Le journaliste : enquêtes et reportages

L’étang de Berre, de plan en plan

par | 15 septembre 1993

Article paru dans le Nouvel Économiste.

Green Peace, enfin reçu dans le port de Marseille, a déçu en s’en pre­nant à une pai­sible usine de chlore d’Elf Atochem à Fos. Les villes de l’étang de Berre mènent d’autres com­bats et attendent au pied du mur Michel Barnier, venu le 2 sep­tembre pré­sen­ter son plan.

L’Étang de Berre, 155 km², 75 km de côtes, 220 000 rive­rains, est un pèle­ri­nage obli­ga­toire pour tout éco­lo­giste qui se res­pecte. Et chaque nou­veau ministre de l’environnement y va de son plan pour résor­ber ce dépo­toir indus­triel de la métro­pole pho­céenne. Brice Lalonde, Ségolène Royal sont pas­sés par là. Michel Barnier est venu avec des chiffres et des pro­messes. Premier accu­sé, EDF qui a détour­né les eaux de la Durance dans cette mer inté­rieure. Le canal usi­nier EDF déverse ici chaque année quatre mil­liards de mètres cubes d’eau douce et 500 000 tonnes de matières solides en sus­pen­sion. Rien de sale. L’eau reje­tée, plaide EDF, est de “bonne qua­li­té hydro­bio­lo­gique” et les limons ne sont que la terre des Alpes que la Durance emporte dans sa colère. Les apports d’eau douce, créent deux masses d’eau super­po­sées, salée en pro­fon­deur, plus douce en sur­face. Les limons en sus­pen­sions plongent l’eau dans l’obscurité au-delà de 6 mètres. Les fonds peu oxy­gé­nés, sans végé­taux chlo­ro­phyl­liens ne “digèrent plus” la matière orga­nique. Le taux de sali­ni­té oscille entre 4 g et 31 g : aucune espèce ani­male n’y résiste. Enfin, les limons “piègent” au fond de l’Étang les métaux lourds et les hydro­car­bures, stra­ti­fiant ain­si les pol­lu­tions au fil des ans.

EDF devra selon Michel Barnier réduire de 15 % ses apports annuels d’eau douce et construire enfin un bas­sin de décan­ta­tion à Beaumont pour réduire de 50 % les limons. Jacques Masson délé­gué régio­nal d’EDF est prêt à obtem­pé­rer, mais il annonce la fac­ture : 200 MF ; et le calen­drier : pas avant 1996. Soit trois ans de tra­vaux. Serge Andréoni, maire de Berre, ins­ti­ga­teur du réfé­ren­dum du 6 octobre 1991 pour l’arrêt de la cen­trale hydrau­lique de Saint Chamas triomphe néan­moins. “Pour la pre­mière fois, déclare-t-il, j’ai ren­con­tré un homme de concer­ta­tion et de dia­logue.”
Mais EDF ne peut endos­ser toutes les res­pon­sa­bi­li­tés. Chacun accuse volon­tiers le voi­sin. Saint Chamas qui vit de la taxe pro­fes­sion­nelle d’EDF poin­te­ra la pol­lu­tion indus­trielle de Shell, les indus­triels diront qu’en trai­tant à 90 % leurs eaux de pro­cé­dés, ils ont fait leur devoir. Et les élus oublie­ront vite que leurs sta­tions d’épuration traitent très approxi­ma­ti­ve­ment leurs déchets urbains. Certes des pro­grès ont été faits : de 1973 à 1985, la capa­ci­té de trai­te­ment des sta­tions d’épuration est pas­sée de 160 000 habi­tants à 350 000. Insuffisant. Michel Barnier a déci­dé de ren­for­cer le pro­gramme de dépol­lu­tion des eaux confié à l’Agence de l’eau. Une direc­tive euro­péenne a judi­cieu­se­ment clas­sé le bas­sin ver­sant de l’étang de Berre en zone sen­sible. Les eaux char­riées par l’Arc depuis Aix en Provence se déversent en effet dis­crè­te­ment dans l’étang appor­tant elles aus­si leur pol­lu­tion urbaine et indus­trielle.
En guise de cerise sur le gâteau, le ministre de l’environnement a pro­mis de sou­mettre au par­le­ment une loi réta­blis­sant les droits de pêche, droits rache­tés aux pro­fes­sion­nels en 1957 pour 500 MF. Car les pois­sons sont reve­nus, mal­gré tout. La pêche rap­porte chaque année 2000 tonnes d’anguilles, de mulets et de fri­tures. Et les acti­vi­tés de loi­sirs pour les 200 000 rive­rains, ne demandent qu’à décol­ler, on compte déjà 12 ports de plai­sance et 2300 bateaux, dix bases nau­tiques, 10 km de plages et une dizaine de campings.

Christian Apothéloz avec Anne-Françoise Robert