Le journaliste : déblog'notes

Décentralisation – Un mot à suivre : la clause générale de compétence

par | 28 avril 2014

Le débat sur la décen­tra­li­sa­tion est repar­ti. Nous croyions bête­ment avec Marylise Lebranchu (ex-ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique) que nous étions dans l’acte III de la décentralisation.

Nous entrons dans l’acte Valls. Laissera-t-il son nom à une loi signi­fi­ca­tive ? Nous avons connu Gaston Defferre, un vrai décen­tra­li­sa­teur (mars 1982), élu local il avait ron­gé son frein face au pou­voir gaul­liste, puis gis­car­dien comme maire de Marseille. Qui se sou­vient qu’il avait fal­lu une péti­tion des Marseillais pour obte­nir les finan­ce­ments chi­che­ment mesu­rés du métro mar­seillais ? Puis vint Chevènement, un jaco­bin décon­cen­tra­teur, il mit de l’ordre dans les métro­poles et fit un pas en avant, vite frei­né par les baron­nies locales. Enfin, nous vécûmes la réforme Raffarin qui, à la fois ins­crit le prin­cipe dans les fon­de­ments de la République, mais aus­si crée un embrouilla­mi­ni illi­sible. (Voir la chro­no­lo­gie de la Documentation fran­çaise)

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Le débat a tou­jours une par­tie visible. Simpliste : le mille-feuille ter­ri­to­rial, le coût de cette super­po­si­tion, la dilu­tion des res­pon­sa­bi­li­tés, et sur­tout le fait que le citoyen ne sait plus qui décide quoi.

Le gag est de lier éco­no­mie et décen­tra­li­sa­tion. À ce jour, chaque geste de décen­tra­li­sa­tion a entraî­né des sur­coûts et non des économies.

Il y a de bonnes rai­sons. Lorsque l’État délègue les lycées aux régions, le ter­ri­toire est sous-équipé, les lycées exis­tants sont déla­brés et la carte régio­nale est loin d’être cor­rec­te­ment cou­verte. En confiant à des élus de proxi­mi­té la ges­tion, la construc­tion et l’en­tre­tien des lycées, on a consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té la fac­ture, mais aus­si l‘équipement de l’Éducation natio­nale. Dont acte.

Par contre, il y a de très mau­vaises rai­sons qui font aug­men­ter la fac­ture. Elles tiennent dans ce petit mot que j’annonce en titre : la clause géné­rale de com­pé­tence. Une notion un peu tech­nique que l’on se garde bien de mettre en débat public. Elle est pour­tant simple. Le légis­la­teur a pré­vu de longue date des com­pé­tences défi­nies et ciblées. Pour cer­taines, c’est clair et pré­cis pour d’autres, c’est flou et ouvert à toutes les dérives. Le terme de com­pé­tence géné­rale accor­dé aux col­lec­ti­vi­tés évoque “une capa­ci­té d’intervention géné­rale, sans qu’il soit néces­saire de pro­cé­der à une énu­mé­ra­tion de leurs attri­bu­tions”. C’est le “prin­cipe de libre admi­nis­tra­tion des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales”. Autrement dit la capa­ci­té d’une col­lec­ti­vi­té ter­ri­to­riale à inter­ve­nir sur tous les sujets, pour­vu que l’assemblée, son pré­sident en ait déci­dé ain­si « au nom de l’intérêt local ». Énoncée ain­si, cette règle n’a rien d’extravagant. Et pour­tant, c’est là que gît le mal abso­lu de la décentralisation.

Chaque élu veut sa propre action éco­no­mique, pour dire qu’il fait quelque chose pour l’emploi, sa propre poli­tique cultu­relle, sa propre poli­tique asso­cia­tive pour récom­pen­ser ses citoyens etc., Chaque élu veut signer son pro­jet, mais en même temps, il est sol­li­ci­té par tous les autres. Les acteurs du déve­lop­pe­ment, de la soli­da­ri­té, de la culture et de l’équipement passent, alors leur temps à faire des tours de tables aus­si impro­bables que chro­no­phages. Un seul exemple : on aura enten­du en 2012, un ministre des trans­ports sol­li­ci­ter for­te­ment le Conseil géné­ral des Bouches du Rhône pour qu’il finance le contour­ne­ment… d’Avignon. (À hau­teur de 5 mil­lions d’euros tout de même !) Cherchez l’erreur !

Les res­pon­sables d’association ont tous enten­du les ser­vices d’une col­lec­ti­vi­té ou les élus leur susur­rer qu’ils pour­raient les finan­cer, si le voi­sin met­tait au pot. Le résul­tat est que pour un rond-point ou pour une fête de quar­tier, il faut réunir deux, trois ou quatre col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales plus l’État, pour bou­cler un bud­get. Passons sur l’énergie per­due des por­teurs de pro­jets. L’enchevêtrement des finan­ce­ments fait que dans chaque col­lec­ti­vi­té et dans les ser­vices de l’État, il y aura un char­gé de mis­sion, voire un ser­vice mobi­li­sé pour ins­truire le dos­sier, le faire voter, éva­luer sa réa­li­sa­tion et sol­der les paie­ments. Qui paye ?

Les élus ne mettent pas ce vrai sujet sur la table, car il est le vivier du clien­té­lisme ordi­naire. Chacun veut « libre­ment » finan­cer ses petits à côté. La cam­pagne des séna­to­riales qui va s’ouvrir offre d’ailleurs le triste spec­tacle de cette dis­tri­bu­tion des prix aux bons votants.

Le pire est lorsque cette caco­pho­nie s’entend sur une com­pé­tence aus­si vitale que le loge­ment. Nous savons que l’impression d’appauvrissement vécue par nos contem­po­rains est due au coût exor­bi­tant du loge­ment en France. Le ménage fran­çais dépense 10 % de plus que le ménage alle­mand pour se loger. La loi Duflot, la Loi Alur sur le loge­ment ne chan­ge­ra rien, hélas. Nous avons construit un sys­tème qui rend la construc­tion impos­sible dans des délais rai­son­nables. Selon les pro­fes­sion­nels, un fois que vous avez iden­ti­fié un ter­rain, véri­fié qu’il est construc­tible et bâti un pro­jet, il vous fau­dra au moins cinq ans avant de mettre une pel­le­teuse en action. Construire, et encore plus construire du loge­ment social, dans ces condi­tions relève de l‘héroïsme. Si vous avez un doute regar­dez ci des­sous le tableau des « com­pé­tences » réa­li­sé par le Certu, le Centre d’études sur les réseaux, les trans­ports, l’urbanisme et les construc­tions publiques.

Si vous vous y retrou­vez, cha­peau ! Car aux com­pé­tences, lorsqu’elles sont croi­sées, s’ajoutent les concer­ta­tions, les consul­ta­tions, les plans & sché­mas, qui ouvrent la voie à tous les recours, à tous les retards, et noient toutes les responsabilités.

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Mairie d’Avignon

Supprimez la clause géné­rale de com­pé­tence et une seule col­lec­ti­vi­té aura la res­pon­sa­bi­li­té d’un domaine précis.

Et ça marche. Pour l’éducation, Gaston Defferre a sau­cis­son­né nos chers enfants en trois parts : les écoles pri­maires aux com­munes, les col­lèges aux conseils géné­raux et les lycées aux régions. À l’époque, j’ai trou­vé que cette façon de cou­per en trois les minots était peu res­pec­tueuse. Avec le recul, le bilan est des plus posi­tif. L’État est res­té le garant de la cohé­rence de l’éducation ; régions, dépar­te­ment et com­munes se sont empa­rés du sujet et ont fait un tra­vail tout à fait consi­dé­rable. Mais il n’est pas ques­tion pour un élu de débor­der sur la com­pé­tence d’un autre, d’appeler au secours pour bou­cher un bud­get, ou de se repo­ser sur l’incurie sup­po­sée de l’élu d’à côté ou d’en face. Il n’y a pas de tour de table pour un lycée, un col­lège, une école. Sinon, nos enfants et petits enfants seraient à la rue ! On sait qui doit payer et qui est res­pon­sable. Il n’y a pas, en l’occurrence, de com­pé­tence géné­rale. Un exemple simple à suivre.

À la limite le nombre de col­lec­ti­vi­tés importe moins que la répar­ti­tion rigou­reuse de leurs compétences.

Et cette répar­ti­tion rigou­reuse devrait inclure aus­si les ser­vices de l’État. Exemple. On parle depuis des mois, voire des années de confier aux régions le déve­lop­pe­ment éco­no­mique. Mais les ser­vices concer­nés de l’État, la direccte, n’ont pas rejoint les ser­vices de la Région. On duplique joyeu­se­ment et chè­re­ment. On parle donc d’une res­pon­sa­bi­li­té délé­guée, mais qui doit se faire en concer­ta­tion avec l’État. Puis en concer­ta­tion avec les métro­poles. Il n’y a plus de capi­taine à bord, on per­pé­tue le mille-feuille et le citoyen ne sait tou­jours pas qui est res­pon­sable de l’emploi sur son territoire.

L’acte 3 ou 4 de la décen­tra­li­sa­tion adoptera-t-il la com­pé­tence unique ? Elle géné­re­rait des éco­no­mies substantielles.

Ou nos assem­blées se conten­te­ront, de com­pro­mis en com­pro­mis, d’un choc de sim­pli­fi­ca­tion ané­mique qui laisse aux petits pou­voirs locaux leur argent de poche. Justement l’argent qui manque dans les poches du contribuable.

Marseille, le 28 avril 2014

Christian Apothéloz