Article paru dans le Figaro Économie.
Avec bientôt 3500 emplois industriels pour 2000 habitants, le village de Rousset dans la haute vallée de l’Arc devient un pôle industriel majeur de l’aire métropolitaine marseillaise.
Rousset (13) : La microélectronique pousse entre les vignes
“Ici commence le vignoble de la Sainte Victoire”, la commune de Rousset n’a pas encore changé sa signalétique, car ici commence le premier pôle français de microélectronique. 3 500 emplois industriels dans la filière, deux usines en construction représentant chacune trois milliards de francs d’investissement, avec en sus une dizaine d’implantations de Pmi en perspective. Pourquoi ce petit village de la Haute vallée de l’Arc polarise-t-il tant d’attention ? Enquête.
Au commencement était la mine. Le bassin houiller de Gardanne, qui exploite une couche de lignite qui va des pieds de la Sainte Victoire à l’étang de Berre avait prévu de forer un puit sur la commune de Rousset. Las, les mineurs tomberont sur une nappe phréatique. Un débit qui interdit l’accès au charbon, 1000 mètres plus bas. Le terrain, acquis, deviendra zone d’activité. Au milieu des sarments de vigne qui portent un rosé de Provence ensoleillé, au pied des premiers contreforts de la Sainte Victoire, la zone va stagner, accueillant quelques activités chimiques comme les engrais de Péchiney-Progyl. Le passage à proximité du ruban noir de l’autoroute Aix Nice suscitera un intérêt pour cette zone en rase campagne. Eurotechnique, un joint-venture entre Saint Gobain et l’Américain « National semi-conductors » s’installe. Il sera repris plus tard par Thomson. Au début des années quatre-vingt, les grands Européens de la microélectronique, Philips, Saab, Siemens, Bull, British aerospace… fondent ES2, une société qui fabrique les prototypes de circuits intégrés. ES2 choisira Rousset, comme Nanomask, une société créée en 1983 par le Cnet et qui réalise les masques destinés à la réalisation des microconducteurs. Le tout ne doit pas dépasser 500 emplois, mais Thomson, et Nanomask sont les embryons du pôle provençal.
Fin des années quatre-vingt, le groupe américain Dupont recherche une implantation en France pour développer une activité de production de masques en microélectronique. Déjà implanté à Hambourg et en écosse, près de ses marchés, il veut se rapprocher des fabricants de puces du Sud de l’Europe. L’opportunité de la reprise de Nanomask lui fera choisir Rousset en 1989. Adrien Phillips, jeune directeur britannique de 30 ans de ce qui est devenu Dupont Photomask, explique cette option : “Nous réalisons 55 % de notre chiffre d’affaires à l’export. Nos clients gravent dans le silicium, ils nous confient le design de leurs produits sur une base informatique et nous éditons un support physique. Chaque masque est unique, nous n’avons pas de stock. Nous ne devons pas avoir un temps d’acheminement supérieur à notre temps de fabrication qui va de 12 heures à 3 jours.” Malgré le handicap d’un coût salarial supérieur à l’Écosse, Adrien Phillips a augmenté en deux ans la productivité de 43 %, ce qui a convaincu le board américain d’investir en Provence : une nouvelle ligne de production de 85 MF vient d’être installée, 20 salariés viendront cette année rejoindre les 120 de l’usine.
Paradoxalement, c’est la fermeture programmée de SGS Thomson en 1990 qui va déclencher le saut quantitatif actuel du site. Nous sommes en pleine crise de la microélectronique. Et le nouveau maire, Jean-Louis Canal, un ancien syndicaliste élu en 89 voit la principale usine de sa commune fermée. Il recrute un ingénieur à ses côtés, Jean-Paul Hoffmann qui prend en main la direction administrative de la cité, mais surtout l’avenir économique. Chambre de commerce et Conseil général mettent en place un groupe de travail présidé par l’ancien patron de la réparation navale marseillaise Pierre Terrin, qui ouvrira les portes des institutionnels. Le Cremsi voit le jour en 92, soutenu par la Région et le département. “Personne ne se parlait avant”, relève Jean-Paul Hoffmann, qui est, depuis, entré à l’agence de développement Promotion 13. Le groupe de travail passe très vite d’uns stratégie défensive à une stratégie de lobbying organisé. En juillet 1994, le groupe de travail apprend que Thomson a en projet la construction d’une unité « huit pouces ». Promotion 13 multiplie les démarches auprès des ministres concernés, une plaquette signée de toutes les collectivités locales plaide pour Rousset. Le ministère de l’industrie apporte un soutien qui se traduit en espèces sonnantes et trébuchantes. L’unité baptisée X 2000 bénéficiera de la prime à l’aménagement du territoire, des crédits Feder Objectif 2, de la Sofirem, société de financement Charbonnages de France, du fond d’industrialisation du bassin minier et de diverses exonérations de taxe professionnelle. Le 8 septembre 1995, le groupe annonce officiellement son implantation à Rousset, un investissement de 5 milliards de francs dont 1,2 milliard de francs sur fonds publics, pour la création de 800 emplois.
L’aventure Atmel a suivi un scénario similaire. En 94, Gérard Pruniaux sent que son outil de production, à bout de souffle, est en danger… “Il fallait investir 10 millions de dollars”, explique-t-il. Ses partenaires européens se font tirer l’oreille, hésitent et finalement refusent d’aller plus loin. Prudent, il met sur l’affaire un consultant international capable d’identifier un partenaire américain. Une quinzaine de compagnies US sont approchées. Au même moment, le réseau de la Datar, Invest in France a repéré une de ces compagnies parce qu’elle a un projet d’investissement en Europe. Les deux démarches se croiseront via Promotion 13 et aboutiront à la visite début 95 du patron d’Atmel, Georges Perlegos à Rousset. Le groupe américain est né, lui aussi dans les années quatre-vingt, il réalise alors un chiffre d’affaires de 650 millions de dollars (3,5 milliards de francs) dans les composants pour la téléphonie, les réseaux, les ordinateurs. Il cherche une tête de pont en Europe. Le contact avec Georges Perlegos s’établit d’emblée, il est intéressé par l’avance technologique d’ES2 et la complémentarité des métiers. Une relation de confiance : “Je suis toujours en place, souligne Gérard Pruniaux, et mon directeur financier aussi.” Là aussi les aides publiques vont tomber. Atmel a pu investir 120 millions de francs dans une nouvelle ligne de production, le bâtiment de 650 MF à l’architecture imposante est presque terminé. Un premier module de fabrication de 550 MF est en cours de montage.
Ces investissements majeurs ont fait du bruit dans le landernau de la microélectronique. Les sous-traitants, grands et petits veulent ouvrir un bureau, une agence, un atelier sur place. “La concurrence arrive, il y a deux fois plus d’offres que de demandes”, déplore Robert Michel patron d’une PMI installée depuis 1992 sur le site, Végatec, spécialiste du vide industriel. Outre les marchés issus de la construction, les deux géants de la place sous-traitent en moyenne 20 % de leur chiffre d’affaires. De quoi aiguiser les appétits. Pour faire face, Robert Michel regroupe ses deux sociétés, Végatec et Midisciences dans un nouveau bâtiment : “Dans ce métier, et face aux grands du secteur, il faut montrer son standing”, confie-t-il en faisant visiter un chantier piloté par son épouse, architecte. “L’adresse pour travailler dans la microélectronique est ici”.
Une adresse recherchée, mais, où tout semble avoir poussé trop vite. “Nous déplorons, souligne Adrien Phillips, un manque d’infrastructures de transports, nous avons des problèmes logistiques pour l’export”. “Il manque un leadership pour gérer, et la ville et la zone d’activités”, regrette Bernard Pruniaux. “Mais averti Adrien Phillips, ne cassons pas le décor : « Ils ont réussi à développer la zone, sans transformer le village en Manhattan de Provence, il est bien plus agréable, avoue ce Britannique amateur de pastis provençal, de manger sur la place du village plutôt que dans un Burger king”,
Le Cremsi, vitrine technopolitaine
Crée en 1993 peu après les menaces de fermeture qui pesaient sur l’usine SGS Thomson, le Centre régional d’étude de microélectronique sur le silicium (Cremsi) a permis d’afficher très vite une compétence nationale dans le domaine des composants. Pour Jean-Louis Canal, maire de Rousset, “Au départ, c’est d’abord un groupe de travail informel”. Il est composé aujourd’hui*, des quatre grands de la filière, SGS Thomson, Gemplus, Atmel ES2, Dupont Photomask et d’une dizaine de Pme. Son objectif officiel est de recenser, identifier, puis financer des projets de recherche.
« Le Cremsi a servi avant tout à empêcher la fermeture de l’usine » avoue Gilbert Deleuil, directeur de Promotion 13, agence de développement de Marseille Provence. L’association ne fait pas toujours l’unanimité au sein des Tpe et des Pme de la filière. Ainsi, pour Robert Michel, président de Vegatec, une petite entreprise de 10 salariés sur le site de Rousset : « Le Cremsi n’a servi jusqu’à présent que les grands de la microélectronique. Il n’y a pas eu un franc de financement pour les petites entreprises ». Beaucoup comptent pour défendre leurs intérêts sur le nouveau président, Laurent Roux, président d’IBS, Ion beam service, une Pme de la filière implantée à Gréasque et successeur de Pierre Meranda issu lui, de SGS Thomson. Laurent Roux reconnaît les défauts d’un « système qui a longtemps privilégié les grands du secteur. Ne serait-ce que parce qu’ils avaient leur place au sein du comité de direction alors que les sous-traitants n’étaient que membres associés ». La structure a su néanmoins répondre au manque d’intégration des grands de la microélectronique dans le tissu économique régional, au moment où le principal concurrent du site de Rousset, Grenoble, avait déjà jalonné le terrain. Elle a su mobiliser un potentiel d’universitaires et de chercheurs qui ne travaillaient pas ensemble. À son actif, neuf projets de recherche au cours de deux dernières années financés entre 30 et 50 % par les aides publiques. L’année 1997 sera marquée par trois projets pour un montant de 6 millions de francs encore en attente de financement.
Aujourd’hui le Cremsi reste le point de rencontre, le phare du pôle microélectronique dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Il est fédérateur, organisateur de projets, il permet l’animation de la filière microélectronique de la région », conclut Laurent Roux.
Interview du maire de Rousset, Jean-Louis Canal“Rester un village provençal et ne pas devenir une ville-champignon”
Près de 3 700 personnes viennent travailler chaque jour sur le site industriel de Rousset. Quelles sont les retombées pour le village ?
Rousset comptait 1000 habitants en 1980. Aujourd’hui, 3 500 personnes vivent dans le village. Et selon nos prévisions, nous pourrions atteindre les 5 000 habitants dans quelques années. Cependant, nous ne pouvons pas conclure que l’augmentation de la population est parallèle au développement de la zone industrielle. Les salariés de la zone industrielle se répartissent de façon presque égale sur le département des Bouches-du-Rhône : un tiers dans la zone d’Aix-en-Provence, un tiers dans la Vallée de l’Arc dont Rousset et le tiers restant sur la zone de Marseille.
Quelles sont vos ambitions pour le village de Rousset ?
Rousset est un petit village de Provence, situé au pied de la Sainte Victoire, avec sa cave coopérative connue dans les environs, son église et sa place ensoleillée. La volonté de la mairie est claire. Nous voulons garder notre authenticité et notre identité de village. D’autant plus que la zone industrielle ne se situe pas à proximité de Rousset. Nous n’avons pas pour ambition de faire exploser la commune. Nous ne voulons pas devenir une ville-champignon comme c’est le cas de Vitrolles, non loin de là.
61 entreprises sont implantées sur le site, que faites-vous de cette manne de la taxe professionnelle ?
La taxe professionnelle est répartie sur l’ensemble des communes concernées par la Zone industrielle, par le Fonds départemental de la Taxe professionnelle en fonction de certains critères. Et nous en avons les retombées pour une large part. Le collège, la salle des fêtes de 700 places, le centre de handicapés pour adultes construit en 1995, et le centre de danse et de théâtre en sont les illustrations.
Pour les 3 700 personnes qui travaillent chaque jour sur la zone de Rousset, quels sont les aménagements prévus ?
La mairie de Rousset a vendu à un promoteur un terrain de 5 000 mètres carrés destiné à créer un lieu de vie sur la zone. Aujourd’hui, 90 % du terrain est commercialisé. Au programme : deux restaurants, des commerces de proximité tels que des tabac presse, un centre médical et un investissement public pour un point courrier. Autant d’aménagements qui manquaient sensiblement sur une zone industrielle comme celle de Rousset.
Propos recueillis par Pascale Hulot
Atmel-ES2 et SGS-Thomson, concurrents mais alliés pour le recrutement et la formation
Avec leurs projets de nouvelles usines sur Rousset, Atmel-ES2 et SGS-Thomson créeront 1500 emplois en quatre ans. Les salariés recrutés seront pour moitié des opérateurs en microélectronique, un métier nouveau où les qualifiés ne sont pas nombreux. Aucune formation n’existe sur le marché. La concurrence risquait d’être rude entre les deux entreprises aux besoins identiques. Malgré le taux de chômage élevé du bassin d’emploi, la croissance des sociétés ces dernières années a déjà largement “asséché” le vivier local. Et, si les ingénieurs ou cadres (35 % des effectifs chez SGS-Thomson) se déplacent de loin, difficile de faire venir de simples opérateurs de l’autre bout de l’Hexagone.
Or, les pouvoirs publics s’étaient engagés à faciliter ces implantations, notamment en matière de recrutement. Jusqu’à présent, les DRH choisissaient sur CV (SGS-Thomson en reçoit 15 000 par an) des personnes titulaires d’un bac technique, possédant une bonne vue. La formation s’effectuait sur le tas. Une action très lourde qui durait quatre mois chez Atmel-ES2. D’où l’idée – après une réflexion des deux directions des ressources humaines et des services de l’État – d’un prérecrutement commun, d’une formation gérée par l’État avant une embauche définitive.
Aujourd’hui, le projet, mis en place avec la DRTEFP, fonctionne. Le GRETA du Pays d’Aix est maître d’œuvre. La formation, qui concerne les opérateurs de fabrication et techniciens, est individualisée selon les niveaux de départ. Elle dure douze semaines. Les référentiels pédagogiques ont été définis par les deux sociétés. Une première session pilote démarrée en juin avec 15 stagiaires s’est terminée par huit embauches chez Atmel-ES2. Trois sessions sont en cours. Entre douze et quinze sont prévues chaque année.
La présélection des candidats est effectuée par l’ANPE qui a ouvert une antenne sur le site de Rousset. Elle utilise une batterie de tests mis au point pour la société Olliez (automobile), qui permet de dénicher dans les candidats une aptitude manuelle à la microélectronique, quelle que soit la formation initiale. Après ce premier filtre qui permet d’identifier des compétences chez des gens qui, au vu du CV, seraient passés à travers les mailles du filet, les deux entreprises mènent leur sélection habituelle. Pré-affectés chez l’un ou chez l’autre, les stagiaires viendront y passer deux semaines durant le cursus de formation. Une période indispensable pour acquérir un minimum de “culture d’entreprise” dans un secteur sensible où les secrets de fabrication sont nombreux. Ils y seront embauchés à la sortie du stage ou presque.
Cette structure de formation, qui réduit nettement la charge des entreprises, pourra être ensuite utilisée pour la formation continue. Les sous-traitants et les métiers annexes en profiteront également. La société Du Pont Photomasks est déjà partenaire. L’idée initiale qui était d’aboutir à de nouveaux diplômes reconnus a été abandonnée mais des rapprochements avec des formations existantes permettront l’acquisition de diplômes ou de partie de diplômes d’État.
Hélène Lefranc