Le journaliste : enquêtes et reportages

Accompagner plus et mieux les aventuriers de l’emploi

par | 23 janvier 2006

Article paru dans La Lettre de l’Institut euro­mé­di­ter­ra­néen des médias.

Chaque année, ils sont plus de 26 000 dans notre région à ten­ter l’aventure de la créa­tion d’entreprise. 4000 d’entre eux vont reprendre une socié­té exis­tante, les autres partent de rien. Et quand je dis “rien”, c’est “rien” : 56 % des créa­teurs démarrent avec moins de 8000 euros. Et pour cause, la moi­tié des créa­teurs sont des chô­meurs, 17 % depuis plus d’un an. Les deux tiers n’ont pas de for­ma­tion supé­rieure et 18 % n’ont aucun diplôme. La créa­tion d’entreprise est en Provence Alpes Côte d’Azur plus dyna­mique, plus popu­laire, plus démo­cra­tique, mais aus­si plus ris­quée qu’ailleurs. Après trois ans, le taux de défaillance est de 42 %, 6 points de plus que pour le reste du pays. Le méri­dio­nal, contrai­re­ment aux images reçues se bat et construit, il s’aventure, il inves­tit et s’investit, au risque de tout perdre. Dans une région peu indus­trieuse, la créa­tion repré­sente un des prin­ci­paux fac­teurs de créa­tion d’emploi : de 1993 à 2001, les nou­velles entre­prises ont créé chaque année 63 000 emplois. Et pour­tant le par­cours n’est pas facile. Si les poli­tiques ont le verbe facile lais­sant croire que chaque auto­ri­té fait le maxi­mum et déroule le tapis devant ces aven­tu­riers d’un nou­veau monde, la réa­li­té est plus pro­saïque : seul un créa­teur sur douze a recours aux dis­po­si­tifs d’aide et d’accompagnement. Onze sur douze se débrouillent seuls face au fisc face à l’administration, face aux clients, aux four­nis­seurs aux per­son­nels. Un miracle que 60 % d’entre eux s’en sortent.  Le Conseil régio­nal sou­haite amé­lio­rer la lisi­bi­li­té de ces aides, ren­for­cer l’accompagnement et accen­tuer les for­ma­tions des créa­teurs, pour par­ve­nir à une hausse de la créa­tion et sur­tout aller vers l’émergence d’un tis­su de PME per­for­mante qui non seule­ment sur­vivent mais passent les caps des 10, des 50 des 100 salariés.

C’est conscient de ces enjeux et parce j’ai moi-même été créa­teur d’entreprise que j’ai accep­té de deve­nir pré­sident d’Espace Liberté, la pépi­nière urbaine du bou­le­vard de la liber­té à Marseille (près de la gare Saint Charles) et tré­so­rier de 3CI, asso­cia­tion d’aide à la créa­tion d’entreprise. L’accompagnement par des pro­fes­sion­nels, l’organisation d’un envi­ron­ne­ment favo­rable de conseil et d’appui divise le taux de casse par deux. Et même en cas de défaillance, la créa­tion d’entreprise bien vécue, entou­rée, peut être une étape d’un par­cours de retour au tra­vail ou de pro­mo­tion sociale.

Le réseau des struc­tures d’aide à la créa­tion doit donc sor­tir de la cha­ri­té publique pour entrer dans le ser­vice public de l’emploi, pour s’inscrire dans les stra­té­gies offen­sives de créa­tion d’activités.

Que faire pour que le 1° arron­dis­se­ment de Marseille qui aligne 23 % de chô­meurs retrouve des cou­leurs, sinon aider à la créa­tion d’activités nou­velles et dyna­miques ? Que faire pour que les quar­tiers nord sortent de la déshé­rence sinon y encou­ra­ger la créa­tion d’activités par les habi­tants. La défis­ca­li­sa­tion créée de bonnes adresse et une attrac­ti­vi­té indé­niable, mais le para­doxe est que le local ou le bureau deviennent tel­le­ment chers que les « autoch­tones », ceux qui devraient en béné­fi­cier, vont s’installer ailleurs, hors zone franche. (Tandis que les petits malins bien conseillés pro­fitent de l’effet d’aubaine !)

Seule une poli­tique glo­bale et pérenne peut don­ner un vrai coup de pouce à la créa­tion et à l’emploi. C’est un enjeu social et éco­no­mique, c’est aus­si un enjeu de démo­cra­tie, la liber­té d’entreprendre et de réus­sir ne doit pas être réser­vée aux héri­tiers, elle doit être par­ta­gée, pro­té­gée, défen­due. La réus­site aléa­toire de quelques foot­bal­leurs ne peut se sub­sti­tuer à une véri­table éga­li­té des chances, une éga­li­té d’entreprendre, une éga­li­té devant la réus­site. Les créa­teurs d’entreprises que nous côtoyons expriment de vrais besoins : un accom­pa­gne­ment après la créa­tion avec un contrat de réus­site, une aide à l’hébergement de leurs acti­vi­tés, un accès aux finan­ce­ments plus clair, une atti­tude des admi­nis­tra­tions moins mal­thu­sienne, etc. La crise des ban­lieues nous montre l’urgence du besoin : per­sonne ne pour­ra plus faire sem­blant d’être sur­pris si la volon­té d’entreprendre s’enlise, s’épuise et devient colère, res­sen­ti­ment, violence.

Christian Apothéloz
Président d’Espace Liberté

* Les chiffres cités viennent des docu­ments de pré­pa­ra­tion du Schéma de déve­lop­pe­ment régio­nal, syn­thèse de Jean-Marc Halle.