Article paru dans le Figaro Économie.
Privé. Qu’on se le dise, ces 1000 hectares de piste et de garrigue entre Marseille et Toulon, sont privés. Le circuit du Castelet est l’oeuvre d’un capitaine d’industrie obstiné et ambitieux, Paul Ricard. À 86 ans, comme il y a 26 ans, il est sur place pour vérifier la pose du revêtement par Colas.
Fin des années 60, le leader du pastis acquiert ces terrains, afin d’y bâtir un lieu pour les siens et pour les salariés de l’entreprise avec villas, installations de loisirs, aires de jeux, piscines.… L’administration s’y refusa. À défaut, Paul Ricard construit un aéroport privé susceptible d’améliorer la desserte de l’ouest varois. Puis survolant le site, il décide de dessiner là un circuit automobile. Il associe au projet les meilleurs pilotes de l’heure comme Jean-Pierre Beltoise, il conçoit, il finance. En 10 mois, le premier circuit moderne de France voit le jour : près de six kilomètres d’un ruban de bitume de 12 mètres de large avec 17 virages et une ligne droite de 1,8 km et ses infrastructures, pour les journalistes, pour les écuries, pour le public. “Je n’ai jamais lésiné dans mes rêves “, dira l’entrepreneur. Le 19 avril 1970, le ruban est coupé. En juin, la F1 déboule sur la piste. En alternance avec Dijon, jusqu’en 85, puis pendant 5 années consécutives, le Paul Ricard organise le Grand prix de France de Formule 1. Alain Prost, enfant chéri du Castelet salue “la grande sécurité active et passive du circuit” et apprécie “la difficulté technique des courbes”.
13 compétitions, puis Magny Cours prend le relais. Rude coup pour le circuit varois qui encaisse mal cette concurrence jugée déloyale d’un circuit largement assisté par les plus hautes autorités de la Nièvre… et de l’Etat.
La F1 n’est plus là, le circuit demeure une temple des sports mécaniques avec le Bol d’or. Depuis 1978, les motards ont pris le chemin du plateau de Camp. Une horde déferlante qui envahit une fois par an, toutes les routes de la région. 30 000 motos, 60 000 participants. Des concerts, des cascades, une ambiance où ce qui se joue sur la piste compte autant que le spectacle des spectateurs.
Mécanique toujours, mais avec les camions. En 85, le Grand prix international du camion choisit le soleil du Var. Les routiers larguent les limitations de vitesse et cherchent l’exploit aux commandes de monstres débridés. Même les pilotes auto sont séduits par cette compétition insolite. 30 000 spectateurs viennent communier avec les gros cubes et apprécier les concours de beauté des mastodontes spécialement décorés pour la circonstance.
Le circuit vit. On y croise Pasqua ou Renaud, PPDA, Boujenah ou Lecomte. Même sans la foule des grands jours, le calendrier se remplit d’essai, de démonstrations, de cours de pilotage.La société Oréca propose à ses clients des cours de conduite à risque : comment réagir sur une plaque de verglas ou comment maîtriser un aqua-planing ou organise des incentives. Les chefs d’entreprises offrent ici volontiers à leurs clients ou prospects une journée d’émotions à bord de petits bolides.
ça tourne, mais ce n’est pas une affaire rentable financièrement pour Ricard. Il est géré comme une “département” de la société, filiale du groupe Pernod Ricard. François Chevalier, directeur depuis 26 ans est à la tête d’une petite équipe d’une quinzaine de personnes. Les grandes manifestations sont confiées à des professionnels spécialisés : Moto Revue des éditions Larivière pour le Bol d’or ou France Route des Éditions du monde pour le Grand prix du camion.
Le circuit réalise à lui seul un chiffre d’affaires de 20 MF, dont six millions de location du terrain à Paul Ricard. Bon an, mal an, la société Ricard y laisse une dizaine de millions de francs à mettre au crédit de sa communication.
Une compétition comme le Grand prix de France ajoute une dimension internationale décisive. Le circuit Paul Ricard a dressé les plans des aménagements indispensables pour se mettre aux normes de la FIA. Et Patrick Ricard a fixé l’enveloppe : pour un franc public, la société mettra un franc. Jean-Claude Gaudin pour le Conseil régional et Hubert Falco pour le Conseil général ont accepté de verser chacun 20 MF. Chiffrés à 80 MF les travaux ont été ramenés à 50 MF. La société Ricard, qui doit faire face à une baisse de consommation du pastis et à une hausse des taxes sur l’alcool est en pleine restructuration de ses usines. Pas question donc de laisser filer le budget.
D’autant que le Grand prix de formule 1 n’est pas forcément une bonne affaire pour le bilan. “C’est un formidable vecteur d’image, avoue François Chevalier. Mais il ne laisse rien dans les caisses.” Pour la dernière année de la F1 au Castelet, la compétition a coûté, hors investissements, 30 millions de francs et en a rapporté autant. La Fédération internationale se réserve en effet tous les droits de retransmission audiovisuels et la publicité dans l’enceinte. L’organisateur ne peut se rémunérer que sur les entrées et la location des stands. Et il doit en plus régler à la FIA, un “plateau”, le prix à payer pour aligner les bolides au départ. C’était 1,4 millions de dollars en 90. En 96, la FIA exige 4 millions de dollars. L’édition 96 coûterait 45 MF en fonctionnement et ne pourrait rapporter au mieux que 35 MF. Bernard Ecclestone, vice-président en charge des affaires promotionnelles est gourmand et les négociations sont serrées.
François Chevalier reste pourtant optimiste. “C’est notre tour”, affirme-t-il.
Christian Apothéloz