Dossier paru dans le Nouvel Économiste.
Fin février, sous les voûtes du palais des papes, en Avignon, chefs d’entreprises de l’agroalimentaire, patrons de la grande distribution, banquiers et enseignants dégustent avec application le Déli’chèvre, la Brouffade à l’Arlésienne, la Matinelle, la Tartiflette ou le Cherrymisu. Des mets inconnus, futuristes et traditionnels à la fois, pures inventions d’étudiants d’Avignon et de Marseille. Chaque plat a son histoire, son package, sa promo et sa recette de fabrication prêts à l’emploi. Les meilleurs seront présentés à la grande messe de l’agroalimentaire français, au Sial. Anxieux, les étudiants sont des « spécialistes du marketing », formés à l’Isema, l’Institut d’enseignement supérieur au management agroalimentaire et des « experts en nutrition » de IUP marseillais « Produits de consommation alimentaires ». Ce concour annuel des « Nouveaux produits » est un symbole de la vitalité de la branche agroalimentaire en Provence et une réussite pédagogique. « La plupart de nos étudiants ont trouvé un employeur avant la fin de leurs études », confirme Dominique Ladevèze, ingénieur agro et directeur de l’Isema.
Au plus dur de la crise, lorsque la consommation elle-même était en régression, l’agroalimentaire est resté en croissance. Et la reprise en 97 est à deux chiffres. « La croissance de l’activité agroalimentaire, souligne Alain Roussel de la Banque de France est de 14 %, confortée par une progression du commerce de gros alimentaire de 13 %. L’export a cru de 27 %. en 97 ».
Le secteur emploie dans la région, près de 20 000 salariés et réalise un chiffre d’affaires de 40 milliards de francs. Dans le Vaucluse, les IAA emploient un salarié de l’industrie sur quatre ! Une étude de 1996 de la Banque de France relève que la valeur ajoutée par salariés est plus forte ici (420 kF par salarié) que dans le reste de la France, par contre l’investissement y est plus faible.
Les IAA sont en Provence affaire de PME. Les Bouches du Rhône comptent 2 400 établissements dont seulement une cinquantaine dépasse les 50 salariés, des grandes enseignes appartenant à des groupes aux dimensions européennes : la Générale sucrière, Ricard et Orangina, Rivoire & Carret-Lustucru, Nestlé, Haribo,…Comme dans les autres secteurs industriels, les grandes entreprises ont perdu de l’emploi, alors que la création nouvelle est le fait des petites unités.
Les senteurs de Provence et les saveurs de l’Orient
Si les chiffres donnent l’illusion d’une homogénéité de cette branche, la réalité des entreprises provençales est un kaléidoscope où se mélangent toutes les traditions et toutes les trajectoires. Qu’y a‑t-il de commun entre l’usine Gyma des frères Ducros à Carpentras, qui congèle des épices importées de quatre coins du monde avec le grand laboratoire d’Orangina sur le plateau de Signes dans le Var, qui fabrique en secret le concentré de la célèbre petite bouteille ronde ? Quelles ressemblances entre la cuisson du couscous Férrero à Vitrolles et la fabrication du pastis Janot à Aubagne ?
Peut-être une histoire commune. Dans le Vaucluse, l’histoire de productions du soleil. Le premier département producteur de tomates a naturellement sur ses terres le premier fabricant de conserves de tomates : la coopérative le Cabanon. Les cerises du Lubéron sont naturellement confites à Apt par Ciprial, première unité française de cerises confites. Et les odeurs de la garrigue ont certainement inspiré les frères Ducros, lorsqu’ils ont créé leurs épices.
Une histoire agricole donc, qui a Marseille se double d’une histoire coloniale. Le port est depuis des siècles le passage obligé des richesses du monde, du Bassin méditerranéen et de l’Orient. Le négoce fera la fortune de Marseille au XIX° et au début du XX° siècle. Les huileries, les savonneries, les usines de traitement des dates, par exemple font le bonheur d’aventuriers de l’industrie, souvent venus du nord, d’Alsace, de Suisse ou d’Allemagne. « Il y avait 52 sociétés qui comme Micazar, traitaient les dates à Marseille, quand mon père s’est installé, » se souvient André Dewavrin, patron de la société Color. « Tout se traitait alors à la main, Color embauchait 500 saisonniers pour traiter 1000 tonnes de date en trois ou quatre mois. »
Le temps révolu des colonies
Avec les années soixante, les indépendances africaines et la crise du port, les usines ont fermé une à une. Même Nestlé a du pendant des années contourner le port de Marseille pour s’approvisionner en café. Mais ceux qui sont là aujourd’hui ne sont pas des héritiers. Les affaires construites sur le négoce ou la première transformation ont été emportées.
André Dewavrin, issu de la grande famille du textile du nord, de Tourcoing, doit un peu au hasard son héritage. Avec l’acquisition de ce qui deviendra Pomona, sa famille devint propriétaires d’une palmeraie en Algérie. En 1947, André, son père, choisit Marseille et fonde la Compagnie des oasis de l’oued Rihr (Color). Il se lance dans le conditionnement des dates. En 1962, les événements d’Algérie privent la société de sa source d’approvisionnement. Il diversifie alors ses achats et demeure une des seules sociétés indépendantes du secteur. Et c’est au début des années quatre-vingt, que la société sort de la monoproduction. Les pays producteurs transforment et conditionnent en effet eux-mêmes les dates. Et les clients, la grande distribution, recherchent des fournisseurs, des « grossistes » pour toute la gamme des fruits secs. Pour satisfaire aux besoins des linéaires, il faudra changer de métier, raisonner produits et packaging, travailler à flux tendu, respecter des normes draconiennes. Color devra renoncer à son indépendance et rejoindre un groupe plus puisant, VGB Holding, pour investir dans une nouvelle unité de fabrication dans la zone franche de Marseille.
Les pieds noirs fourniront un contingent d’entrepreneurs audacieux. Jean-Claude Béton, en est le modèle. En 1962, il a pour seuls bagages sa boisson pétillante et orangée, il s’installera sur la Canebière, puis écrira une véritable saga. La marque cédée à Pernod Ricard, puis à Coca, s’évalue à 5 milliards de francs. Tous ne connaîtront pas la même destinée. Les frères Ferrero, des enfants du quartier Belcourt à Alger vont transférer leur savoir faire à Vitrolles en 1964. En 1972, ils cèdent la société pour moitié au groupe Skalli, pour moitié à Panzani. Réunis avec les couscous Ricci, issus de Blida, ils donneront naissance à la société Férico qui produit 60 % du couscous français. Pas question là non plus de s’endormir sur un produit à clientèle, maghrébine et pieds noirs, captive. Henri Grange, directeur général depuis 20 mois vient de créer un service marketing dans la société, il veut imposer le couscous comme plat d’accompagnement et lance de nouveaux produits. Le couscous se prépare désormais en sachet cuisson, comme le riz, il est complet et biologique, et il s’est soumis aux exigences de la norme Iso 9002.
La loi implacable des hypers
La tradition est un atout, elle n’est pas un passeport pour pénétrer les marchés d’aujourd’hui. Les vingt dernières années sont celles de l’entrée des PMI de l’agroalimentaire dans la grande distribution.
Au commencement était la guerre. La grande distribution triomphante ne jurait que par les grandes marques et par ses propres produits comme les « produits libres » de Carrefour. Le linéaire devait être simple et la concurrence se faisait sur les prix. Les PMI de l’agroalimentaire étaient alors des empêcheurs de concentrer en rond. Inventives, novatrices, elles s’installaient dans des niches, qui échappaient à cette logique d’uniformisation de la consommation. Et lorsqu’une PMI se retrouvait en grande surface, elle devait s’aligner, écraser ses marges, et se mettre en dépendance d’un donneur d’ordre unique et exigeant. Beaucoup y ont laissé leur peau, tuées par les commissions et les surcommissions, les délais de paiement et les déréférencements sauvages. À tel point que Marc Pouzet, le PDG de Marius Bernard ne voulait distribuer sa bouillabaisse que par le biais des détaillants, bouchers, charcutiers et traiteurs !
Depuis le paysage a changé. La grande distribution demeure un client à risque, qui vit du crédit fournisseur. Mais le consommateur a imposé ses choix. Il veut de la diversité, du terroir, de la nouveauté. Et Marius Bernard a maintenant des présentoirs dans tous les hypers. « L’industriel qui négligerait la grande distribution ferait fausse route, souligne Dominique Ladevèze, directeur de l’Isema. Les combats menés par la profession ont permis de rééquilibrer le rapport de force. Nous avons vécu ici, parce que l’Isema est un lieu neutre de formation, de discussion et d’échanges, un apprentissage réciproque ». « La grande distribution, souligne Joseph Pérez, PDG de la Chaix, une banque du CCF très présente dans ce secteur, s’achète une bonne conscience régionale. »
L’univers reste sans pitié. Christian Guinchard qui dirige à Marseille une petite entreprise de produits laitiers, La Fermière, a su percer chez Continent ou Métro, avec ses yaourts cloisonnés : d’un côté yaourt, de l’autre miel ou sirop d’érable, ses brousses et ses crèmes fraîches. « Mais nous devons inventer un nouveau produit par an. Et nous savons que s’il marche, il sera repris ou cloné par un des deux grands du secteur ».
D’autres ont saisi l’opportunité de la production pour ces fameuses marques « distributeur » (MDD). Si Férico avoue sans problème qu’il emballe son couscous dans d’autres cartons, certains doivent agir avec circonspection. Ainsi telle petite entreprise des Alpes du Sud ne doit pas se vanter de fabriquer les barres céréales de Décathlon.
Un patronat stratège
Pour tous, le référencement est devenu la clef du décollage. Le temps du génial inventeur est révolu. Le patron de l’agroalimentaire doit savoir capter les modes, restreindre ses coûts, piloter la logistique et négocier avec les acheteurs. La profession s’est collectivement organisée pour faire face à ces défis. Il y a 14 ans, lors de l’arrivée de l’Espagne, alors redoutée dans le marché commun, le monde agricole et agroalimentaire était inorganisé, sur al défensive. Marc Pouzet, pris alors les choses en main La première initiative fut de créer avec les chambres de commerce et d’agriculture, les Rencontres méditerranéennes de l’agroalimentaire. Un rendez-vous d’affaires destiné à séduire les acheteurs étrangers. La manifestation ne résistera pas à son intégration dans le giron de la Chambre de commerce de Marseille, mais les patrons avaient appris à se connaître. La Fédération régionale des industries agroalimentaires était née. Mais elle dut rester à la porte du Cnpf et de l’Union patronale durant des années : Marc Pouzet avait eu l’audace inacceptable, d’accepter l’adhésion des coopératives.
L’Ania par contre lui réserva un accueil chaleureux :“Non seulement vous avez eu une très bonne idée en regroupant les deux mondes, lui dit son président, mais vous avez dix ans d’avance, vous serez notre première fédération régionale.“
Interlocuteur privilégié du Conseil régional, la Friaa a suscité al création d’un centre de transfert de technologies, le Critt. « Il s’agit d’aller chercher dans l’entreprise des besoins exprimés ou non-révélés, explique Jacques Mus, ancien cadre dirigeant de la profession, président du CRITT agroalimentaire. Les chefs d’entreprise de ce secteur sont des créateurs géniaux, mais ils ont parfois du mal à assumer leur développement. Nous les aidons à définir leurs besoins et à trouver les compétences nécessaires. Nous sommes un peu les décodeurs entre deux mondes qui ne se comprennent pas toujours. » En quinze ans, une profession disparate dans ses productions, écartelée entre le Vaucluse agricole et Marseille la commerçante, a su se doter des moyens de son développement : Institut d’enseignement, CFA sans murs pour former des apprentis adaptés aux métiers, relais avec la recherche, (une Cellule interface alimentation nutrition santé, Cians), un Centre de pré-industrialisation du nouveau frais, pour aider le monde agricole à proposer des produits directement destinés à l’industrie, et couronnement du tout, Marc Pouzet vient d’être élu à la tête du Crédit agricole de Provence Alpes, il est le premier patron français du secteur à accéder à de telles responsabilités.
Le menu méditerranéen
Ainsi organisé, le patronat se mobilise pour faire avancer collectivement les grandes idées qui lui sont favorables. Au premier plan, les études sur l’alimentation méditerranéenne et les produits bio. Henri Grange, du groupe Skalli, (RCL, Férico,…) se souvient de l’impact sur al vente de pâtes des déclarations de sportifs, tennisman, marathoniens sur leur propre consommation de sucres lents. Les professionnels ont appuyé ce retour des pâtes, plat maudit de tous les régimes amaigrissants des années 70. « Aujourd’hui, note Marc Puygrenier, coordinateur du réseau agronomique européen et directeur de la valorisation à l’Agropolis de Montpellier, les scientifiques ont démontré les vertus de l’alimentation méditerranéenne sur la santé. Les médias ont pris le relais et les consommateurs reviennent à des modes de nutrition traditionnelle : plus de fruits, de légumes, de plats à base de céréale, de protéagineux comme les pois chiches, les haricots, de produits fibreux. Sans oublier le vin et l’huile d’olive qui ont un apport majeur en polyphénols pour l’alimentation méditerranéenne. Les acides gras saturés agissent comme prévention dans les maladies cardio-vasculaires et certains cancers. Des études Inserm et universitaires ont démontré cette convergence entre la prévention de certaines maladies et la consommation de l’alimentation méditerranéenne ». Les industriels sont demandeurs d’études montrant la qualité réelle de leurs produits. « Ils ont besoin, de l’aide de la recherche pour valider ces acquis et définir les objectifs de leur production, souligne Marc Puygrenier, qui coordonne les 25 et 26 juin prochains, en Avignon, une Rencontre technologique européenne sur le thème de l’alimentation méditerranéenne. Par exemple, dans la préparation de plats cuisinés, les industriels emploient des technologies douces de préparation pour conserver les vitamines dans les produits, respecter les fibres, ne pas oxyder les graines. »
« L’agroalimentaire ne relève pas que de l’industrie, confirme le banquier Joseph Pérez, il relève aussi de la culture, la culture du bien vivre, ne parle-t-on pas des arts culinaires. Il a ici trois atouts, le soleil qui favorise des productions de qualité, la Provence, un terroir et un label recherchés, et surtout des chefs d’entreprises d’une grande intelligence ».
Christian Apothéloz avec Florent Provansal
Historique de la FRIAA
Lors de l’arrivée de l’Espagne dans le marché commun il y a 14 ans, les milieux agricoles Paca avaient une position très défensive. Marc Pouzet alla voir Henri Mercier, président de la CCI et Maurice Rigaud, président de la chambre d’agriculture. Ils organisèrent les Rencontres méditerranéennes de l’agroalimentaires pendant cinq ans, au mois de mai. Il s’agissait d’inviter les acheteurs étrangers pour leur faire découvrir le savoir-faire de l’agrolimentaire de la région, qui était en avance sur l’Espagne. Les chefs d’entreprises régionaux ont ainsi appris à se connaître. Marc Pouzet rencontre l’Union patronale et la chambre d’agriculture et se pose la question : si on créait une grande fédération régionale ?. Le Crédit agricole aida au démarrage. La Fédération devait regrouper les industriels et les coopératives. Tollé du cNPF. Marc Pouzet rencontre le président de l’ANIA qui lui dit : “Non seulement vous avez eu une très bonne idée en regroupant les deux mondes, vous avez dix ans d’avance, mais vous serez notre première fédération régionale.” S’ensuivit la création du Critt, du Centre de pré-industrialisation des nouveaux frais, Cians et dernièrement (octobre 1997) la création de l’IFRIA.
C’est la deuxième fédération régionale en terme de chiffre d’affaires.
Marc Pouzet présidera pendant trois ans, Yves Bayon de Noyer pendant trois ans, Christian Saman, préside depuis 4 ans. Il passe la mian en octobre.
Agis met les bouchées doubles
En 10 ans, Yves Bayon de Noyer a hissé Agis au troisième rang des opérateurs français dans le secteur de plats cuisinés sous-vide derrière Danone et Fleury-Michon. En 1986, de retour du Chili où il a créé une filiale pour le groupe Sodexho, Yves Bayon de Noyer a envie de fonder sa propre entreprise en amont de la restauration collective. Il crée Agis à Châteauneuf de Gadagne dans le Vaucluse dont il est originaire. Les restaurateurs régionaux sont sa première cible. Dès la deuxième année, il s’attaque à la restauration nationale avec une gamme de 15 produits. En 1988, il embauche un commercial issu de la grande distribution Deux ans plus tard, l’entreprise est présente chez Carrefour dans les libres services traiteur grâce à une gamme de produits élaborés avec le grand chef parisien Alain Senderens. Aujourd’hui, Agis est le premier opérateur de plats cuisinés au rayon coupe. Implantée dans toutes les enseignes, l’entreprise réalise 90 % de son activité dans la grande distribution, les 10 % restant étant répartis entre les grossistes et les restaurateurs.
En 1991, Agis reprend Huong gastronomie à Tarare (69), puis en 1993 “Armor nouveau frais” à Lamballe près de Saint-Brieuc. Dernière acquisition : Petit Duc à Annecy qui fabrique des plats cuisinés farcis, notamment des lasagnes, des tortellinis et des raviolis sous la marque Di Pasto”. “Nous devons avoir, affirme Alain Bayon du Noyer, une gamme assez élargie pour intéresser la grande distribution. » Agis devrait réaliser un chiffre d’affaires consolidé de 200 millions de francs en 1997 pour un résultat net de 3,2 millions de francs. “Mon objectif, affirme ce patron ambitieux, adepte des méthodes de management du Cjd, est de franchir la barre des 400 millions de francs de chiffre d’affaires d’ici 4 ans pour pouvoir entrer en Bourse.”
Marius Bernard met en conserve la Provence
Marc Pouzet est infatigable. Le directeur général de l’entreprise Marius Bernard, basée à Saint-Chamas s’est spécialisé dans la cuisine de plats provençaux et méridionaux à partir des meilleurs produits du terroir de la Provence et notamment des matières fraîches issues de l’agriculture provençale. Ses principales recettes sont la soupe de poissons, le pistou, la tapenade, le caviar d’aubergines, la concassée de tomates au basilic, le tian de légumes. Il a choisi sa stratégie de communication depuis longtemps. “Notre PME n’a pas les moyens de communiquer par la publicité, avoue-t-il.” Alors c’est lui qui fait parler de Marius Bernard par ses engagements, son militantisme patronal et ses coups de gueule. Cet ancien élève de Sup de co Marseille, qui a passé deux ans au Crédit Lyonnais, entre en 1979 dans la société de son père Xavier Pouzet qui s’était en 1958, associé à un pâtissier, Marius Bernard.
Aujourd’hui il est à la tête de l’entreprise avec Richard Bernard, cuisinier, et fils de Marius. Marius Bernard réalise 35 millions de francs de chiffre d’affaires et a toujours été bénéficiaire. En 1994, avant la “mode”, il a instauré la semaine de quatre jours pour son personnel. “Les 38 employés travaillent 36 heures payées 37 du lundi au jeudi. Tout le monde est content. Moi car j’ai gagné en productivité, et mon personnel dont l’absentéisme a diminué de 50 %.” A 45 ans, il continue d’innover sans cesse. Les produits Marius Bernard sont présents dans la grande distribution “de qualité” du Sud-Est et chez des grands traiteurs dont Hédiard et Fauchon à Paris. À la fin du mois, une gamme de produits bio provençaux (ratatouille, caviar d’aubergines, etc…) sortira de l’usine qui vient d’être certifiée Biologique AB. “Je pense qu’après la mode des produits régionaux, affirme-t-il, viendra la mode des produits bio. Et nous serons prêts.”
VGB ouvre la voie du marché algérien
Bernard Vergez, bordelais d’origine, aurait pu à 52 ans choisir une voie tranquille pour attendre une retraite méritée de professionnel du négoce. Il décide alors, nous sommes en 1988, de créer une nouvelle entreprise au grand dam de ses amis et collègues qui lui promettent les pires difficultés. Et pourtant VG Frais va tout de suite trouver son créneau : l’importation de fruits de contre saison. Acheteur digne d’un film Nescafé, Bernard Vergez voyage, négocie, vend, achète. En Algérie, il se fait des relations, qui deviennent des amis. Ils lui font part des immenses besoins du pays en produits alimentaires. Pour commercer avec une nation en guerre civile permanente, il faut des hommes qui passent une rive à l’autre sans problème. Bernard Vergez associe alors à son entreprise deux jeunes beurs, Kamel et Bouzid Cheboub. Ils partagent les responsabilités avec les deux fils du boss : Emmanuel et Franck. VGB va devenir un des principaux exportateurs vers l’Algérie. Le groupe s’est structuré, il maîtrise sa logistique avec une filiale transports, une filiale conteneurs, il dispose de 4000 m² d’entrepôts pour les produits frais, de 6 000 pour les produits secs.
En 1993, Bernard Vergez entame des discussions avec André Dewavrin, de la société Color. Le spécialiste des fruits secs et des dates a besoin d’investir. « Ils ont un très bon amont, soulignent André Dewavrin et nous un bon aval. Ils sont dans le négoce, nous dans la transformation. Notre alliance est fondée sur cette complémentarité ». En 1996, l’intégration est formalisée. Une nouvelle usine dans les quartiers nord de Marseille, sur deux niveaux et 7 500 m²., vient d’être inaugurée, un investissement de 23 millions de francs. Aujourd’hui le groupe réalise 800 MF de chiffre d’affaire dont 500 avec l’Algérie. Cette réunion de ch’timi, de beurs et de Marseillais d’adoption, porte ses fruits, l’entreprise dégage de substantiels bénéfices. Le patriarche se met en retrait, mais son autorité demeure incontestée. « Marseille nous a adoptés et c’est un des grandes qualités de cette ville que de savoir faire un amalgame de toutes ces populations ». « Les » Ch’ti », les hommes du Nord que nous étions, renchérit André Dewavrin, se sentent aujourd’hui totalement marseillais. Peut-être parce que nous sommes des marchands, comme tous ceux qui ont fait la fortune de cette ville.
Entrepreneur de l’année 1998, Hassan El Bouod, PDG du groupe BHM : L’enfant de l’hallal
Hassan el Bouod est fils d’un agriculteur de la région d’Agadir, il a du très tôt prendre ses responsabilités. Il est le sixième enfant d’une famille de huit. Il passe des concours pour trouver rapidement un boulot. Il aurait pu être infirmier. Il fera une formation d’aide-comptable. Il devra s’arrêter là, faute de moyens.
Il s’exile alors en France et y retrouve son aîné, Mohammed, commercial indépendant dans la distribution de viandes hallal en région parisienne. Il tient sa comptabilité et obtient une carte de commerçant provisoire, c’est le sésame pour rester légalement sur le sol français. Il a un an pour trouver un commerce. Hassan et Mohammed Bouod dénichent alors un commerce de négoce de viandes hallal à Marseille, Islam Viandes, tenu par de vieux algériens qui voulaient rentrer au pays. Mais, ils n’ont pas de quoi investir. La communauté marocaine les aide à réunir une grande partie des 350 000 francs nécessaires à l’achat du fonds de commerce.
Le 1er janvier 1985, âgé de 21 ans, Hassan el Bouod est derrière son étal, dans sa boutique de la rue Pasteur, transformée en Sarl Bouod et compagnie. Il se lance dans la vente de pièces de volailles au détail, il équilibre peu à peu sa caisse et commence à rembourser ses dettes.
Au milieu de l’année 1986, le ministre de l’intérieur restreint les cartes de séjour. Hassan el Bouod est convoqué à la préfecture, il doit faire ses bagages pour le Maroc. Au tout dernier moment il décroche une nouvelle carte de séjour. C’est pour lui une humiliation qui renforce sa rage de réussir. En moins de deux ans, il a remboursé ses dettes, il décide d’ouvrir un second commerce dans l’alimentation générale.
En septembre 1986, il fonde le groupe DIAF, spécialisé dans la vente en gros et semi-gros de semoule, de couscous, d’épices et de thé.
Fin 92, il regroupe l’ensemble de ses activités dans une holding, BHM.
Il est très présent dans la distribution, avec douze boutiques à son enseigne, mais il veut maîtriser l’amont. En 1996, il achète Anjou Volailles à Chalonnes-sur-Loire, un atelier de découpe de volaille, puis, Lohoum à Nîmes, une cheville bovine et ovine, enfin Berger des Alpes à Gap, abattoir et transformateur de produits carnés.
Aujourd’hui la phase industrielle démarre avec une nouvelle unité ultramoderne construite sur la zone franche de Marseille. Il vient d’investir 17 millions de francs dans la construction d’une unité de transformation de viandes d’une capacité de 5 000 tonnes par mois.
Notre jury a été conquis par cette trajectoire étonnante d’un jeune boucher qui démarre de rien à 21 ans et qui est aujourd’hui à 33 ans, à la tête d’un groupe qui pèse 200 millions de francs de chiffre d’affaires et qui emploie 300 personnes.
Florent Provansal