Article paru dans le Nouvel Économiste.
Green Peace, enfin reçu dans le port de Marseille, a déçu en s’en prenant à une paisible usine de chlore d’Elf Atochem à Fos. Les villes de l’étang de Berre mènent d’autres combats et attendent au pied du mur Michel Barnier, venu le 2 septembre présenter son plan.
L’Étang de Berre, 155 km², 75 km de côtes, 220 000 riverains, est un pèlerinage obligatoire pour tout écologiste qui se respecte. Et chaque nouveau ministre de l’environnement y va de son plan pour résorber ce dépotoir industriel de la métropole phocéenne. Brice Lalonde, Ségolène Royal sont passés par là. Michel Barnier est venu avec des chiffres et des promesses. Premier accusé, EDF qui a détourné les eaux de la Durance dans cette mer intérieure. Le canal usinier EDF déverse ici chaque année quatre milliards de mètres cubes d’eau douce et 500 000 tonnes de matières solides en suspension. Rien de sale. L’eau rejetée, plaide EDF, est de “bonne qualité hydrobiologique” et les limons ne sont que la terre des Alpes que la Durance emporte dans sa colère. Les apports d’eau douce, créent deux masses d’eau superposées, salée en profondeur, plus douce en surface. Les limons en suspensions plongent l’eau dans l’obscurité au-delà de 6 mètres. Les fonds peu oxygénés, sans végétaux chlorophylliens ne “digèrent plus” la matière organique. Le taux de salinité oscille entre 4 g et 31 g : aucune espèce animale n’y résiste. Enfin, les limons “piègent” au fond de l’Étang les métaux lourds et les hydrocarbures, stratifiant ainsi les pollutions au fil des ans.
EDF devra selon Michel Barnier réduire de 15 % ses apports annuels d’eau douce et construire enfin un bassin de décantation à Beaumont pour réduire de 50 % les limons. Jacques Masson délégué régional d’EDF est prêt à obtempérer, mais il annonce la facture : 200 MF ; et le calendrier : pas avant 1996. Soit trois ans de travaux. Serge Andréoni, maire de Berre, instigateur du référendum du 6 octobre 1991 pour l’arrêt de la centrale hydraulique de Saint Chamas triomphe néanmoins. “Pour la première fois, déclare-t-il, j’ai rencontré un homme de concertation et de dialogue.”
Mais EDF ne peut endosser toutes les responsabilités. Chacun accuse volontiers le voisin. Saint Chamas qui vit de la taxe professionnelle d’EDF pointera la pollution industrielle de Shell, les industriels diront qu’en traitant à 90 % leurs eaux de procédés, ils ont fait leur devoir. Et les élus oublieront vite que leurs stations d’épuration traitent très approximativement leurs déchets urbains. Certes des progrès ont été faits : de 1973 à 1985, la capacité de traitement des stations d’épuration est passée de 160 000 habitants à 350 000. Insuffisant. Michel Barnier a décidé de renforcer le programme de dépollution des eaux confié à l’Agence de l’eau. Une directive européenne a judicieusement classé le bassin versant de l’étang de Berre en zone sensible. Les eaux charriées par l’Arc depuis Aix en Provence se déversent en effet discrètement dans l’étang apportant elles aussi leur pollution urbaine et industrielle.
En guise de cerise sur le gâteau, le ministre de l’environnement a promis de soumettre au parlement une loi rétablissant les droits de pêche, droits rachetés aux professionnels en 1957 pour 500 MF. Car les poissons sont revenus, malgré tout. La pêche rapporte chaque année 2000 tonnes d’anguilles, de mulets et de fritures. Et les activités de loisirs pour les 200 000 riverains, ne demandent qu’à décoller, on compte déjà 12 ports de plaisance et 2300 bateaux, dix bases nautiques, 10 km de plages et une dizaine de campings.
Christian Apothéloz avec Anne-Françoise Robert