C’est une start-up qui casse tous les codes. Leur base line c’est : « faire du bien autour de soi ». Ce pourrait être la vocation d’une association caritative, mais la jeune société, elle est née en 2017, affiche clairement sa volonté de devenir rentable et de dégager des profits.
C’est une entreprise familiale, conjugale, pourrait-on dire, mais il faut ajouter encore au couple une cousine webmaster. « un risque que nous assumons », sourit le conjoint fondateur Jean Christophe Roturier.
Tout est né du vécu d’Anne-Sophie et Christophe Roturier. Christophe est un baroudeur, il a fait des études aux États-Unis, il a commencé sa carrière dans le marketing sportif pour des marques de prestige, puis il a bifurqué vers le secteur de la santé ce qui l’a amené à voyager aux États-Unis, en Angleterre, en Nouvelle-Zélande. Anne-Sophie, son épouse est infirmière, elle a vécu des drames personnels, une grande sœur handicapée, le décès de sa mère d’un cancer, qui l’ont rendu plus sensible au vécu de la maladie, au-delà du soin et du clinique. Aux États-Unis, ils ont repéré la prolifération de cagnottes en ligne spécialisées pour aider les personnes ayant besoin de soins médicaux. Le système de santé américain est particulièrement rude et il nécessite en effet, trop souvent, de faire appel aux réseaux, aux familles, au public pour des soins vitaux.
En 2016, ils sont revenus en France : les enfants grandissent, ils ont envie par leurs valeurs, pas leur spiritualité, de donner du sens à leur activité professionnelle. Peu à peu s’installe dans le colloque singulier familial, le projet d’une plate-forme de collecte de dons, centrée sur le malade, mais qui marquera sa différence par un accompagnement bienveillant et professionnel des projets. L’envie entrepreneuriale de Christophe, l’attention d’Anne-Sophie pour le care s’associent dans un projet d’entreprise qui s’implante à Aix-en-Provence.
Christophe est aux manettes du business plan, Anne-Sophie démarche les acteurs médicaux et sanitaires, écoute leurs besoins, noue les premiers liens partenariaux.
La construction du site, de la première plateforme se fera toujours en famille : Estelle Brusset, une cousine, en sera le webmaster. Pour les budgets, la jeune SAS recevra un prêt d’honneur d’Initiative Pays d’Aix et collecte un premier tour de table en love money.
Depuis 2019, la croissance est au rendez-vous : La Cagnotte des Proches a permis à plus de 2 500 familles de collecter près de trois millions d’euros auprès de 45 000 donateurs avec 200 % de croissance en 2020. .
La Cagnotte affirme sa différence par un contrôle et un accompagnement des collectes. Chaque cas est examiné sous la houlette d’Anne-Sophie Roturier par des professionnels du médical ou du social. Les sollicitations sont de plus en plus nombreuses :
Marie-Christine est tétraplégique et doit changer, à la fois sa voiture, réaménagée et son fauteuil roulant.
Sofya a été victime d’un féminicide et sa famille a ouvert une cagnotte pour les obsèques.
Ibrahima, un jeune guinéen, en formation cherche un toit pour les week-ends et vacances hors temps de pension scolaire.
La Cagnotte est aussi intervenue pour des affaires très médiatisées comme Magali Blandin, 42 ans, qui a été assassinée le 10 février dernier à Montfort-sur-Meu. Son mari, Jérôme Gaillard, a avoué le meurtre aux gendarmes. Elle était mère de quatre enfants. À l’initiative de ses collègues de l’association où travaillait Magali Blandin, à Rennes, une cagnotte en ligne a été lancée le 13 avril dernier. L’argent récolté sera intégralement versé aux quatre enfants. « Nous avons eu des féminicides déclare à Gomet’ Christophe Roturier, nous intervenons sur tous les cas, sauf le bad buzz ! »
Une fois activée, la cagnotte fait l’objet d’un suivi personnalisé qui inclut un partage de conseils et d’astuces, une publication sur les réseaux pour les collectes publiques, un relais auprès des médias locaux et la réalisation d’une vidéo pour raconter l’histoire. Chaque demande fait l’objet d’une réponse personnelle, humaine. « Nous avons un mini-call center, précise Christophe Roturier, nous intervenons comme les assisteurs avec une aide en ligne. »
Le modèle du pourboire
Pour la rémunération, la Cagnotte a fait là aussi un choix radical. Si elle avait débuté avec un commissionnement, elle a adopté très vite le pourboire, ce qui lui permet d’afficher un service gratuit. « La plupart des plateformes prélèvent des commissions de 4 à 10 %. Nous avons décidé d’opter pour un autre modèle, plus impactant et plus solidaire. Nous comptons sur les pourboires de nos utilisateurs pour soutenir notre mission » confirment les fondateurs.
Pour grandir, la plateforme mise sur des partenariats qu’elle noue avec des acteurs hospitaliers (Hôpitaux universitaires de Marseille, Necker Enfants Malades à Paris), des acteurs mutualistes (Groupe Pasteur Mutualité, Harmonie médical services, Previseo Obsèques) et des employeurs. Des hôpitaux connaissent la réactivité de la Cagnotte. Un jeune tunisien devait subir une intervention lourde et urgente à la Timone d’un coût non couvert par la sécurité sociale. « Nous intervenons sans discrimination, pour tous et pour cette famille nous avons collecté 100 000 € en dix jours », raconte Christophe Roturier.
Cette « fintech sociale » comme la définissent ses créateurs passe en 2022 la vitesse supérieure. Elle se donne deux ans pour atteindre une « rentabilité raisonnable » et investit dans un nouveau tour de table qui doit rassembler au total 500 000 € : 350 000 € viennent du Fonds régional dédié à l’économie sociale et solidaire InvESS’t PACA, créé par la Chambre régionale de l’ESS en PACA et géré par A Plus Finance. La moitié intervient en capital, l’autre moitié en obligations convertibles. Christophe Roturier souhaite compléter avec 150 000 € sollicités auprès de BPI France et d’autres acteurs financiers.
Jean-Michel Sibué, pour A Plus Finance, se déclare « particulièrement fier d’accompagner La Cagnotte des proches dans son développement. Ses valeurs et missions correspondent en tout point à notre philosophie d’investissement qui vise à mettre la finance au service de projets à haut potentiel d’innovation et d’impact sociétal ».
Pour Jean Ticory, vice-président de la CRESS PACA, cet investissement est à l’image de la vision de l’économie sociale et solidaire que la Cress souhaite porter : « moderne, efficiente et généreuse ».
Un nouveau site vient d’être ouvert, il doit être capable de gérer des flux plus importants notamment, les cas se multiplient, lorsqu’il y a médiatisation d’un drame familial, médical ou social. L’objectif pour cette année est de faire en 12 mois la même collecte, trois millions d’euros, que ce qui a été fait depuis la création. « Nous investissons sur l’humain, nous deviendrons officiellement une Entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS) et nous voulons faire la preuve, de notre impact social pour convaincre de nouveaux partenaires », conclut Christophe Roturier.
Article paru dans Gomet’