Dans un communiqué la start-up marseillaise Traxens annonce lever 23 M€ et acquérir la start-up toulousaine Next4 « afin de devenir le leader mondial du suivi de conteneurs maritimes » . Cette arrivée d’argent frais était devenue indispensable pour la seconde vie de Traxens. Car la start-up aura connu depuis sa création le 19 mars 2012 jusqu’à aujourd’hui deux périodes celle du fondateur Michel Fallah, puis à partir de 2020 celle des majors. flash-back.
La création de Traxens naît du rapprochement de deux mondes qui alors s’ignorent : le shipping et le numérique. Michel Fallah, un ancien de Gemalto a l’idée simple de mettre de l’intelligence numérique dans les conteneurs. Il y en a 24 millions d’unités : ces petites boîtes de 6 pieds de long inventées en 1956, qui ont envahi le commerce international. Mais ces boîtes ne sont alors que des boîtes. Impossible quand le conteneur est parti de suivre sa vie, ses ouvertures, ses changements de températures ou ses chocs. Certes les documents maritimes suivent la marchandise, mais pas dans le détail du conteneur. Il reste un besoin de sécuriser, de qualifier, de valider la trajectoire des marchandises : il n’y a pas qu’à Marseille que les colis ont tendance à « tomber du camion » . Michel Fallah invente donc avec Traxens le boîtier qui va rendre intelligente, sensible, douée de mémoire et de capacité de transmission la fameuse boîte en métal. Notre capteur explique Marc Ligonesche, directeur financier depuis 2017, « agit comme un téléphone portable qui est en communication avec des capteurs sur la température, l’humidité, l’ouverture des portes ».
L’entreprise fait ses débuts à Marseille Innovation et apparaît comme une pépite du territoire. CMA CGM comprend très vite l’intérêt du dispositif et investit dans la jeune pousse. Les autres majors suivent. En mai 2019 Maersk se joint aux actionnaires historiques. (les trois leaders, le danois Mærsk, le suisse MSC et le français CMA CGM ont transporté 11 millions d’EVP en 2021). Mais le besoin ne fait pas le modèle économique et Traxens tarde à trouver son vrai marché. En apparence tout le monde y a intérêt, mais dans les faits le boîtier augmente le prix du fret et ce surcoût doit être pris en charge par un tiers. Qui va payer donc acheter les boîtiers de Traxens ? Le client final : Ikéa qui veut protéger ses poêles qui arrivent du Chili, Dacia qui transporte ses pièces détachées et composants d’Europe de l’Est vers Tanger ou Leroy-Merlin qui garnit ses rayons de perceuses, meuleuses, ou disqueuses made in China. Ce client rechigne à augmenter ses coûts. Restent les intermédiaires de transports, les assurances ou les compagnies maritimes elles-mêmes. Le modèle économique se cherche en même temps que le boîtier doit évoluer, s’adapter aux standards des navires, s’alléger, devenir plus économe et plus durable. La petite boîte qui monte doit résister aux vibrations, à l’eau, au sel, aux intempéries. « On a du hardware et du software » confirme Marc Ligonesche.
Traxens brûle donc du capital pour mettre au point son système de communication.
En 2019, un nouveau tour de table permet de lever des fonds avec l’entrée de BPI France dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, du japonais Itochu Corporation et de Supernova Invest via le fonds du Crédit agricole innovations et territoires.
Mais ce n’est pas suffisant. Entre les maritimes et le fondateur, des divergences stratégiques se creusent. L’entreprise a grossi, elle a annoncé l’ouverture d’un bureau en Chine, elle emploie 130 salariés. Les charges grimpent à 24 millions€.
Le bilan 2020 est inquiétant, aggravé par la pandémie. Le total des produits d’exploitation est de 9,6 millions € dont seulement 4 millions de chiffre d’affaires net. La dette est de 24 millions€ et le résultat est dans le rouge à 17 millions€ (après une perte de 13 millions€ en 2019) . Les capitaux propres sont également dans le rouge à près de 5 millions€. (Source Le Figaro)
La société lit-on dans les annexes du bilan « a mis en place un plan de réduction de coûts, s’appuyant sur un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ayant eu pour conséquences de voir l’effectif de la société́ passer de 130 salariés au 31 décembre 2019 à 99 salariés au 31 décembre 2020. »
Pour connaître les implications de cette année charnière, il faut suivre les annonces légales, nominations et départs qui s’enchaînent.
Michel Fallah quitte son poste de président le 10 mars 2020. Jean Luc Sentis, consultant de l’entreprise assume ce qui sera un intérim. Le directeur Jacques Delort a démissionné à son tour le 9 juillet 2020.
Les actionnaires majoritaires ont lancé le recrutement d’un nouveau manager pour cette période délicate. Le 28 août 2020, David Marchand, 49 ans qui a quitté San Francisco, prend ses fonctions de directeur général. Il a un master en électronique de Bordeaux, il a fait un MBA à Kedge sur la Supply Chain et une formation au management à Stanford. Sa carrière internationale est marquée par une quinzaine d’années passée chez SAP dans des fonctions managériales et opérationnelles.
Le 23-06-2021, il est nommé président du Conseil. Les majors renforcent aussi leur présence au Conseil : Nicolas Reynard, head of corporate venture Capital chez CMA CGM et Grégory Gottlieb directeur financier de MSC sont nommés le 12 janvier 2021.
En janvier 2021, toujours, les fondateurs, dont Michel Fallah et Tertium cèdent leurs parts. Michel Fallah[1], tenu par une clause de réserve, confie néanmoins à Gomet’ « qu’il a l’impression d’être allé au bout de ce qu’il pouvait faire pour Traxens, il se réjouit que Traxens se développe, se pérennise et acquiert la start-up toulousaine Next4 et que ses actionnaires contribuent à son expansion ».
Traxens entame donc en 2021, une nouvelle vie : de start-up vibrionnante et indépendante elle devient, selon un expert marseillais de la tech « le laboratoire numérique partagé du shipping ».
Avec ce renfort des majors, énonce Marc Ligonesche pour Gomet’, « on finance la croissance et le déploiement et notre objectif est d’atteindre le point mort, l’équilibre en 2024 ».
Les 23 millions€ levés permettront à Traxens selon le communiqué, « de développer son activité de conteneurs intelligents dans le monde entier, ce nouveau cycle permettra d’établir de nouveaux partenariats avec des entreprises clés de l’écosystème, telles que les sociétés de location de conteneurs et d’assurances maritimes et les systèmes de gestion des transports. Traxens utilisera également les fonds pour élargir son portefeuille de solutions afin de répondre aux besoins croissants des transitaires et des propriétaires de cargaisons en matière de transparence de la chaîne d’approvisionnement. »
Comment ces majors qui se battent pour des parts de marché cohabitent-elles à Marseille ? « Traxens s’est recentré sur la donnée et le traitement de la donnée. Il faut que les datas soient compatibles avec les navires de chaque compagnie : le conteneur passe d’un bateau à l’autre. C’est devenu un objet communicant et nous travaillons ensemble sur un standard et des solutions communes massifiées. C’est le seul moyen d’arriver à une digitalisation des flottes de conteneurs Ce sont des concurrents, mais en comité de création, ils sont autour de la table pour inventer et créer des solutions durables. Ils représentent 45 % des conteneurs de la planète ! »
Traxens ne veut pas se limiter au marché des majors et l’acquisition de la start-up toulousaine Next4 doit y contribuer. « Un client commun nous a mis en relation raconte Marc Ligonesche le manager, Cédric Rosemont, P.-D.G. et fondateur devient notre responsable marketing et commercial, l’équipe d’une douzaine de collaborateurs restera basée à Toulouse. Ils ont développé le marché des organisateurs logistiques que Traxens n’adresse pas encore. »
Les deux sociétés uniront leurs efforts pour commercialiser et développer leurs solutions de suivi complémentaires et leurs applications logicielles afin d’offrir le meilleur de leurs fonctionnalités à leurs clients, comme la planification des expéditions, la gestion collaborative des risques ou encore les rapports d’analyse. Next4 fournit des trackers qui peuvent être apposés sur les conteneurs depuis le point départ jusqu’à la destination finale. Les transitaires disposent ainsi d’une solution de suivi premium et les clients de données en temps réel, 24 heures/24 et 7 J/7, sur l’état et l’emplacement de leurs marchandises via des capteurs situés sur la porte des conteneurs. Des transitaires, tels que Bolloré Logistics ou encore DB Schenker, sont d’ores et déjà équipés de plusieurs milliers de trackers Next4.
« C’est un acteur pertinent, complémentaire avec une équipe compétente et flexible qui nous fait du bien », note Marc Ligonesche.
« L’intégration de Next4 au sein de notre entreprise augmente considérablement notre capacité à répondre aux besoins croissants de nos clients en matière de digitalisation de leurs processus commerciaux, tout en ajoutant la traçabilité du fret, la sécurité des cargaisons et l’intégrité des marchandises. », déclare David Marchand, P.-D.G. de Traxens. « Nous allons proposer au marché un portefeuille complet de solutions permettant à nos clients de choisir entre un tracker permanent ou amovible, une option unique. »
Traxens annonce 100 000 conteneurs équipés et un carnet de commandes de plus de 200 000 boîtiers et Next4 revendique 20 000 trackers. 2022 doit être celle d’un rebond de Traxens dans cette nouvelle configuration.
[1] Michel Fallah quitte la logistique mais reste entrepreneur, il vient d’investir un million € à égalité avec son associé Gilles Fuchs dans une start-up, Kitech qui intervient dans le domaine de la santé en particulier le diabète, l’obésité et les maladies cardiovasculaires.