Article paru dans La Lettre de l’Institut euroméditerranéen des médias.
Chaque année, ils sont plus de 26 000 dans notre région à tenter l’aventure de la création d’entreprise. 4000 d’entre eux vont reprendre une société existante, les autres partent de rien. Et quand je dis “rien”, c’est “rien” : 56 % des créateurs démarrent avec moins de 8000 euros. Et pour cause, la moitié des créateurs sont des chômeurs, 17 % depuis plus d’un an. Les deux tiers n’ont pas de formation supérieure et 18 % n’ont aucun diplôme. La création d’entreprise est en Provence Alpes Côte d’Azur plus dynamique, plus populaire, plus démocratique, mais aussi plus risquée qu’ailleurs. Après trois ans, le taux de défaillance est de 42 %, 6 points de plus que pour le reste du pays. Le méridional, contrairement aux images reçues se bat et construit, il s’aventure, il investit et s’investit, au risque de tout perdre. Dans une région peu industrieuse, la création représente un des principaux facteurs de création d’emploi : de 1993 à 2001, les nouvelles entreprises ont créé chaque année 63 000 emplois. Et pourtant le parcours n’est pas facile. Si les politiques ont le verbe facile laissant croire que chaque autorité fait le maximum et déroule le tapis devant ces aventuriers d’un nouveau monde, la réalité est plus prosaïque : seul un créateur sur douze a recours aux dispositifs d’aide et d’accompagnement. Onze sur douze se débrouillent seuls face au fisc face à l’administration, face aux clients, aux fournisseurs aux personnels. Un miracle que 60 % d’entre eux s’en sortent. Le Conseil régional souhaite améliorer la lisibilité de ces aides, renforcer l’accompagnement et accentuer les formations des créateurs, pour parvenir à une hausse de la création et surtout aller vers l’émergence d’un tissu de PME performante qui non seulement survivent mais passent les caps des 10, des 50 des 100 salariés.
C’est conscient de ces enjeux et parce j’ai moi-même été créateur d’entreprise que j’ai accepté de devenir président d’Espace Liberté, la pépinière urbaine du boulevard de la liberté à Marseille (près de la gare Saint Charles) et trésorier de 3CI, association d’aide à la création d’entreprise. L’accompagnement par des professionnels, l’organisation d’un environnement favorable de conseil et d’appui divise le taux de casse par deux. Et même en cas de défaillance, la création d’entreprise bien vécue, entourée, peut être une étape d’un parcours de retour au travail ou de promotion sociale.
Le réseau des structures d’aide à la création doit donc sortir de la charité publique pour entrer dans le service public de l’emploi, pour s’inscrire dans les stratégies offensives de création d’activités.
Que faire pour que le 1° arrondissement de Marseille qui aligne 23 % de chômeurs retrouve des couleurs, sinon aider à la création d’activités nouvelles et dynamiques ? Que faire pour que les quartiers nord sortent de la déshérence sinon y encourager la création d’activités par les habitants. La défiscalisation créée de bonnes adresse et une attractivité indéniable, mais le paradoxe est que le local ou le bureau deviennent tellement chers que les « autochtones », ceux qui devraient en bénéficier, vont s’installer ailleurs, hors zone franche. (Tandis que les petits malins bien conseillés profitent de l’effet d’aubaine !)
Seule une politique globale et pérenne peut donner un vrai coup de pouce à la création et à l’emploi. C’est un enjeu social et économique, c’est aussi un enjeu de démocratie, la liberté d’entreprendre et de réussir ne doit pas être réservée aux héritiers, elle doit être partagée, protégée, défendue. La réussite aléatoire de quelques footballeurs ne peut se substituer à une véritable égalité des chances, une égalité d’entreprendre, une égalité devant la réussite. Les créateurs d’entreprises que nous côtoyons expriment de vrais besoins : un accompagnement après la création avec un contrat de réussite, une aide à l’hébergement de leurs activités, un accès aux financements plus clair, une attitude des administrations moins malthusienne, etc. La crise des banlieues nous montre l’urgence du besoin : personne ne pourra plus faire semblant d’être surpris si la volonté d’entreprendre s’enlise, s’épuise et devient colère, ressentiment, violence.
Christian Apothéloz
Président d’Espace Liberté
* Les chiffres cités viennent des documents de préparation du Schéma de développement régional, synthèse de Jean-Marc Halle.