Le journaliste : enquêtes et reportages

Marseille, élections municipales en vue : l’heure de Gaudin ?

par | 05 février 1995

Article paru dans le Nouvel Économiste.

À 120 jours du seul scru­tin qui compte à Marseille, les muni­ci­pales, rien n’est joué, mais tout se met en place pour une échéance stratégique.

Dans la salle du conseil muni­ci­pal, bon­dée au len­de­main du ral­lie­ment de Robert Vigouroux à Balladur, per­sonne ne se sou­cie de la suite sans fin des rap­ports votés sans pas­sion par une majo­ri­té inébran­lable. Dans le fau­teuil de Gaston Defferre, impas­sible, impé­né­trable, le maire égrène les dos­siers. Pour, contre, abs­ten­tion, tout passe. L’assemblée accuse le choc. Dans la salle, les deux vain­cus de 1989 siègent au fond. Michel Pezet fait grise mine. “C’était pré­vi­sible et je l’avais dit”, déclarera-t-il amer. Mais cette cla­ri­fi­ca­tion ne dégage pas pour autant son ave­nir poli­tique. Un peu plus à droite, le banc de l’opposition libé­rale est ani­mé. On rit et l’on s’amuse de ce ren­fort inat­ten­du. La cri­tique est cour­toise, mais on se demande quelle place il fau­dra accor­der à ce nou­vel allié. Tout autour de la salle, sous les lam­bris sont ins­crits les noms des édiles qui ont diri­gé la ville depuis la Révolution. Après Gaston Defferre, après Robert. P. Vigouroux reste une seule case vide. Depuis qu’il est entré ici comme conseiller muni­ci­pal, en 1971, ben­ja­min de la liste de Gaston Defferre, Jean-Claude Gaudin rêve d’y voir son nom. Après deux échecs, en 83 et 89, est-ce son heure ?

Depuis la mise en faillite per­son­nelle de Bernard Tapie, la poli­tique a repris ses droits. Avant, le patron de l’OM per­tur­bait le jeu, à gauche comme à droite, légi­ti­mant des alliances inat­ten­dues ou embar­ras­sant son propre camp. Aujourd’hui, s’il est loin d’avoir dis­pa­ru du ter­rain, il est bana­li­sé. Sa for­mi­dable popu­la­ri­té, sa pug­na­ci­té, ses entrées dans les médias sont com­pen­sées par une mon­tée très forte des opi­nions néga­tives per­cep­tibles dans les son­dages. La crise de l’OM déses­père les sup­por­ters, mais la mobi­li­sa­tion reste forte dans son camp. Les radi­caux, emme­nés par Michel Dary se prennent tou­jours pour la pre­mière force poli­tique du dépar­te­ment. L’association Marseille d’abord, qui ras­semble les anciens socia­listes, comme Marius Masse, ou Edmonde Charles Roux tra­vaille en com­mis­sions sur le pro­gramme muni­ci­pal. Charles Émile Loo, un vété­ran du def­fer­risme, com­pa­gnon lucide de Tapie reste convain­cu de la bara­ka du patron de l’OM. “Inéligible ou pas, dit-il, il sera au cœur de la cam­pagne”. Au cœur, certes, mais plus comme trouble fête que comme gagneur.
C’est d’ailleurs avec l’espoir d’être débar­ras­sé de l’hypothèque Tapie, il avait réduit le PS à 6 % aux Européennes, que Lucien Weygand, pré­sident du conseil géné­ral met en place un dis­po­si­tif de cam­pagne. Un staff se consti­tue, les liens se renouent avec la mou­vance de gauche. Le conseil dépar­te­men­tal de concer­ta­tion, une sorte de conseil éco­no­mique et social, récem­ment créé, sert de relais. L’entente semble pos­sible avec l’association Marseille citoyenne qui réunit les amis de Philippe Sanmarco et l’aile réno­va­trice du PC de Guy Hermier. Lucien Weygand ne s’est pas encore décla­ré offi­ciel­le­ment. Le der­nier héri­tier de Gaston Defferre n’a aucune envie d’y aller. Installé dans son bureau pano­ra­mique de l’hôtel du dépar­te­ment, où d’un coup d’œil, il sur­vole son can­ton, il est le pré­sident incon­tour­nable d’une ins­ti­tu­tion riche. Il a tout à perdre. Pourtant il semble prêt à se sacri­fier, mais sans per­son­na­li­ser la cam­pagne, en valo­ri­sant les têtes de listes des sept sec­teurs de la ville. Pour rejouer le suc­cès de Gaston Defferre en 83, empor­tant la mai­rie mal­gré un score glo­ba­le­ment majo­ri­taire de la droite, il lui fau­dra res­sou­der toute la gauche, Le par­ti socia­liste d’abord, Michel Pezet attend un coup de télé­phone, mais aus­si les conseillers muni­ci­paux de Robert Vigouroux qui ne le sui­vront pas chez Balladur. Albert Hini, pre­mier adjoint au maire se dit prêt à repar­tir avec une liste qui ne serait l’otage, ni de Tapie, ni du PC. À mini­ma, ce remake de la gauche unie peut espé­rer recon­qué­rir les mai­ries des quar­tiers popu­laires.
L’horizon le plus déga­gé est celui de la droite RPR et UDF. Mais après deux échecs, Jean-Claude Gaudin reste pru­dent. “Je serai au pre­mier rang de cette bataille” annonce-t-il offi­ciel­le­ment, sans plus. Il a res­ser­ré les rangs des par­le­men­taires de la majo­ri­té. Les six dépu­tés se pré­sen­te­ront ensemble. Mais dans quel ordre ? “Si Jean-Claude Gaudin n’y va pas, il y a neuf chances sur dix pour que je sois dési­gné, affirme Jean-François Mattéï. ” Si Jean-Claude Gaudin n’y va pas, réplique Renaud Muselier, l’étoile mon­tante du RPR, il fau­dra prou­ver que je ne suis pas le meilleur”. Le pré­sident du conseil régio­nal est en train de se lais­ser convaincre. Selon un son­dage Ifop, 61 % de la popu­la­tion le voit bien maire contre 32 % à Mattéï et 28 % à Renaud Muselier. “Et puis, soupire-t-il, si je n’y vais, je fais écla­ter la droite”. Et la recons­truc­tion de la droite mar­seillaise c’est son œuvre. “J’ai pas­sé mon temps depuis 1981 à déga­ger des can­di­da­tures com­munes.” En fait, la seule embûche qui pour­rait rete­nir Jean-Claude Gaudin serait un retour des affaires judi­ciaires du Var ou du PR. Reste à pas­ser l’obstacle de l’élection pré­si­den­tielle. Renaud Muselier, futur pre­mier adjoint, est à la tête d’une fédé­ra­tion des plus chi­ra­quienne. Les deux hommes sont très liés, mais la cam­pagne risque de creu­ser l’écart. “Le pre­mier tour ne m’inquiète pas, affirme Jean-Claude Gaudin, si nous res­pec­tons un code de bonne conduite.” Si le second tour oppose les deux RPR, la situa­tion se corse. Le res­pon­sable des inves­ti­tures à l’Udf connaît les ravages que pour­raient cau­ser les forces cen­tri­fuges. “Il sera dans l’intérêt de l’Udf comme du Rpr de ne rien bri­ser, que tout le monde reste dans le rang”, aver­tit le patron de la droite mar­seillaise. Renaud Muselier lui, compte bien pro­fi­ter de la vague Rpr. “Aux pré­si­den­tielles, un can­di­dat Rpr va l’emporter, et la vic­toire vole au secours de la vic­toire”. 17 com­mis­sions tra­vaillent sur un pro­gramme bap­ti­sé “Objectif Marseille”. Pas ques­tion pour autant de faire cava­lier seul. « La machine Rpr Udf fonc­tionne, on ne peut gagner les uns sans les autres, » affirme-t-il.
Mais Jean-Claude Gaudin voit plus large. et sou­haite réunir les éner­gies au-delà des fron­tières poli­tiques par­ti­sanes : “Je sou­haite, dit-il, faire appel à mes amis poli­tiques et ouvrir à des jeunes, à des femmes, à des gens capables de gérer cette ville”. Convaincu que Marseille, ville popu­laire, penche à gauche, il est à la recherche de l’alliance qui a per­mis à Gaston Defferre de gérer la ville pen­dant trente ans avec la bien­veillance du centre et les voix de la gauche non-communiste. Une alliance des centres aux anti­podes de la radi­ca­li­sa­tion gauche droite qu’induit le débat natio­nal.
La recette a fait la vic­toire du pro­fes­seur Vigouroux en 89. Refusant un com­bat mani­chéen, la ville a joué dans la nuance, le demi-ton, la tran­quilli­té. Discrètement appuyé par l’Élysée, le neu­ro­chi­rur­gien a assu­mé l’héritage et il a démon­tré son goût pour les choix soli­taires. Son der­nier geste, le sou­tien à Édouard Balladur a sur­pris ses amis comme ses adver­saires. ” Édouard Balladur a fait pas­ser le mes­sage, il a été très sen­sible au choix du maire, par contre celui-ci n’a pas été accueilli avec des fleurs par la droite locale : “Un ral­lie­ment n’est pas un droit de pré­emp­tion, ni un droit de suc­ces­sion”, affirme Jean-François Mattéï. Renaud Muselier lui offre de prendre sa carte au Rpr et Jean-Claude Gaudin s’interroge : “Quel inté­rêt aurions-nous à sau­ver Vigouroux ?”. Le maire per­siste, il sera can­di­dat. “Il est en béton !” s’exclame un mili­tant socia­liste admi­ra­tif mal­gré tout. Neuf ans après son entrée à l’hôtel de ville, il reste un mys­tère. “Je connais­sais Robert Vigouroux avant qu’il ne soit maire, se sou­vient le pro­fes­seur Mattéï. Il a tou­jours été un soli­taire, très auto­ri­taire, peu cau­sant. Il était recon­nu, mais il n’a pas fait école.” Charles Émile Loo, lui, l’a côtoyé au par­ti socia­liste. “En 1965. J’étais secré­taire fédé­ral, je suis allé cher­cher Vigouroux, chi­rur­gien à la cli­nique Clairval, il avait une belle “tronche”, et à Marseille on est fas­ci­né par les tou­bibs. Je pen­sais alors, comme en 86, que ses tra­vers dis­pa­raî­traient. Malheureusement, comme disait Defferre, c’est un bon can­di­dat, mais un mau­vais élu. Il est deve­nu un vrai monarque.” “En homme neuf, en vrai patron de la ville, regrette Georges Antoun, patron des New hôtels et pré­sident natio­nal des hôte­liers, il aurait pu faire tom­ber les murs avec le monde éco­no­mique alors qu’il s’est iso­lé, qu’il est deve­nu inac­ces­sible.” “En 89, il n’a pas su gérer son suc­cès, note J.-F. Mattéï, il n’a pas su tendre la main.”. Albert Hini dénonce “l’absence de dia­logue et le gou­ver­ne­ment du mépris” Jean-Claude Gaudin déplore le manque de com­mu­ni­ca­tion avec les élus et avec le public. “N’oubliez jamais qu’il est neu­ro­chi­rur­gien, confie un de ses amis. Si un malade est dans le coma, il opère seul, à ses risques et périls. Et s’il sur­vit, le malade lui en sera recon­nais­sant.” La recon­nais­sance des Marseillais tarde à venir, Au mieux, les son­dages le cré­ditent de 8 à 14 % des voix. « Un vote légi­ti­miste » ana­lyse Jean-Claude Gaudin. Une légi­ti­mi­té sur laquelle compte Pierre Bonneric, direc­teur de cabi­net du maire. : « Une fois les pas­sions pré­si­den­tielles pas­sées, les élec­teurs juge­ront le maire, le ges­tion­naire, et son bilan. »
Un bilan plu­riel. “Il y a un “désa­mour” du per­son­nage, relève Jean-François Mattéï. Autant le plé­bis­cite était exces­sif, autant le “désa­mour” est exces­sif.“
Le der­nier man­dat marque une rup­ture his­to­rique dans la ges­tion de la ville. Robert Vigouroux a assu­mé la fin du def­fer­risme, de ce sys­tème de pou­voir qui irri­guait la ville, des comi­tés de quar­tier aux asso­cia­tions en pas­sant par une presse très poli­ti­sée. Poussé par les évé­ne­ments plus que par convic­tion intime, le maire a rom­pu les réseaux, cou­pé des branches mortes, taillé dans le vif sans que les déci­sions ne soient tou­jours com­prises ou accom­pa­gnées. Paradoxalement, il a accom­pli un pro­gramme très libé­ral. La pre­mière voie urbaine pri­vée à péage en France a vu le jour à Marseille avec le tun­nel Prado Carénage. La col­lecte des ordures ména­gères a été concé­dée, leur pro­chaine inci­né­ra­tion le sera aus­si. Les par­kings ont été eux aus­si pri­va­ti­sés. La situa­tion cri­tique des finances au début des années quatre-vingt-dix y est pour beau­coup. Le métro, les plages Gaston Defferre, le grand émis­saire pour les eaux usées ont été construits sur emprunt à l’époque de la grande infla­tion. : Marseille, est le pre­mier client du Crédit local de France. Pierre Richard son patron, et les autres banques, la chambre régio­nale des comptes tirent alors la son­nette d’alarme. La ville n’a plus un sou à inves­tir. Pour réa­li­ser ses pro­jets coûte que coûte, le maire ne peut comp­ter que sur le pri­vé. Et sur de nom­breux dos­siers, au prix de mon­tages par­fois déli­cats, il réus­si­ra. Rien d’idéologique dans cette poli­tique. Un exemple : celui des can­tines sco­laires. Tout part de quelques tour­ne­dos. Les ser­vices vété­ri­naires en découvrent dans les fri­gos, alors que la loi impose une consom­ma­tion immé­diate de la viande hachée. Les ser­vices de l’État s’inquiètent. 200 MF de tra­vaux sont néces­saires dans les 257 can­tines de la ville. Impossible de les ins­crire au bud­get. Par contre en confiant à la Sodhexo et à la Compagnie géné­rale de res­tau­ra­tion, les 6 mil­lions et demi de repas des écoles, les ser­vices muni­ci­paux obtiennent la réno­va­tion des can­tines. Une poli­tique libé­rale qui sur­prend même à droite. “Je n’ai pas pri­va­ti­sé les can­tines des lycées, affirme Jean-Claude Gaudin et je ne l’aurais pas fait pour les can­tines sco­laires.” Incidence de cette poli­tique, le cou­lage, colos­sal, d’un mil­lion de repas par an, a dis­pa­ru, et les can­ti­nières ne sont cer­tai­ne­ment pas les meilleurs sup­por­ters du maire.
Changement dans la ville, mais aus­si chan­ge­ment dans les rap­ports de la ville avec sa région. Il n’y a plus de sujé­tion entre les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Là où Gaston Defferre pla­çait ses hommes, au dépar­te­ment ou à la région, Marseille ne trouve que des ins­ti­tu­tions indé­pen­dantes. Le sys­tème mono­chrome est mort. Il faut négo­cier, échan­ger, dis­cu­ter, avec des élus aux cou­leurs poli­tiques oppo­sées. Logique équi­voque, sou­ligne l’économiste Bernard Morel quand le ter­ri­toire dépar­te­men­tal recoupe les contours de l’aire métro­po­li­taine.
L’intercommunalité, amor­cée à trois com­munes en regroupe main­te­nant quinze. La aus­si un rap­port nou­veau s’instaure avec la péri­phé­rie mar­seillaise. Mais le plus déci­sif reste à venir. “Marseille et Aix doivent ces­ser de s’ignorer”, sou­ligne Jean-François Mattéï. Si Jean-Claude Gaudin est plus timo­ré dans ce domaine, il pour­sui­vrait « sans excès » l’intercommunalité, son col­lègue au conseil muni­ci­pal, Jean-Louis Tourret, vice pré­sident du Cnpf, sou­haite, lui que l’on avance, mais dans un cadre moins for­mel.
Le sex­tén­nat de Vigouroux est plus qu’une tran­si­tion. La ville en 86/89 est sous l’influence du Front natio­nal, avec des risques de frac­tures impor­tants. ““Vigouroux a été, sou­ligne Maître Christian Bruschi, avo­cat du droit des migrants, un can­di­dat de la paix civile.” L’intégration, avec une poli­tique déli­bé­rée de pro­mo­tion “des cultures de tous”, vou­lue par Christian Poitevin a mar­qué des points. La ville de Roland Petit est aus­si celle de I am ou de Massilia sound sys­tem. La movi­da mar­seillaise, louée par la presse natio­nale est plu­ri­cul­tu­relle, mul­ti­co­lore, sudiste. (Cf Le Citoyen de l’année)
Le virage pris en moins de dix ans est peut-être plus fort qu’on ne le croit. À la crise, au chô­mage s’est ajou­té un chan­ge­ment qui appa­raît frag­men­té en 50 pro­jets, mais qui est la muta­tion d’une ville. Plus qu’un manque de com­mu­ni­ca­tion que le maire recon­naît aujourd’hui, il a man­qué un sens visible au redé­ploie­ment de la ville. Avec Euroméditerranée, avec le grand pro­jet urbain, une direc­tion se des­sine, curieu­se­ment avec une impul­sion déci­sive de l’État. “Il a été mis fin, insiste Christian Bruschi, à l’exception mar­seillaise”. Au cours du XI° plan, quatre mil­liards de francs seront inves­tis à Marseille, avec une ten­ta­tion forte de pas­ser outre les acquis de la décen­tra­li­sa­tion. Pierre Weiss, direc­teur d’Euroméditerranée, mini­mise les pré­ro­ga­tives que lui donne le label d’Opération d’intérêt natio­nal. Il pro­met la dis­cus­sion, la négo­cia­tion, mais avec in fine un pou­voir de déci­sion de l’état. Les 800 MF déblo­qués par Simone Veil pour le grand pro­jet urbain, la réno­va­tion d’une par­tie des quar­tiers nord est en stand-by faute d’accord entre les res­pon­sables locaux et les admi­nis­tra­tions. Pour tous les grands dos­siers du pro­chain maire : le social, Euroméditerranée, le port, la place de Marseille en Méditerranée, le rôle majeur revient à l’état. “Marseille est deve­nue un enjeu stra­té­gique, s’inquiète Pierre Rastoin, ça se fera avec ou sans les Marseillais”. Marseille est rebelle, dit-on oubliant que si elle fait la révo­lu­tion en 1848, elle se récon­ci­lie avec l’empire pour faire des affaires sous Napoléon III. Choisira-t-elle en juin l’opposition au pou­voir ou les béné­fices du pouvoir ?

Marseille, ville pauvre ?

Avec la moi­tié de sa popu­la­tion qui n’est pas assu­jet­tie à l’impôt sur le reve­nu, avec un taux de chô­mage de 22 %, avec 100 000 per­sonnes qui vivent avec des reve­nus au-dessous du seuil de pau­vre­té, Marseille affiche tous les symp­tômes de la pau­vre­té. Et pour­tant, les chiffres glo­baux sont trom­peurs.
“Le phé­no­mène mon­dial de dua­li­sa­tion entre éco­no­mie com­pé­ti­tive et exclu­sion se concentre sur l’aire métro­po­li­taine […] avec l’accentuation des pro­ces­sus de ségré­ga­tion entre les ter­ri­toires”, relève le Club d’échanges et de réflexion sur l’aire métro­po­li­taine mar­seillaise*. “On oublie trop sou­vent, plaide Albert Hini, pre­mier adjoint, que notre ter­ri­toire avec 25 000 hec­tares, est cinq fois plus grand que Lyon, 2,5 fois la sur­face de Paris. Nous avons nos pauvres chez nous, pas dans des com­munes exté­rieures, comme Vaulx en Velin ou La Courneuve. ” “Il n’y a pas un centre riche et une cou­ronne de ban­lieues déshé­ri­tées” ren­ché­rit Pierre Rastoin, maire de sec­teur et patron des HLM. Sur la carte de la ville, il des­sine un vaste tri­angle : la pointe s’enfonce dans le cœur de ville la sur­face gri­sée englobe un ter­ri­toire qui part de la mer à l’Estaque et ne s’arrête qu’à la Rose. C’est un tri­angle de la pau­vre­té de 300 000 habi­tants. Sur ces sept arron­dis­se­ments, le taux de chô­mage est de 32 %, alors que sur le reste de la ville il est de 15 %, 42 000 Marseillais en état de tra­vailler y sont à la recherche d’un emploi, dont 10 000 depuis plus de deux ans. 62 % des habi­tants ne paient pas l’impôt sur le reve­nu contre 43 % dans le reste de la ville, les deux tiers des Rmistes y sont concen­trés. On y retrouve quatre fois plus de familles nom­breuses qu’ailleurs. Sur 24 col­lèges clas­sés dans la caté­go­rie la plus défa­vo­ri­sée par l’inspection aca­dé­mique, 22 sont implan­tés dans ce tri­angle de l’exclusion. “Ce sont de véri­tables écoles du tiers-monde, cumu­lant tous les han­di­caps”, note Pierre Rastoin**. Résultat : 45 % des enfants de plus de 15 ans n’ont aucun diplôme. “Des mil­liers de jeunes ont sui­vi l’école jusqu’à 16 ans, ils sont à peine capables d’écrire trois lignes, bour­rées de fautes d’orthographe. Quelle entre­prise les accueille­ra ? Ce sont des assis­tés à vie que nous fabri­quons”, dénonce ce fils de grande famille aux convic­tions de gauche. En Marseille, coha­bitent deux villes, une qui est en passe de réus­sir sa recon­ver­sion, qui vit mieux qu’elle ne le croit elle-même et une autre à la dérive, “en voie de napo­li­sa­tion” selon Pierre Rastoin. « L’unité de la ville est en dan­ger », dit-il. Certes l’action sociale, les réseaux asso­cia­tifs, l’action des Hlm, les élus locaux jouent un rôle de sou­pape, mais jusqu’à quand ?

Christian Apothéloz

* In La Métropole inache­vée. Éditions de l’aube.
** In Mémo de Pierre Rastoin Marseille, une ville à deux vitesses ?