Les questions liées à la sécurité des personnes et des biens sont toujours entachées d’a priori idéologiques ou de faux débats qui empêchent la recherche simple et raisonnée de solutions pérennes.
Le simple fait de prononcer le mot renvoie déjà des connotations politiciennes, à des catégories, à des injonctions partisanes. La réalité est pourtant là et personne en peut la démentir : la violence, les agressions, les vols, les effractions, les trafics de drogues, les incivilités sont en progression particulièrement dans notre ville de Marseille. 1 200 infractions constatées par semaine dans le département, Plus de 80 règlements de comptes mortels depuis janvier 2010 ! Rien n’y fait, ni les démonstrations de forces, ni les déclarations fracassantes, ni les nominations miraculeuses, ni les dénégations outragées.
Le résultat est que la population se replie, se calfeutre, se méfie et regarde de plus en plus l’autre, le passant, comme un danger potentiel. La défiance et la peur s’installent, seuls ceux qui vivent hors sols peuvent nier cette évidence.
Par rapport à ces faits, il me semble important de poser des fondements simples.
La sécurité est un droit de l’homme
La déclaration de 89 proclame faut – il le rappeler que « La propriété est un droit inviolable et sacré » et la déclaration de 1948 que « Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété »
Ou article 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». On ne peut invoquer les droits l’homme à l’étranger sans considérer que ce droit à la sécurité fait partie de ce que nous devons vivre ici et maintenant. Un romantisme de la délinquance, une imagerie du fric-frac à Monaco, oblitèrent ce droit depuis longtemps. De Brassens à Belmondo (que j’aime !), toute une filmographie et une littérature ont fait du délinquant, un Robin des bois qui vole au riche et donne aux pauvres, une image du petit voleur de pomme qui échappe à la marée chaussée, du gavroche qui chaparde. Nous sommes aujourd’hui très loin de ces images d’Épinal. Nous sommes dans les agressions froides, dans les règlements de comptes sanglants, dans les trafics de drogues, dans des systèmes mafieux, dans l’intimidation. Et les victimes ne sont plus les grandes fortunes qui ont les moyens de se protéger, de sécuriser des espaces de vie ou de mettre à l’abri leurs biens.
Oui, il est urgent pour défendre les droits de l’homme de défendre « le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ».
Prévention et répression
Second paradigme qui étonne est le piège dans lequel se sont enfermés gauche et droite. La droite serait plus sécuritaire et la gauche plus encline à la prévention. Il est hallucinant que l’on puisse opposer ces deux notions. Elles sont distinctes mais indissociables de la vie. C’est un invariant sociologique que ces deux notions pour organiser une vie commune. De la première tribu préhistorique, au plus développé de nos pays, il a toujours fallu pour organiser la vie sociale construire deux piliers :
- Établir des règles, les transmettre, éduquer, convaincre de leur bien-fondé, et inviter à leur application. C’est la prévention et l’éducation.
- Établir des sanctions en cas de transgression de ces règles et les appliquer c’est la répression.
Toute communauté se donne ces deux aspects indissociables de la sociabilité.
Quelle association, quelle entreprise, quelle famille, quel club sportif, quel groupe humain peut se passer de ces deux aspects pour perdurer sans se disloquer ?
Par quelle aberration a‑t-on pu en venir à opposer l’un à l’autre ?
Le progrès de l’humanité s’est fait par le progrès des droits et du droit et par le respect de ce droit et des droits. Un respect qui n’est pas spontané ou naturel, mais encadré, ordonné et organisé.
Dérivée de cette approche est l’excuse sociologique, familiale ou sociale. Un délit est grave certes, mais le délit s’explique par un milieu familial, un enfant de la DASS, ou toutes autres explications plausibles. Le drame est que les explications, les analyses les plus savantes ne font pas avancer le problème. Nous devons bien sûr, trouver des solutions qui aident à reconstruire des parcours de vie, qui remettent sur un chemin dit d’insertion, qui permettent d’échapper à l’univers de la délinquance. Notre système de répression, notre système carcéral sont à cet égard aux antipodes de ce qu’ils devraient être. Mais s’il revient à l’avocat de plaider le passé, l’excuse, l’histoire du délinquant, il revient à la société de dire la loi et de la faire respecter. Trop de confusion teintée d’un moralisme social fait que la loi devient élastique, naturellement contestable et la peine trardive, décalée n’a plus de fonction sociale.
Justice lente, Justice inique
Ceci nous conduit à un système judiciaire qui semble satisfaire tout le monde (il y a tant d’avocats en politique !) et qui est en fait le cœur de notre machine à perdre nos valeurs. Et ceci pour une question simple de rythme, de temps, de traitement des affaires. Pourquoi faut-il trois ans à minima pour juger une affaire. Trois années d’enquête ? C’est un gag ! Trois années d’études, c’est un mystère ! Trois années d’investigations ? C’est un exploit. !
Non, notre justice qui est certainement une de nos administrations les plus archaïques a pris un rythme qui produit perpétuellement du déni de justice. La sanction n’a de pouvoir pédagogique que si elle est rapide, concomitante des faits. Tant pour la victime que pour le délinquant. Ce facteur temps est mortifère. Et l’on s’en accommode, ce qui fait que par un tour de passe-passe bien habillé, la détention provisoire devient la sanction et le jugement va transformer la détention provisoire en prison ferme, accordant souvent le sursis pour le reste. C’est un bricolage éhonté et généralisé, il suffit de lire les rubriques faits-divers pour le constater. Mais il ne produit aucune politique de respect du droit. Conscient de ces errements, et pour satisfaire une demande publique, on a introduit la comparution immédiate qui ne fait pas mieux puisqu’elle devient un jugement au rabais. Mais personne ne veut s’attaquer à une vraie reforme en profondeur de la justice qui ramènerait les délais de jugement à moins d’un an. D’autres pays le font qui sont des démocraties reconnues. En quoi est-ce impossible ?
Plus de police ?
Arrivé à se stade, nous parvenons au débat ultime qui serait dans le nombre de policiers et gendarmes et dans le budget qui leur est accordé. Faute d’une réflexion sur les délinquances, faute d’une cartographie partagée des risques, faute d’un débat serein sur la question, le seul débat se résume au plus ou moins. L’ami André Yves Portnoff donne souvent l’exemple du Dôme de Florence (1). Ce fut la plus grande coupole de son époque construite uniquement en briques. Un ouvrage exceptionnel, non parce qu’il y a beaucoup de briques, mais parce que l’architecte a utilisé la construction en épis qui fait du dôme un édifice solide et équilibré. Ajouter une brique de plus aux quatre millions savamment agencées ne servirait à rien, en prélever une ferait s’écrouler l’église. Ceci pour dire que l’important est de savoir quelle est la bonne construction, plutôt que d’additionner ou soustraire des unités.
Je ne suis pas un expert de la police et de la gendarmerie, mais ce que j’en lis, ce que j’en vois, ce que j’en vis me fait dire que nous avons un organe sans boussole, avec un management erratique et certainement pas un outil qui obéit à une stratégie, qui a une vision, qui a un plan d’action et des politiques d’évaluation lisibles.
- Petit exemple vécu. Qui a passé, pour un simple constat d’effraction, une après-midi dans un commissariat y verra un concentré de police étonnant. Des jeunes recrues désœuvrées, des agents (es) qui accueillent avec bienveillance, patience et compassion des personnes qui sont désemparées ou vindicatives, des personnages grossiers et limite racistes, des brigades qui roulent des mécaniques… Tout cela dans un même univers avec des outils informatiques et méthodologiques manifestement obsolètes.
- Second exemple vécu. Sur le Vieux port je vois débarquer des CRS. J’attends à une affaire grave. Il y a là un véhicule de transport, cinq ou six agents, dont manifestement un gradé. Le véhicule s’arrête, bloque la circulation, les CRS descendent vers un voleur, un délinquant, un trafiquant ? Non ! Ils se dirigent vers une marche de l’embarcadère des navettes Veolia où une dame de 50 ans, SDF certainement, s’est installée avec une glacière pour vendre à la sauvette des boissons fraîches. ! Nous sommes bien protégés.
- Troisième exemple vécu. Dans le secteur Gambetta Canebière, j’ai été cambriolé : effraction, vol d’ordinateur et appareil photo. Nous retrouvons des traces qui indiquent que le voleur, sportif, est passé par des jardins intérieurs. Puis nous découvrons qu’au moins quatre appartements ou bureaux entourant les jardins ont été fracturés et dévalisés de la même façon. Un rôdeur a été vu en repérage sur les murs mitoyens. Tous ces faits sont signalés au commissariat de Noailles et manifestement n’intéressent pas nos interlocuteurs, voire les embarrasse, ils sont « débordés » par quoi on ne sait quoi et ne savent pas où « classer » ces informations !
On pourrait multiplier ces exemples vécus. Cette délinquance de proximité n’intéresse pas nos policiers et nos dirigeants et si l’on multipliait par deux les effectifs de Noailles, je ne suis pas sûr que nous aurions avancé d’un iota vers plus de sécurité vécue.
La question centrale que personne ne pose, porte sur le diagnostic détaillé de l’insécurité, sur la stratégie des forces de polices, sur les plans d’actions, sur le management et l’expertise, sur les compétences et sur les objectifs, sur les résultats tangibles.
Insécurité et exemplarité
On parle de l’insécurité comme s’il s’agissait d’un prurit localisé, le plus souvent dans des quartiers ou populations ciblées. L’insécurité est un symptôme d’une société malade. Dans l’histoire des civilisations, retournez à vos manuels d’histoire, les fins de règne, les fins d’époque, les fins de civilisations sont toujours marquées par un délitement de la sécurité de personnes et ceux qui en souffrent le plus sont toujours ceux d’en bas.
Par contre, restaurer un état de droit avec le respect de la règle, de la loi, de l’éthique ne peut venir que d’en haut. Albert Schweitzer disait « L’exemplarité n’est pas une façon d’influencer, c’est la seule. ». Lorsque la transgression est instaurée en modèle, lorsque les affaires sont banalisées, lorsque le jeu des grands consiste à échapper à l’impôt, lorsque les dirigeants politiques s’affranchissent pour eux-mêmes des règles, lorsque des services publics tolèrent à l’antenne des personnes condamnées pour racisme, lorsque les voitures de police roulent sur les voies de tram… il est vain de penser une politique de lutte contre les insécurités car elle sera perçue par ceux d’en bas, victimes comme délinquants, comme illégitime. La liste serait longue de cette tolérance goguenarde, de ce mépris avéré de la loi, de cette incivilité gradée. C’est une spécificité latine. Son extrême nous conduit à l’Italie ou il a fallu des années pour que s’ébranle le pouvoir d’un homme dont l’immoralité intégrale est avérée, et qui a transformé l’Italie en zone privée. Pensez à l’inverse qu’en Allemagne, un leader politique voit sa carrière brisée parce qu’il a pompé une partie de sa thèse d’économie !
La question de la sécurité est une question sociale, mais non en terme d’explication « sociale » de la délinquance, (il y a des experts pour cela), mais en terme de choix sociétal, de choix politique et éthique. Si tout le monde se satisfait du laxisme ambiant, associé à des coups de gueule et des rafles spasmodiques, continuons.
Si nous voulons que ça change, il ne faut pas, plus de ceci, ou moins de cela, il faut savoir quelle société nous voulons.
Est-ce que dans cette société, la simple aspiration à vivre en sécurité, avec les droits de 89 et 45, à vivre « tranquille », est fondamentale, ou est-ce un argument facho ?
Christian Apothéloz