Le journaliste : enquêtes et reportages

Le Port désespère Marseille

par | 15 août 1993

Article paru dans le Nouvel Économiste.

La gué­rilla s’est ins­tal­lée sur le port … et pour long­temps. Les dockers jouent les kami­kazes. Comme s’ils n’avaient rien à perdre. Et le Port de Marseille perd jour après jour son crédit.

C’était pré­vi­sible et la situa­tion était trop belle pour que la CGT n’en pro­fite pas.. L’application tar­dive de la réforme n’avait pas per­mis de pla­ni­fier cor­rec­te­ment les congés et il man­quait 200 dockers pour pas­ser l’été. Conclusion de la CGT : la réforme, ça ne marche pas ! Acconiers et dockers polé­miquent sur les textes labo­rieu­se­ment signés. Côté dockers, si rien n’est écrit on revient aux pra­tiques anté­rieures. Côté Acconiers on veut appli­quer le droit com­mun. Autrement dit , s’il manque de la main‑d’œuvre, les entre­prises de manu­ten­tion embauchent en contrat à durée déter­mi­née. Scandale crie la CGT, il faut pas­ser par le Bureau cen­tral de la main‑d’œuvre, qu’elle contrôle. Ainsi s’enlise le port. Avec la fin des congés, cette ques­tion va s’éteindre d’elle-même. Mais d’autres resur­gi­ront. À bord des car-ferries de la Sncm, avant la réforme, une ving­taine de dockers, mon­taient à bord…pour rien. Les voi­tures ou les camions se garent eux-mêmes dans les soutes. La Cgt a exi­gé et obte­nu pour l’été la pré­sence de deux dockers. Mais la Sncm n’ira pas plus loin. Bernard Anne, son Pdg n’a pas hési­té à se mettre tout Marseille à dos en mena­çant de détour­ner les tra­fics Corse Continent vers Toulon. La com­pa­gnie paye un lourd tri­but à la réforme : 120 MF, à la condi­tion expresse, selon les accords de mars, que la fia­bi­li­té revienne et que ces postes de tra­vail soient sup­pri­més. Conditions non-remplies à ce jour. Aiguillonné par l’Office corse des trans­ports qui lui demande des éco­no­mies, la Sncm main­tient sa menace de pri­ver la pre­mière ville corse de liai­son directe avec l’île de beau­té.
Le 18 août der­nier, Jean Schutz, pré­sident du port a réuni en catas­trophe son conseil d’administration. À l’unanimité, y com­pris donc la Cgt, le conseil demande une trêve de six mois pour enga­ger des dis­cus­sions dans la séré­ni­té. Depuis, on se réunit, on se télé­phone, on palabre pour mettre fin à l’escalade. Mais les pro­ta­go­nistes sont éloi­gnés de la ligne de com­pro­mis. La Cgt veut faire la démons­tra­tion de l’inapplicabilité de la loi alors que la com­mu­nau­té por­tuaire qui finance un plan social d’un mil­liard veut enfin tra­vailler avec des règles claires. Les regards se tournent vers Paris où la nomi­na­tion d’un nou­veau direc­teur des ports au minis­tère , Hubert Dumesnil est de bon augure. Cet ingé­nieur des ponts, direc­teur du port de Dunkerque, fut en effet, pen­dant sept ans, direc­teur de l’exploitation du port de Marseille. Il connaît donc la situa­tion et espère-t-on sau­ra ins­pi­rer au ministre les mesures qui s’imposent. Avant la fin de l’année, les dockers et leurs employeurs devront signer une nou­velle conven­tion col­lec­tive. Marseille sert de banc d’essai et le port y laisse des plumes. “Nous ne sommes plus fiables vis-à-vis de nos clients, confie un arma­teur. Nous leur avons dit pen­dant des mois que tout dépen­dait de l’application de la loi. Depuis mars les accords sont signés et la situa­tion empire. C’est au légis­la­teur d’agir”.

Christian Apothéloz