bernard Tapie rêvait même d’un mil­liard !). Rémunérations éhon­tées, quand on sait qu’un arbitre a même avoué avoir sim­ple­ment reco­pié ce que l’ont lui a sou­mis. La ques­tion du coût de l’arbitrage est un repous­soir. Mais tous les centres d’arbitrage et toutes les affaires ne sont pas aus­si bud­gé­ti­vores. Nous avons même des centres d’arbitrage qui se situent déli­bé­ré­ment à por­tée de PME. L’ami Yann Le Targat, avo­cat à Montpellier a ain­si fon­dé avec la CCI de sa région un Centre médi­ter­ra­néen d’arbitrage qui offre des pro­cé­dures d’arbitrage sim­pli­fiées (avec un seul arbitre) à par­tir de 5 000 euros. Dans des affaires nor­males entre entre­prises, les coûts sont à mettre en paral­lèle avec ce que coû­te­rait une pro­cé­dure longue dans un pays étran­ger, avec des avo­cats, du droit et des juges à longue distance.

Copinages : le tri­bu­nal arbi­tral com­po­sé à la demande de Bernard Tapie s’affranchissait de toutes les règles de déon­to­lo­gie qui s’appliquent à l’arbitrage. Romain Dupeyré, avo­cat au Barreau de Paris a sou­vent détaillé dans nos débats la mon­tée des exi­gences d’indépendance des arbitres avec une décla­ra­tion préa­lable sur les confits d’intérêt méti­cu­leuse. Même l’appartenance à des groupes Facebook, à des socié­tés savantes, la par­ti­ci­pa­tion à un même col­loque, la défense de filiales loin­taines sont scru­tées. Le tri­bu­nal arbi­tral de Tapie échap­pait à l’évidence à ces règles et sa sen­tence a été cassée.

L’entre-soi sans loi : il est vrai que les arbitres pro­fes­sion­nels les spé­cia­listes se connaissent et se recon­naissent. Mais l’arbitrage n’est pas un espace de non droit, une sorte de Far West de la jus­tice où tout serait per­mis. Des conven­tions internationales[1] des textes de lois natio­naux des juris­pru­dences encadrent cette jus­tice, mais ne la situe jamais hors du sys­tème judi­ciaire. La jus­tice “nor­male “est d’ailleurs là pour véri­fier comme elle l’a fait pour Tapie, la régu­la­ri­té des pro­cé­dures. L’arbitrage est un domaine de droit extrê­me­ment ouvert : les par­ties peuvent choi­sir leurs arbitres, le droit appli­qué, la langue par­lée, mais c’est du droit donc des règles. L’exécution des juge­ments, l’exequatur devant la jus­tice d’un pays se fait elle-même après véri­fi­ca­tion du res­pect de ces règles. Les cours d’appel contrôlent que les arbitres comme les avo­cats ont res­pec­té le droit natio­nal et international.

Le feuille­ton inter­mi­nable : c’est le para­doxe final de cette affaire. Depuis 2007, elle ali­mente la presse, don­nant ain­si l’impression que l’arbitrage est une affaire, très com­pli­quée, et très longue. Or jus­te­ment le recours à l’arbitrage est une mesure d’accélération de la réso­lu­tion des conflits. Le tri­bu­nal arbi­tral a un délai fer­mé, sou­vent de six mois à un an, pour remettre sa sen­tence. Pas plus. C’est une jus­tice éco­no­mique et éco­nome en temps et pro­cé­dures lorsqu’elle est uti­li­sée à bon escient.

Manifestement ce n’était pas la pré­oc­cu­pa­tion de Bernard Tapie qui y a eu recours pour échap­per au cours de la justice.

Les chefs d’entreprise, par­ti­cu­liè­re­ment ceux qui sont à l’export, ont tout inté­rêt à dépas­ser cette mau­vaise image don­née par l’af­faire Tapie pour ins­tau­rer avec leurs clients étran­gers des clauses qui anti­cipent les dif­fi­cul­tés et pré­voient des média­tions et arbi­trages efficaces.

GoMet’, “le média métro­po­li­tain qui crée des liens

[1] Notamment la Convention pour la recon­nais­sance et l’exé­cu­tion des sen­tences arbi­trales étran­gères signée à New York le 10 juin 1958 (la « Convention de New York »), entrée en vigueur le 7 juin 1959