Depuis trois années nous voyons émerger dans notre région le crowdfunding comme mode de financement de projets. Avec le réseau Popfinance, réseau du crowdfunding régional, nous avons pu nous positionner, porter loin notre regard et être attentif aux mutations en cours.
D’abord balbutiant, le Crowd s’impose sur certains segments de marché de la finance. Les financements alternatifs connaissent une croissance continue
Au plan national, selon le Baromètre de Finance participative, l’année 2016 a vu une progression de 40 % des fonds collectés avec 233,8 millions d’euros. Mais nous sommes très loin du financement bancaire qui se comptabilise en milliards. À titre d’exemple, en 2016 les banques ont accordé 278 milliards d’euros de crédits nouveaux en France aux PME.
Par contre le crowdfunding s’installe comme financement malin, agile, de projets novateurs qui n’auraient jamais trouvé sur le marché existant une ressource. Argent rare, argent impossible. Qui devient possible avec des résultats différents selon les levées, le crédit trouve preneur rapidement et massivement, le don et le capital sont plus délicats et affichent 40 % d’échec.
Pour mesurer l’impact en région du crowdfunding, nous avons trois sources de connaissances
- Le baromètre de Finance participative qui crédite PACA de 6 % des levées nationales soit environ 14 millions d’euros.
- L’observation que nous avons à travers notre veille et celle de Popfinance. Nous acquérons à travers ces informations une connaissance sensible des dossiers mais qualitative et non quantitative. L’émission hebdomadaire réalisée pour radio Dialogue RCF « Emporté par la foule »[1] avec Patrick Le Camus, nous permet d’approfondir les conditions, les attentes, méthodes, des « leveurs ».
- Enfin les chiffres de la plateforme BPIFrance, que Maxime Malafosse de Popfinance, a pu obtenir, offrent le seul recensement qualifié des levées en région. Ce recensement est évidemment partiel puisqu’il repose sur un transfert volontaire des informations par les plateformes. BPIFrance sera plus focalisé sur les opérateurs économiques que sur le caritatif ou le culturel. En 2016, BPIFrance recense 6,6 millions d’euros de levées en PACA alors que Finance participative annonce 14 millions d’euros. Mais le tableau des opérations de BPIFrance permet une analyse plus fine par secteur d’activité. Sans prétendre à la représentativité parfaite, nous pouvons détecter les grandes tendances à l’œuvre dans notre région. En Provence Alpes côte d’Azur, en 2014 2,2 millions d’euros ont été levés en crowdfunding, 5,9 millions d’euros en 2015 et 6,6 millions d’euros en 2016 soit une progression de plus de 201 % entre 2014 et 2016.
Les particuliers sont les principaux porteurs…
Les principaux porteurs de projets sont les particuliers, suivis des associations et des entreprises. En comparaison aux particuliers, il y a environ, deux fois moins d’entreprises qui lèvent de fonds sur les plateformes de crowdfunding. Si le nombre d’entreprises est en forte hausse, comme le montre le graphique, celui des particuliers marque fortement le pas. Le nombre d’associations qui lève des fonds est quasi invariable sur la période.
Dons avec contreparties et prêts rémunérés, les financements les plus prisés…
En 2014, le don avec contrepartie représentait le mode de financement le plus prisé par les porteurs de projet à hauteur de 46 % des sommes levées sur les plates-formes de crowdfunding, soit un million d’euros. Le prêt rémunéré et les actions clôturent le podium. Le don au sens simple du terme et le prêt non rémunéré représentent à eux deux seulement 1 % des fonds levés sur les plateformes du crowdfunding en 2014. En 2015, les actions et les obligations gagnent du terrain ce qui rend le paysage plus diversifié. Par contre en 2016, les deux principales typologies de financement utilisées par les porteurs étaient à nouveaux le don avec contrepartie et le prêt rémunéré.
Ascension forte et soutenue des prêts rémunérés…
Les prêts rémunérés ont doublé en une année. En 2016, ils deviennent le mode de financement le plus prisé par les porteurs de projet. 2015 a été marquée par une augmentation forte des actions et des obligations. Ceci est peut-être dû à l’émergence des plateformes de capital en 2015. Cependant, ces dernières plafonnent en 2016. Les levées en capital deviennent plus sélectives en 2016.
Évolution des taux de réalisation
Le pourcentage des projets non financés, les échecs, a connu un bond en 2015. C’est certainement le fruit à la fois d’un engouement pour ce mode de financement et d’un manque de méthode des candidats. En 2016, les chiffres sont plus équilibrés, signe d’une professionnalisation des porteurs de projets et d’une meilleure qualification des campagnes. Rappelons aussi que l’année 2015 est celle au cours de laquelle le mode de financement du crowdfunding était très hétérogène. On a assisté notamment à un repli du don avec contrepartie parallèlement à une émergence du financement par émission d’actions ou d’obligations. Le plus fort taux de projets financés a été enregistré en 2016. Le don avec contrepartie et les prêts non rémunérés ont regagné du terrain la même année.
Sur la période 2014–2016, la majorité des projets financés le sont à hauteur de 100 à 150 %. Cette tranche est en hausse d’une année à une autre. Cette augmentation du taux entre 100 et 150 % se fait au détriment des faibles taux de réalisation entre 0 et 10 %. Ceci est plutôt une bonne nouvelle.
On assiste ainsi à une dichotomie des opérations :
- Les actions peu préparées sont regardées avec sévérité par les contributeurs et ne passent pas le cap.
- Les actions sérieuses, professionnalisées emportent l’adhésion et dépassent les objectifs.
Durée de la collecte
Le professionnalisme du crowdfunding gagne du terrain avec une amélioration de la période de levée. Contrairement à d’autres processus comme le don, le Crowd installe ses standards internationaux et ses modes de réactivité propres. Les levées en capital importantes demandent toujours du temps. Mais les opérations de don avec contrepartie et encore plus de crédit sont des opérations « flash ». Le projet doit trouver rapidement son public, il doit afficher d’emblée une certaine réussite et une réussite certaine et la période de couverture de l’objectif rejoint les modèles européens avec des périodes de levées écourtées. La majorité des levées de fonds se font en 60 jours au plus avec une progression des levées de fonds en moins de 30 jours.
Nous voyons donc se dessiner sur ces trois années un paysage nouveau : le crowdfunding s’installe comme mode de financement alternatif mais modéré. S’il permet d’insuffler 14 millions d’euros dans la région, le capital-risque lui avec 341 millions investis dans 134 entreprises en 2015 est nettement plus conséquent. Mais le Crowd se situe au-dessus des Business Angels (environ 4 millions d’euros/an).
Répartition géographique régionale
De 2014 à 2016 plus ou moins 40 % des levées de fonds en crowdfunding se font dans le département des Bouches-du-Rhône, le double des Alpes maritimes. On note néanmoins une émergence forte d’une année à une autre des fonds levés dans le Var, les Hautes Alpes, les Alpes de Haute Provence, alors que le nombre se stabilise dans les Bouches-du-Rhône, les Alpes Maritimes et le Vaucluse.
Six tendances s’affirment…
I. Le crédit, le crowdlending, est en hausse car les plateformes ont des panels de « prêteurs » qui cherchent une épargne, soit qui a du sens pour une faible part, soit qui apporte une plus forte rémunération. La vitesse de levée (moins d’un mois) permet à l’entrepreneur de trouver du financement pour des investissements immatériels que la banque ne peut couvrir. Nous avons ainsi vu une société de conseil à l’export financer l’acquisition d’un CRM et d’un système de traitement des données qui ne trouvait pas sa ressource. Le segment de l’immobilier s’installe comme lieu de placement.
Le « don avec contrepartie », connaît une double orientation.
II. Le « don avec contrepartie » dans le monde associatif, culturel et caritatif. La contrepartie est souvent symbolique ou incitative mais avec peu de valeur marchande : mention sur un espace, mug ou autre gadget, dédicaces…
Dans le monde culturel le don avec contrepartie est aussi l’habillage nouveau de ce qu’étaient les « ventes en souscription » connues pour les livres ou les enregistrements. La méthodologie du crowdfunding fonctionne bien pour ces acteurs qui ont un public et un « marché » potentiel disponible. Le don avec contrepartie est un accélérateur de prévente soit de spectacle, soit d’édition de CD pour un groupe musical ou de film pour un groupe culturel. Il ne se substitue ni aux spectateurs ni aux financements publics, il vient autoriser ce qui semblait hors de portées et rend possible rapidement de beaux projets. En nombre, les projets à impact culturel sont les projets les plus financés. Ce sont ceux qui progressent le plus aussi d’une année à une autre.
III. Dans le monde des start-up (sans que nous ayons encore de chiffres précis), le don avec contrepartie devient une prévente et il s’installe comme marché test. Le POC, proof of concept, est ainsi administré avec un coût limité et une rentabilité immédiate. Cette prévente permet à des start-up de tester le marché, y compris international, à une vitesse inespérée, de toucher des clients aux quatre coins du monde et de faire la démonstration de la validité d’une innovation. Nous avons ainsi vu une start-up régionale Pitch Card trouver de la ressource pour un “serious game” présenté immédiatement dans sa version anglophone.
IV. Loin d’apparaître comme un concurrent des financements classiques, la preuve par le Crowd vient souvent sécuriser une démarche bancaire. La levée de fonds a permis de vérifier la solidité d’une équipe, sa capacité à convaincre et la pertinence de son produit ou service.
V. Les levées en capital atteignent des plafonds hors norme. Si le nombre a baissé, la qualité de projets s’améliore, et l’on a ainsi vu des levées dépassant plusieurs centaines de milliers d’euros dans le biomédical notamment. Il s’agit souvent de financements mixtes qui vont associer, selon les cas, love money, fonds, crédits et Crowd, comme Coral Biome et Biocellvia
VI. Le professionnalisme s’impose. Si les levées sympathiques du début pouvaient rencontrer le public, l’exigence a aujourd’hui augmenté. Comme pour le don, une campagne de Crowdfunding exige préparation, stratégie, marketing, mobilisation intense de l’équipe. L’argent du crowdfunding n’est pas de l’argent facile.
Aïssata Boubacar
Chargée d’étude Finances & Conseil Méditerranée
Christian Apothéloz
Délégué général Finances & Conseil Méditerranée
Secrétaire général de Popfinance
[1] Avec une chaine youtube : https://www.youtube.com/channel/UCU9XpCS0wYlS2DRqnmU6hdA/videos?shelf_id=0&view=0&sort=dd