Article paru dans le Nouvel Économiste.
Cherchez la ville nouvelle de Fos, vous ne la trouverez pas. L’Établissement public d’aménagement des rives de l’Étang de Berre fête ses vingt ans en même temps que les autres villes nouvelles comme l’Isle d’Abeau ou Villeneuve d’Asq. Mais pas question ici de cité champignon qui aurait surgi du néant. Le parti pris des aménageurs fut dès l’origine de s’appuyer sur les noyaux urbains existants. La ville nouvelle, ici, c’est Vitrolles, et le SAN, le Syndicat d’agglomération nouvelle de Fos sur mer, Istres et Miramas.
Échec ou succès ce pari fou des années Pompidou de rééquilibrer d’industrie le Sud de la France ? Échec flagrant si l’on se réfère aux documents de l’époque, au premier schéma d’aménagement de l’aire métropolitaine marseillaise. Fos devait créer 30 000 emplois directs et 50 000 induits, le Grand Marseille devait atteindre 3,2 millions d’habitants en l’an 2000, dont un million autour de l’étang de Berre. 20 ans plus tard, la zone ne compte que 250 000 habitants !
Échec de promesses statistiques. Échec surtout d’un mythe, celui des industries industrialisantes. Ou du développement par l’industrie lourde. Au même moment, on faisait la même erreur à Fos et en face à Annaba, en construisant un complexe sidérurgique et en croyant que, naturellement, des industries automobiles ou mécaniques allaient s’implanter à proximité. On rêvait de la Lorraine en bord de mer avec en plus Sochaux les pieds dans l’eau.
Du rêve au réel, les chiffres ont fondu, mais la Provence, vingt ans après fait ses comptes. “L’Ouest de l’Étang de Berre, souligne Bernard Granié, maire de Fos et président de l’Epareb, n’est plus un désert au fond des Bouches du Rhône”. En 20 ans les quatre villes au statut d’agglomération nouvelles sont passées de 40 000 habitants à plus de 100 000. L’Epareb a piloté pour 3 milliards de francs d’opération insufflant plus de 10 milliards d’investissement dans cet espace. L’Étang de Berre et le golfe de Fos s’imposent aujourd’hui comme le véritable poumon industriel du département : Berre, première plate-forme pétrochimique en Europe du Sud, Fos sur mer, premier port de Méditerranée, Sollac et Ascométal grands exportateurs d’acier. Les villes nouvelles ont su éviter le gigantisme et la folie HLM. “Pas de drames, pas de divas, pas de gestes grandioses, souligne Jean-Eudes Roullier, président du groupe central des villes nouvelles, pas d’architecture-spectacle pour branchés parisiens, pas de dépenses inutiles… Mais combien de solutions tranquilles à des problèmes qui paraissent insolubles ailleurs.”
Et dès l’origine, quand ce n’était pas encore une mode, une volonté, au milieu d’une zone vouée à l’industrie, souvent la plus polluante, de préserver une trame verte, “de grandes coupures d’urbanisation” comme les appelle Lucien Gallas, directeur de l’Epareb. Des territoires préservés, lisibles, lorsque l’on suit la Côte bleue ou les rives de l’Étang de Berre. Une volonté de maintenir une agriculture périurbaine grâce à des accords signés avec les exploitants. Un choix délibéré de penser la ville en terme de paysages.
Les quatre villes n’ont pas commis les erreurs de leurs consœurs managées par des maires communistes comme Port de Bouc ou Port Saint Louis. Mais ces cités, qui ont grandi trop vite sur de grands espaces autour de petits villages provençaux, ont du mal à trouver leurs centres. “En matière d’urbanisme, souligne Jean Ecochard, directeur adjoint de l’Epareb, il vaut mieux un costume trop large que trop étroit”. Et la tâche de l’Epareb est aujourd’hui de tisser cette couture urbaine qui donne un sens à la ville.
Christian Apothéloz