La disparition de Jacques Chirac, le déluge d’hommages et les quelques voix qui nuancent invitent à s’interroger sur le politique, sur son action et in fine son exercice.
Le politique est par essence un monde de combat, de conflits, d’affrontements. Il est exercice du pouvoir et le pouvoir est une essence qui ne se laisse pas saisir aisément. Tous ceux qui croient, font semblant de croire, ou font croire que l’exercice politique pourrait devenir lissé, tranquille, cool, sont des doux rêveurs, des cyniques ou des hypocrites. Le pouvoir, est pouvoir sur les autres (j’entends ceux qui me disent mais non « avec les autres », MDR !) et donc rapport de force.
La vie de nos politiques est ainsi faite, de coups, d’alliances, de mésalliances et de trahisons. Elle enchaîne succès et chutes, rebonds et plongeons, avec une intensité romanesque qui surpasse la vie du commun des mortels.
C’est parce que nous avons partagé ce roman, ce théâtre comme dit justement Michel Péraldi, que nous finissons par aimer l’acteur, même si nous avons blackboulé l’édile et maudit sa politique. Ainsi en est-il de la Chiracmania. Mais une fois que nous avons salué la performance d’acteur, nous nous interrogeons sur le rôle joué, écrit, assumé. Sur le bilan et sur l’action. Et nous voyons alors se dessiner deux invariants de la vie politique :
- L’homme politique doit conquérir. La campagne électorale, les jeux de parti et d’assemblée, les campagnes, les affrontements médiatiques sont les ingrédients de cette conquête. Il faut y être pugnace, retors, résolu, blindé et malin.
- L’homme politique doit gérer. « Naturel, il s’est fait élire pour cela » direz-vous. Cet exercice souvent rébarbatif, technique, lent, long (« putain deux ans ! ») ennuie manifestement certains, ne passionne pas d’autres, qui délèguent, survolent, reculent, parent à l’urgence, cèdent au quotidien, laissent filer le pays, la ville à ses dérives. D’autres y voient leur accomplissement, s’attachent au long terme, ont une vision, qu’ils peinent à faire partager, et prennent des décisions qui seront visibles une décennie plus tard.
En énonçant ces évidences, chacun a mis des noms sur ces deux talents, il y a les hommes de la conquête et il y a les hommes de la gestion transformatrice.
La démocratie donne une prime aux premiers, il faut conquérir pour gérer. Nous ne sommes ni dans l’entreprise, ni dans l’administration, où la reconnaissance sur CV d’une compétence peut aboutir à une nomination.
Nous sommes donc principalement gouvernés par des femmes et des hommes qui ont des talents de conquistador. Les femmes et hommes de conviction, doivent surmonter leur ADN pour partir à la bataille et ils y sont rarement les meilleurs.
Archétypes d’homo politicus, Jean Claude Gaudin est évidemment un homme du combat, il a aimé et a gagné dans l’adversité, il flaire, il ressent, il joue et gagne. Mais l’exercice du pouvoir l’ennuie. Combien de fois les journalistes l’ont entendu dire : « je vais vous lire le discours que m’ont préparé mes collaborateurs » pour annoncer un projet économique par exemple. Puis la corvée finie, il reprend son habit, sa gouaille et son sourire et narre une anecdote, flatte un invité ou décoche des flèches assassines sur l’adversaire du jour. Bravo l’artiste !
Je vous laisse remplir le tableau avec vos politiques préférés. Ceux qui ont une envie de transformation, un projet, une vision sont rarement gagnants de Chaban-Delmas et à Michel Rocard en passant par Mendès-France.
La politique n’est pas un exercice ouvert, le cercle se rétrécit et l’élu devient un professionnel. La société civile est sommée et depuis longtemps de s’y investir. Mais si les concurrences professionnelles sont sérieuses dans tous les domaines, nul milieu n’exige ces compétences paradoxales, d’être un homme du projet et un homme du combat défensif et offensif permanent. À petite échelle, la vie de certaines associations peut offrir des similitudes, mais heureusement plus rarement.
Ce paradoxe à la veille de municipales explique la défection de nombreux maires et la réticence de personnalités d’exception.
Mais il n’y a pas d’issue évidente. On pourrait renoncer à la démocratie et passer en méritocratie avec un examen d’entrée à la fonction d’élu. Pas sûr que ce soit une solution ! Certains, c’est tenace aujourd’hui, magnifient le tirage au sort comme si le pur hasard devenait meilleur que le choix humain : c’est trop désespérer de l’homme. Et je déteste cette mode régressive.
Il nous faudra donc voter, choisir trop souvent par défaut ou se mouiller et prendre des coups. Ainsi va notre modèle démocratique.