Le journaliste : enquêtes et reportages

Enquête Marseille : Quand l’agroalimentaire devient un art… culinaire

par | 25 mars 1998

Dossier paru dans le Nouvel Économiste.

Fin février, sous les voûtes du palais des papes, en Avignon, chefs d’entreprises de l’agroalimentaire, patrons de la grande dis­tri­bu­tion, ban­quiers et ensei­gnants dégustent avec appli­ca­tion le Déli’chèvre, la Brouffade à l’Arlésienne, la Matinelle, la Tartiflette ou le Cherrymisu. Des mets incon­nus, futu­ristes et tra­di­tion­nels à la fois, pures inven­tions d’étudiants d’Avignon et de Marseille. Chaque plat a son his­toire, son package, sa pro­mo et sa recette de fabri­ca­tion prêts à l’emploi. Les meilleurs seront pré­sen­tés à la grande messe de l’agroalimentaire fran­çais, au Sial. Anxieux, les étu­diants sont des « spé­cia­listes du mar­ke­ting », for­més à l’Isema, l’Institut d’enseignement supé­rieur au mana­ge­ment agroa­li­men­taire et des « experts en nutri­tion » de IUP mar­seillais « Produits de consom­ma­tion ali­men­taires ». Ce concour annuel des « Nouveaux pro­duits » est un sym­bole de la vita­li­té de la branche agroa­li­men­taire en Provence et une réus­site péda­go­gique. « La plu­part de nos étu­diants ont trou­vé un employeur avant la fin de leurs études », confirme Dominique Ladevèze, ingé­nieur agro et direc­teur de l’Isema.
Au plus dur de la crise, lorsque la consom­ma­tion elle-même était en régres­sion, l’agroalimentaire est res­té en crois­sance. Et la reprise en 97 est à deux chiffres. « La crois­sance de l’activité agroa­li­men­taire, sou­ligne Alain Roussel de la Banque de France est de 14 %, confor­tée par une pro­gres­sion du com­merce de gros ali­men­taire de 13 %. L’export a cru de 27 %. en 97 ».
Le sec­teur emploie dans la région, près de 20 000 sala­riés et réa­lise un chiffre d’affaires de 40 mil­liards de francs. Dans le Vaucluse, les IAA emploient un sala­rié de l’industrie sur quatre ! Une étude de 1996 de la Banque de France relève que la valeur ajou­tée par sala­riés est plus forte ici (420 kF par sala­rié) que dans le reste de la France, par contre l’investissement y est plus faible.
Les IAA sont en Provence affaire de PME. Les Bouches du Rhône comptent 2 400 éta­blis­se­ments dont seule­ment une cin­quan­taine dépasse les 50 sala­riés, des grandes enseignes appar­te­nant à des groupes aux dimen­sions euro­péennes : la Générale sucrière, Ricard et Orangina, Rivoire & Carret-Lustucru, Nestlé, Haribo,…Comme dans les autres sec­teurs indus­triels, les grandes entre­prises ont per­du de l’emploi, alors que la créa­tion nou­velle est le fait des petites unités.

Les senteurs de Provence et les saveurs de l’Orient

Si les chiffres donnent l’illusion d’une homo­gé­néi­té de cette branche, la réa­li­té des entre­prises pro­ven­çales est un kaléi­do­scope où se mélangent toutes les tra­di­tions et toutes les tra­jec­toires. Qu’y a‑t-il de com­mun entre l’usine Gyma des frères Ducros à Carpentras, qui congèle des épices impor­tées de quatre coins du monde avec le grand labo­ra­toire d’Orangina sur le pla­teau de Signes dans le Var, qui fabrique en secret le concen­tré de la célèbre petite bou­teille ronde ? Quelles res­sem­blances entre la cuis­son du cous­cous Férrero à Vitrolles et la fabri­ca­tion du pas­tis Janot à Aubagne ?
Peut-être une his­toire com­mune. Dans le Vaucluse, l’histoire de pro­duc­tions du soleil. Le pre­mier dépar­te­ment pro­duc­teur de tomates a natu­rel­le­ment sur ses terres le pre­mier fabri­cant de conserves de tomates : la coopé­ra­tive le Cabanon. Les cerises du Lubéron sont natu­rel­le­ment confites à Apt par Ciprial, pre­mière uni­té fran­çaise de cerises confites. Et les odeurs de la gar­rigue ont cer­tai­ne­ment ins­pi­ré les frères Ducros, lorsqu’ils ont créé leurs épices.
Une his­toire agri­cole donc, qui a Marseille se double d’une his­toire colo­niale. Le port est depuis des siècles le pas­sage obli­gé des richesses du monde, du Bassin médi­ter­ra­néen et de l’Orient. Le négoce fera la for­tune de Marseille au XIX° et au début du XX° siècle. Les hui­le­ries, les savon­ne­ries, les usines de trai­te­ment des dates, par exemple font le bon­heur d’aventuriers de l’industrie, sou­vent venus du nord, d’Alsace, de Suisse ou d’Allemagne. « Il y avait 52 socié­tés qui comme Micazar, trai­taient les dates à Marseille, quand mon père s’est ins­tal­lé, » se sou­vient André Dewavrin, patron de la socié­té Color. « Tout se trai­tait alors à la main, Color embau­chait 500 sai­son­niers pour trai­ter 1000 tonnes de date en trois ou quatre mois. »

Le temps révolu des colonies

Avec les années soixante, les indé­pen­dances afri­caines et la crise du port, les usines ont fer­mé une à une. Même Nestlé a du pen­dant des années contour­ner le port de Marseille pour s’approvisionner en café. Mais ceux qui sont là aujourd’hui ne sont pas des héri­tiers. Les affaires construites sur le négoce ou la pre­mière trans­for­ma­tion ont été empor­tées.
André Dewavrin, issu de la grande famille du tex­tile du nord, de Tourcoing, doit un peu au hasard son héri­tage. Avec l’acquisition de ce qui devien­dra Pomona, sa famille devint pro­prié­taires d’une pal­me­raie en Algérie. En 1947, André, son père, choi­sit Marseille et fonde la Compagnie des oasis de l’oued Rihr (Color). Il se lance dans le condi­tion­ne­ment des dates. En 1962, les évé­ne­ments d’Algérie privent la socié­té de sa source d’approvisionnement. Il diver­si­fie alors ses achats et demeure une des seules socié­tés indé­pen­dantes du sec­teur. Et c’est au début des années quatre-vingt, que la socié­té sort de la mono­pro­duc­tion. Les pays pro­duc­teurs trans­forment et condi­tionnent en effet eux-mêmes les dates. Et les clients, la grande dis­tri­bu­tion, recherchent des four­nis­seurs, des « gros­sistes » pour toute la gamme des fruits secs. Pour satis­faire aux besoins des linéaires, il fau­dra chan­ger de métier, rai­son­ner pro­duits et packa­ging, tra­vailler à flux ten­du, res­pec­ter des normes dra­co­niennes. Color devra renon­cer à son indé­pen­dance et rejoindre un groupe plus pui­sant, VGB Holding, pour inves­tir dans une nou­velle uni­té de fabri­ca­tion dans la zone franche de Marseille.
Les pieds noirs four­ni­ront un contin­gent d’entrepreneurs auda­cieux. Jean-Claude Béton, en est le modèle. En 1962, il a pour seuls bagages sa bois­son pétillante et oran­gée, il s’installera sur la Canebière, puis écri­ra une véri­table saga. La marque cédée à Pernod Ricard, puis à Coca, s’évalue à 5 mil­liards de francs. Tous ne connaî­tront pas la même des­ti­née. Les frères Ferrero, des enfants du quar­tier Belcourt à Alger vont trans­fé­rer leur savoir faire à Vitrolles en 1964. En 1972, ils cèdent la socié­té pour moi­tié au groupe Skalli, pour moi­tié à Panzani. Réunis avec les cous­cous Ricci, issus de Blida, ils don­ne­ront nais­sance à la socié­té Férico qui pro­duit 60 % du cous­cous fran­çais. Pas ques­tion là non plus de s’endormir sur un pro­duit à clien­tèle, magh­ré­bine et pieds noirs, cap­tive. Henri Grange, direc­teur géné­ral depuis 20 mois vient de créer un ser­vice mar­ke­ting dans la socié­té, il veut impo­ser le cous­cous comme plat d’accompagnement et lance de nou­veaux pro­duits. Le cous­cous se pré­pare désor­mais en sachet cuis­son, comme le riz, il est com­plet et bio­lo­gique, et il s’est sou­mis aux exi­gences de la norme Iso 9002.

La loi implacable des hypers

La tra­di­tion est un atout, elle n’est pas un pas­se­port pour péné­trer les mar­chés d’aujourd’hui. Les vingt der­nières années sont celles de l’entrée des PMI de l’agroalimentaire dans la grande dis­tri­bu­tion.
Au com­men­ce­ment était la guerre. La grande dis­tri­bu­tion triom­phante ne jurait que par les grandes marques et par ses propres pro­duits comme les « pro­duits libres » de Carrefour. Le linéaire devait être simple et la concur­rence se fai­sait sur les prix. Les PMI de l’agroalimentaire étaient alors des empê­cheurs de concen­trer en rond. Inventives, nova­trices, elles s’installaient dans des niches, qui échap­paient à cette logique d’uniformisation de la consom­ma­tion. Et lorsqu’une PMI se retrou­vait en grande sur­face, elle devait s’aligner, écra­ser ses marges, et se mettre en dépen­dance d’un don­neur d’ordre unique et exi­geant. Beaucoup y ont lais­sé leur peau, tuées par les com­mis­sions et les sur­com­mis­sions, les délais de paie­ment et les déré­fé­ren­ce­ments sau­vages. À tel point que Marc Pouzet, le PDG de Marius Bernard ne vou­lait dis­tri­buer sa bouilla­baisse que par le biais des détaillants, bou­chers, char­cu­tiers et trai­teurs !
Depuis le pay­sage a chan­gé. La grande dis­tri­bu­tion demeure un client à risque, qui vit du cré­dit four­nis­seur. Mais le consom­ma­teur a impo­sé ses choix. Il veut de la diver­si­té, du ter­roir, de la nou­veau­té. Et Marius Bernard a main­te­nant des pré­sen­toirs dans tous les hypers. « L’industriel qui négli­ge­rait la grande dis­tri­bu­tion ferait fausse route, sou­ligne Dominique Ladevèze, direc­teur de l’Isema. Les com­bats menés par la pro­fes­sion ont per­mis de rééqui­li­brer le rap­port de force. Nous avons vécu ici, parce que l’Isema est un lieu neutre de for­ma­tion, de dis­cus­sion et d’échanges, un appren­tis­sage réci­proque ». « La grande dis­tri­bu­tion, sou­ligne Joseph Pérez, PDG de la Chaix, une banque du CCF très pré­sente dans ce sec­teur, s’achète une bonne conscience régio­nale. »
L’univers reste sans pitié. Christian Guinchard qui dirige à Marseille une petite entre­prise de pro­duits lai­tiers, La Fermière, a su per­cer chez Continent ou Métro, avec ses yaourts cloi­son­nés : d’un côté yaourt, de l’autre miel ou sirop d’érable, ses brousses et ses crèmes fraîches. « Mais nous devons inven­ter un nou­veau pro­duit par an. Et nous savons que s’il marche, il sera repris ou clo­né par un des deux grands du sec­teur ».
D’autres ont sai­si l’opportunité de la pro­duc­tion pour ces fameuses marques « dis­tri­bu­teur » (MDD). Si Férico avoue sans pro­blème qu’il emballe son cous­cous dans d’autres car­tons, cer­tains doivent agir avec cir­cons­pec­tion. Ainsi telle petite entre­prise des Alpes du Sud ne doit pas se van­ter de fabri­quer les barres céréales de Décathlon.

Un patronat stratège

Pour tous, le réfé­ren­ce­ment est deve­nu la clef du décol­lage. Le temps du génial inven­teur est révo­lu. Le patron de l’agroalimentaire doit savoir cap­ter les modes, res­treindre ses coûts, pilo­ter la logis­tique et négo­cier avec les ache­teurs. La pro­fes­sion s’est col­lec­ti­ve­ment orga­ni­sée pour faire face à ces défis. Il y a 14 ans, lors de l’arrivée de l’Espagne, alors redou­tée dans le mar­ché com­mun, le monde agri­cole et agroa­li­men­taire était inor­ga­ni­sé, sur al défen­sive. Marc Pouzet, pris alors les choses en main La pre­mière ini­tia­tive fut de créer avec les chambres de com­merce et d’agriculture, les Rencontres médi­ter­ra­néennes de l’agroalimentaire. Un rendez-vous d’affaires des­ti­né à séduire les ache­teurs étran­gers. La mani­fes­ta­tion ne résis­te­ra pas à son inté­gra­tion dans le giron de la Chambre de com­merce de Marseille, mais les patrons avaient appris à se connaître. La Fédération régio­nale des indus­tries agroa­li­men­taires était née. Mais elle dut res­ter à la porte du Cnpf et de l’Union patro­nale durant des années : Marc Pouzet avait eu l’audace inac­cep­table, d’accepter l’adhésion des coopé­ra­tives.
L’Ania par contre lui réser­va un accueil cha­leu­reux :“Non seule­ment vous avez eu une très bonne idée en regrou­pant les deux mondes, lui dit son pré­sident, mais vous avez dix ans d’avance, vous serez notre pre­mière fédé­ra­tion régio­nale.“
Interlocuteur pri­vi­lé­gié du Conseil régio­nal, la Friaa a sus­ci­té al créa­tion d’un centre de trans­fert de tech­no­lo­gies, le Critt. « Il s’agit d’aller cher­cher dans l’entreprise des besoins expri­més ou non-révélés, explique Jacques Mus, ancien cadre diri­geant de la pro­fes­sion, pré­sident du CRITT agroa­li­men­taire. Les chefs d’entreprise de ce sec­teur sont des créa­teurs géniaux, mais ils ont par­fois du mal à assu­mer leur déve­lop­pe­ment. Nous les aidons à défi­nir leurs besoins et à trou­ver les com­pé­tences néces­saires. Nous sommes un peu les déco­deurs entre deux mondes qui ne se com­prennent pas tou­jours. » En quinze ans, une pro­fes­sion dis­pa­rate dans ses pro­duc­tions, écar­te­lée entre le Vaucluse agri­cole et Marseille la com­mer­çante, a su se doter des moyens de son déve­lop­pe­ment : Institut d’enseignement, CFA sans murs pour for­mer des appren­tis adap­tés aux métiers, relais avec la recherche, (une Cellule inter­face ali­men­ta­tion nutri­tion san­té, Cians), un Centre de pré-industrialisation du nou­veau frais, pour aider le monde agri­cole à pro­po­ser des pro­duits direc­te­ment des­ti­nés à l’industrie, et cou­ron­ne­ment du tout, Marc Pouzet vient d’être élu à la tête du Crédit agri­cole de Provence Alpes, il est le pre­mier patron fran­çais du sec­teur à accé­der à de telles responsabilités.

Le menu méditerranéen

Ainsi orga­ni­sé, le patro­nat se mobi­lise pour faire avan­cer col­lec­ti­ve­ment les grandes idées qui lui sont favo­rables. Au pre­mier plan, les études sur l’alimentation médi­ter­ra­néenne et les pro­duits bio. Henri Grange, du groupe Skalli, (RCL, Férico,…) se sou­vient de l’impact sur al vente de pâtes des décla­ra­tions de spor­tifs, ten­nis­man, mara­tho­niens sur leur propre consom­ma­tion de sucres lents. Les pro­fes­sion­nels ont appuyé ce retour des pâtes, plat mau­dit de tous les régimes amai­gris­sants des années 70. « Aujourd’hui, note Marc Puygrenier, coor­di­na­teur du réseau agro­no­mique euro­péen et direc­teur de la valo­ri­sa­tion à l’Agropolis de Montpellier, les scien­ti­fiques ont démon­tré les ver­tus de l’alimentation médi­ter­ra­néenne sur la san­té. Les médias ont pris le relais et les consom­ma­teurs reviennent à des modes de nutri­tion tra­di­tion­nelle : plus de fruits, de légumes, de plats à base de céréale, de pro­téa­gi­neux comme les pois chiches, les hari­cots, de pro­duits fibreux. Sans oublier le vin et l’huile d’olive qui ont un apport majeur en poly­phé­nols pour l’alimentation médi­ter­ra­néenne. Les acides gras satu­rés agissent comme pré­ven­tion dans les mala­dies cardio-vasculaires et cer­tains can­cers. Des études Inserm et uni­ver­si­taires ont démon­tré cette conver­gence entre la pré­ven­tion de cer­taines mala­dies et la consom­ma­tion de l’alimentation médi­ter­ra­néenne ». Les indus­triels sont deman­deurs d’études mon­trant la qua­li­té réelle de leurs pro­duits. « Ils ont besoin, de l’aide de la recherche pour vali­der ces acquis et défi­nir les objec­tifs de leur pro­duc­tion, sou­ligne Marc Puygrenier, qui coor­donne les 25 et 26 juin pro­chains, en Avignon, une Rencontre tech­no­lo­gique euro­péenne sur le thème de l’alimentation médi­ter­ra­néenne. Par exemple, dans la pré­pa­ra­tion de plats cui­si­nés, les indus­triels emploient des tech­no­lo­gies douces de pré­pa­ra­tion pour conser­ver les vita­mines dans les pro­duits, res­pec­ter les fibres, ne pas oxy­der les graines. »
« L’agroalimentaire ne relève pas que de l’industrie, confirme le ban­quier Joseph Pérez, il relève aus­si de la culture, la culture du bien vivre, ne parle-t-on pas des arts culi­naires. Il a ici trois atouts, le soleil qui favo­rise des pro­duc­tions de qua­li­té, la Provence, un ter­roir et un label recher­chés, et sur­tout des chefs d’entreprises d’une grande intelligence ».

Christian Apothéloz avec Florent Provansal


Historique de la FRIAA

Lors de l’arrivée de l’Espagne dans le mar­ché com­mun il y a 14 ans, les milieux agri­coles Paca avaient une posi­tion très défen­sive. Marc Pouzet alla voir Henri Mercier, pré­sident de la CCI et Maurice Rigaud, pré­sident de la chambre d’agriculture. Ils orga­ni­sèrent les Rencontres médi­ter­ra­néennes de l’agroalimentaires pen­dant cinq ans, au mois de mai. Il s’agissait d’inviter les ache­teurs étran­gers pour leur faire décou­vrir le savoir-faire de l’agrolimentaire de la région, qui était en avance sur l’Espagne. Les chefs d’entreprises régio­naux ont ain­si appris à se connaître. Marc Pouzet ren­contre l’Union patro­nale et la chambre d’agriculture et se pose la ques­tion : si on créait une grande fédé­ra­tion régio­nale ?. Le Crédit agri­cole aida au démar­rage. La Fédération devait regrou­per les indus­triels et les coopé­ra­tives. Tollé du cNPF. Marc Pouzet ren­contre le pré­sident de l’ANIA qui lui dit : “Non seule­ment vous avez eu une très bonne idée en regrou­pant les deux mondes, vous avez dix ans d’avance, mais vous serez notre pre­mière fédé­ra­tion régio­nale.” S’ensuivit la créa­tion du Critt, du Centre de pré-industrialisation des nou­veaux frais, Cians et der­niè­re­ment (octobre 1997) la créa­tion de l’IFRIA.
C’est la deuxième fédé­ra­tion régio­nale en terme de chiffre d’affaires.
Marc Pouzet pré­si­de­ra pen­dant trois ans, Yves Bayon de Noyer pen­dant trois ans, Christian Saman, pré­side depuis 4 ans. Il passe la mian en octobre.


Agis met les bouchées doubles

En 10 ans, Yves Bayon de Noyer a his­sé Agis au troi­sième rang des opé­ra­teurs fran­çais dans le sec­teur de plats cui­si­nés sous-vide der­rière Danone et Fleury-Michon. En 1986, de retour du Chili où il a créé une filiale pour le groupe Sodexho, Yves Bayon de Noyer a envie de fon­der sa propre entre­prise en amont de la res­tau­ra­tion col­lec­tive. Il crée Agis à Châteauneuf de Gadagne dans le Vaucluse dont il est ori­gi­naire. Les res­tau­ra­teurs régio­naux sont sa pre­mière cible. Dès la deuxième année, il s’attaque à la res­tau­ra­tion natio­nale avec une gamme de 15 pro­duits. En 1988, il embauche un com­mer­cial issu de la grande dis­tri­bu­tion Deux ans plus tard, l’entreprise est pré­sente chez Carrefour dans les libres ser­vices trai­teur grâce à une gamme de pro­duits éla­bo­rés avec le grand chef pari­sien Alain Senderens. Aujourd’hui, Agis est le pre­mier opé­ra­teur de plats cui­si­nés au rayon coupe. Implantée dans toutes les enseignes, l’entreprise réa­lise 90 % de son acti­vi­té dans la grande dis­tri­bu­tion, les 10 % res­tant étant répar­tis entre les gros­sistes et les res­tau­ra­teurs.
En 1991, Agis reprend Huong gas­tro­no­mie à Tarare (69), puis en 1993 “Armor nou­veau frais” à Lamballe près de Saint-Brieuc. Dernière acqui­si­tion : Petit Duc à Annecy qui fabrique des plats cui­si­nés far­cis, notam­ment des lasagnes, des tor­tel­li­nis et des ravio­lis sous la marque Di Pasto”. “Nous devons avoir, affirme Alain Bayon du Noyer, une gamme assez élar­gie pour inté­res­ser la grande dis­tri­bu­tion. » Agis devrait réa­li­ser un chiffre d’affaires conso­li­dé de 200 mil­lions de francs en 1997 pour un résul­tat net de 3,2 mil­lions de francs. “Mon objec­tif, affirme ce patron ambi­tieux, adepte des méthodes de mana­ge­ment du Cjd, est de fran­chir la barre des 400 mil­lions de francs de chiffre d’affaires d’ici 4 ans pour pou­voir entrer en Bourse.”


Marius Bernard met en conserve la Provence

Marc Pouzet est infa­ti­gable. Le direc­teur géné­ral de l’entreprise Marius Bernard, basée à Saint-Chamas s’est spé­cia­li­sé dans la cui­sine de plats pro­ven­çaux et méri­dio­naux à par­tir des meilleurs pro­duits du ter­roir de la Provence et notam­ment des matières fraîches issues de l’agriculture pro­ven­çale. Ses prin­ci­pales recettes sont la soupe de pois­sons, le pis­tou, la tape­nade, le caviar d’aubergines, la concas­sée de tomates au basi­lic, le tian de légumes. Il a choi­si sa stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion depuis long­temps. “Notre PME n’a pas les moyens de com­mu­ni­quer par la publi­ci­té, avoue-t-il.” Alors c’est lui qui fait par­ler de Marius Bernard par ses enga­ge­ments, son mili­tan­tisme patro­nal et ses coups de gueule. Cet ancien élève de Sup de co Marseille, qui a pas­sé deux ans au Crédit Lyonnais, entre en 1979 dans la socié­té de son père Xavier Pouzet qui s’était en 1958, asso­cié à un pâtis­sier, Marius Bernard.
Aujourd’hui il est à la tête de l’entreprise avec Richard Bernard, cui­si­nier, et fils de Marius. Marius Bernard réa­lise 35 mil­lions de francs de chiffre d’affaires et a tou­jours été béné­fi­ciaire. En 1994, avant la “mode”, il a ins­tau­ré la semaine de quatre jours pour son per­son­nel. “Les 38 employés tra­vaillent 36 heures payées 37 du lun­di au jeu­di. Tout le monde est content. Moi car j’ai gagné en pro­duc­ti­vi­té, et mon per­son­nel dont l’absentéisme a dimi­nué de 50 %.” A 45 ans, il conti­nue d’innover sans cesse. Les pro­duits Marius Bernard sont pré­sents dans la grande dis­tri­bu­tion “de qua­li­té” du Sud-Est et chez des grands trai­teurs dont Hédiard et Fauchon à Paris. À la fin du mois, une gamme de pro­duits bio pro­ven­çaux (rata­touille, caviar d’aubergines, etc…) sor­ti­ra de l’usine qui vient d’être cer­ti­fiée Biologique AB. “Je pense qu’après la mode des pro­duits régio­naux, affirme-t-il, vien­dra la mode des pro­duits bio. Et nous serons prêts.”


VGB ouvre la voie du marché algérien

Bernard Vergez, bor­de­lais d’origine, aurait pu à 52 ans choi­sir une voie tran­quille pour attendre une retraite méri­tée de pro­fes­sion­nel du négoce. Il décide alors, nous sommes en 1988, de créer une nou­velle entre­prise au grand dam de ses amis et col­lègues qui lui pro­mettent les pires dif­fi­cul­tés. Et pour­tant VG Frais va tout de suite trou­ver son cré­neau : l’importation de fruits de contre sai­son. Acheteur digne d’un film Nescafé, Bernard Vergez voyage, négo­cie, vend, achète. En Algérie, il se fait des rela­tions, qui deviennent des amis. Ils lui font part des immenses besoins du pays en pro­duits ali­men­taires. Pour com­mer­cer avec une nation en guerre civile per­ma­nente, il faut des hommes qui passent une rive à l’autre sans pro­blème. Bernard Vergez asso­cie alors à son entre­prise deux jeunes beurs, Kamel et Bouzid Cheboub. Ils par­tagent les res­pon­sa­bi­li­tés avec les deux fils du boss : Emmanuel et Franck. VGB va deve­nir un des prin­ci­paux expor­ta­teurs vers l’Algérie. Le groupe s’est struc­tu­ré, il maî­trise sa logis­tique avec une filiale trans­ports, une filiale conte­neurs, il dis­pose de 4000 m² d’entrepôts pour les pro­duits frais, de 6 000 pour les pro­duits secs.
En 1993, Bernard Vergez entame des dis­cus­sions avec André Dewavrin, de la socié­té Color. Le spé­cia­liste des fruits secs et des dates a besoin d’investir. « Ils ont un très bon amont, sou­lignent André Dewavrin et nous un bon aval. Ils sont dans le négoce, nous dans la trans­for­ma­tion. Notre alliance est fon­dée sur cette com­plé­men­ta­ri­té ». En 1996, l’intégration est for­ma­li­sée. Une nou­velle usine dans les quar­tiers nord de Marseille, sur deux niveaux et 7 500 m²., vient d’être inau­gu­rée, un inves­tis­se­ment de 23 mil­lions de francs. Aujourd’hui le groupe réa­lise 800 MF de chiffre d’affaire dont 500 avec l’Algérie. Cette réunion de ch’timi, de beurs et de Marseillais d’adoption, porte ses fruits, l’entreprise dégage de sub­stan­tiels béné­fices. Le patriarche se met en retrait, mais son auto­ri­té demeure incon­tes­tée. « Marseille nous a adop­tés et c’est un des grandes qua­li­tés de cette ville que de savoir faire un amal­game de toutes ces popu­la­tions ». « Les » Ch’ti », les hommes du Nord que nous étions, ren­ché­rit André Dewavrin, se sentent aujourd’hui tota­le­ment mar­seillais. Peut-être parce que nous sommes des mar­chands, comme tous ceux qui ont fait la for­tune de cette ville.


Entrepreneur de l’année 1998, Hassan El Bouod, PDG du groupe BHM : L’enfant de l’hallal

Hassan el Bouod est fils d’un agri­cul­teur de la région d’Agadir, il a du très tôt prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés. Il est le sixième enfant d’une famille de huit. Il passe des concours pour trou­ver rapi­de­ment un bou­lot. Il aurait pu être infir­mier. Il fera une for­ma­tion d’aide-comptable. Il devra s’arrêter là, faute de moyens.
Il s’exile alors en France et y retrouve son aîné, Mohammed, com­mer­cial indé­pen­dant dans la dis­tri­bu­tion de viandes hal­lal en région pari­sienne. Il tient sa comp­ta­bi­li­té et obtient une carte de com­mer­çant pro­vi­soire, c’est le sésame pour res­ter léga­le­ment sur le sol fran­çais. Il a un an pour trou­ver un com­merce. Hassan et Mohammed Bouod dénichent alors un com­merce de négoce de viandes hal­lal à Marseille, Islam Viandes, tenu par de vieux algé­riens qui vou­laient ren­trer au pays. Mais, ils n’ont pas de quoi inves­tir. La com­mu­nau­té maro­caine les aide à réunir une grande par­tie des 350 000 francs néces­saires à l’achat du fonds de com­merce.
Le 1er jan­vier 1985, âgé de 21 ans, Hassan el Bouod est der­rière son étal, dans sa bou­tique de la rue Pasteur, trans­for­mée en Sarl Bouod et com­pa­gnie. Il se lance dans la vente de pièces de volailles au détail, il équi­libre peu à peu sa caisse et com­mence à rem­bour­ser ses dettes.
Au milieu de l’année 1986, le ministre de l’intérieur res­treint les cartes de séjour. Hassan el Bouod est convo­qué à la pré­fec­ture, il doit faire ses bagages pour le Maroc. Au tout der­nier moment il décroche une nou­velle carte de séjour. C’est pour lui une humi­lia­tion qui ren­force sa rage de réus­sir. En moins de deux ans, il a rem­bour­sé ses dettes, il décide d’ouvrir un second com­merce dans l’alimentation géné­rale.
En sep­tembre 1986, il fonde le groupe DIAF, spé­cia­li­sé dans la vente en gros et semi-gros de semoule, de cous­cous, d’épices et de thé.
Fin 92, il regroupe l’ensemble de ses acti­vi­tés dans une hol­ding, BHM.
Il est très pré­sent dans la dis­tri­bu­tion, avec douze bou­tiques à son enseigne, mais il veut maî­tri­ser l’amont. En 1996, il achète Anjou Volailles à Chalonnes-sur-Loire, un ate­lier de découpe de volaille, puis, Lohoum à Nîmes, une che­ville bovine et ovine, enfin Berger des Alpes à Gap, abat­toir et trans­for­ma­teur de pro­duits car­nés.
Aujourd’hui la phase indus­trielle démarre avec une nou­velle uni­té ultra­mo­derne construite sur la zone franche de Marseille. Il vient d’investir 17 mil­lions de francs dans la construc­tion d’une uni­té de trans­for­ma­tion de viandes d’une capa­ci­té de 5 000 tonnes par mois.
Notre jury a été conquis par cette tra­jec­toire éton­nante d’un jeune bou­cher qui démarre de rien à 21 ans et qui est aujourd’hui à 33 ans, à la tête d’un groupe qui pèse 200 mil­lions de francs de chiffre d’affaires et qui emploie 300 personnes.

Florent Provansal