Article paru dans le Nouvel Économiste.
L’an 01 de la prospection internationale
“Le département est une entreprise qui a de bon produit, mais pas de service commercial”, analyse Gilbert Deleuil, le directeur du nouvel organisme de promotion économique des Bouches du Rhône, Promotion 13. Et les résultats sont là. Sur 200 entreprises américaines qui se sont implantées en France en 1992, pas une seule n’a choisi le grand Marseille. Les dernières implantations annoncées sont souvent des micro-entreprises ou des regroupements de services sous un même toit. Pas de quoi éponger les 70 000 chômeurs de l’agglomération. Marseille a curieusement eu du mal à s’adapter à la nouvelle donne, oh combien concurrentielle des villes. Cité de commerce elle ne connaissait pas la concurrence des sites. Le port est incontournable et Nice n’est qu’un comptoir créé par les Phocéens. Les années quatre-vingt vont durement rappeler leur réalité. Marseille se croit spécialiste de l’agroalimentaire, elle voit naître un Agroparc à Avignon et un Agropole à Montpellier. Marseille structure son pôle santé avec une cité de la biotique, Nice s’affirme avec une cité du cœur. Marseille lance un centre européen de l’environnement, Montpellier encore, lui en ravit le titre et la paternité. Promotion 13 voit à peine le jour que le département du Var sort, mitonné par le fondateur de Côte d’Azur développement, Thierry Martin, une agence de développement. Bref, lorsque des sociétés comme Nissan ou Nike cherchent comme c’est le cas en ce moment un point de chute en Europe du Sud, Marseille n’est qu’une hypothèse. Et encore pas toujours. Dix ans après ses voisines, Nice, Montpellier ou Lyon, la région marseillaise cherche à se positionner dans la prospection internationale. Pour la première fois, on parle marketing territorial, ciblage, missions. Promotion 13 a vu le jour le 30 mars dernier, né de la volonté conjoint du Conseil général 13 et de la chambre de commerce. « Nous avons identifié quatre secteurs, annonce Gilbert Deleuil, directeur, l’agroalimentaire, la maintenance, la santé et les biotechnologies et la logistique. « Et pour chacun d’entre eux un argumentaire, des cibles, des actions sont en cours de définition. Dans le collimateur des 20 salariés de Promotion 13 : l’Amérique du Nord, l’Asie du Sud-est, l’Allemagne, la Suisse et la Grande Bretagne. Et en France, les entreprises, très courtisées, de la périphérie parisienne.
Espaces et identités
A priori, l’investisseur a le choix : 187 zones d’activités s’offrent à lui. Dans la réalité, chaque bassin d’emploi s’est forgé une personnalité. L’industrie lourde est à l’ouest. Depuis le début du siècle, l’Étang de Berre et le golfe de Fos sont la terre d’élection de la pétrochimie, de l’aéronautique (Eurocopter, Dassault, la base d’Istres) et depuis 20 ans de la sidérurgie. Pour la seule période 1991–1993, 12,5 milliards de francs ont été investis dans la pétrochimie. La moitié de la production nationale de soude, de chlore, d’éthylène et de propylène est réalisée dans la région.
Le port de Fos sur Mer, premier port pétrochimique en Europe est en outre gestionnaire d’un territoire de 10 000 ha. Le port est le promoteur, l’aménageur et l’investisseur de la zone industrielle portuaire. La zone industrielle actuelle de Fos s’étend sur 7200 ha dont 5500 utilisables pour les activités, 800 sont disponibles pour les activités commerciales, 1200 pour l’industrie.
Dernier gros investissement en date : l’implantation d’Arco mis en service en 1988 (2,4 milliards) puis son extension de 89 à 91 (1,2 Md). Depuis, aucune implantation significative ne s’est décidée. Fin 93 cependant, devrait être inaugurée l’usine de traitement des déchets pétroliers et chimiques, Merex, avec une première ligne de traitement de 60 000 tonnes par an. Les dossiers sont très longs à aboutir : entre le premier contact avec Arco et sa mise en service, 13 ans étaient passés. Mais la venue d’Arco a suffi à rentabiliser le bureau de représentation permanent aux USA. Avec la crise, plusieurs dossiers sont gelés. Le joint-venture Shell chimie/Mitsui Toatsu projetait de construire une unité de fabrication d’un produit chimique intermédiaire sur 35 ha, un investissement de 1,5 MD. Arco avait mis à l’étude une augmentation de la production d’oxyde de propylène en Europe, soit à Rotterdam, soit à Fos : investissement de 5 milliards.
Jacques Triffaud, chef du service promotion industrielle de Fos, oriente sa prospection dans deux directions, la chimie fine, afin de combler le maillon manquant entre le baril de pétrole et le médicament et la création d’une plate-forme multimodale portuaire à proximité des terminaux à conteneurs.
Vitrolles a concentré les fonctions logistiques liées à la route. Dans des zones comme l’Anjoly, qui affiche “complet”, hangars et dépôts ont permis l’éclatement des marchandises aux frontières de la métropole. Cette fonction devrait être relayée demain par la plate-forme logistique de Grans Miramas, en prise directe avec le rail, l’autoroute et le port. Une centaine d’hectares seront viabilisés dès 1995 pour amorcer ce qui doit être le grand carrefour des marchandises entre l’Europe du Sud et le sillon rhodanien.
Le pays d’Aix est aux antipodes de cet univers industrieux. Il reste la destination rêvée des cadres. La vallée de l’Arc, sans que cela soit une politique volontariste, est devenue une vallée high-tech. Bertin, Technicatome, I2E, ES2 et bien d’autres, plus petits, s’y développent. Michel Garnier, dans une étude réalisée pour le Lest Cnrs, le Laboratoire d’étude et de sociologie du travail a mis à jour la genèse de cette mini sillicon valley aixoise. Les délocalisations du Centre d’étude nucléaire de Cadarache, le Centre d’études techniques de l’Équipement, avec la proximité du groupe Thomson ont généré par essaimage un tissu de petites entreprises high tech. Dans la Haute vallée de l’Arc, sous l’impulsion de la commune de Rousset et du Conseil régional, la filière microélectronique se structure dans le Cremsi, le Centre régional d’étude de microélectronique sur le silicium, une association qui devrait donner naissance à un GIE. Dupont Photomask, ES2 et SGS Thomson sont associés à cette initiative qui doit déboucher sur des programmes de recherche et de formation communs.
À l’est de Marseille, Aubagne et Gémenos ont su profiter du manque de terrains à Marseille intra-muros et de l’exode des entreprises phocéennes. Motta et Géocéans ont encore récemment quitté le territoire de la commune de Marseille pour aller à Aubagne. Depuis 20 ans la municipalité communiste a su créer un environnement favorable aux PMI. Tous les secteurs sont représentés, mécanique, plasturgie, avec une dominante agroalimentaire avec des marques comme Pulco et Agruma, les chips Sibell et les produits frais des frères Canavèse.
La zone d’entreprise de La Ciotat (74 hectares) dopée un temps par l’exonération d’impôts sur 10 ans, voit émerger un mini-pôle pharmaceutique avec Athélia Pharm, spécialisé dans la micronutrition, Microlit dans la micro-encapsulation des arômes et France Gélules, fabricant de gélules vides pour l’industrie pharmaceutique. Plus discrètement, le pôle technologique « Milieux extrêmes », Ciomex, veut faire de La Ciotat un lieu de rencontre des chercheurs et praticiens impliqués dans la prévention du risque en entreprise. Pas de Zac ou de bâtiment prestigieux pour ce pôle original, mais une volonté de décloisonner. » Nous sommes persuadés, explique Bernard Mansard, ingénieur du CEA, président de Ciomex, que les technologies, les méthodes, les outils issus de domaines aussi éloignés que le nucléaire, le spatial, les explosifs, l’océanique et la chimie sont transférables ». Ciomex par un programme de formation et de rencontres joue l’interface avec l’espoir de favoriser l’implantation d’entreprises issues de transferts de technologies.
Cette couronne de Marseille qui va de la mer à la mer, des tankers de Fos aux bureaux les pieds dans l’eau de Ciomex, est la locomotive de redéploiement économique du Grand Marseille. Marseille, faute de communauté urbaine a longtemps crié au voleur. Dénonçant la concurrence déloyale des villes de la périphérie.
Naissance d’une métropole
En vingt ans les migrations alternantes ont été multipliées par cinq autour de la ville centre, signe d’une métropolisation progressive du territoire des Bouches du Rhône. Chaque jour 2600 Vitrollais viennent travailler à Marseille, et 2600 Marseillais vont en sens inverse à Vitrolles. (Chiffres 1990). Marseille n’a pas su résister, avec de vrais projets urbains à cette attraction inéluctable des espaces et des voies de communication. Avec la réflexion sur l’intercommunalité, sur le XI° plan une vision plus métropolitaine se fait jour dans les services municipaux, en particulier à l’Agam, l’agence d’urbanisme. La contribution de la ville au plan plaide par exemple pour “que soit établi un véritable schéma directeur des zones d’accueil pour les activités dans l’aire métropolitaine”. C’est avec le projet Euroméditerranée que la ville de Marseille compte reconquérir son leadership et ainsi assumer son rôle de capitale régionale. Marseille souhaite, à travers la création d’un centre tertiaire international, rassembler des services stratégiques ou spécialisés pour l’entreprise. Situé entre le port de la Joliette et la Porte d’Aix, ce projet à la fois urbain et économique vise à la réhabilitation d’un quartier portuaire en déshérence et à la reconstruction d’une centralité reconnue, lisible. Marseille s’inscrit dans une stratégie de captation des flux, comme un pôle logistique immatériel s’appuyant sur les moyens de communication et de télécommunication. La cité phocéenne revendique une place à part : constituer l’élément clef d’une politique de la France et de l’Europe en Méditerranée. Un enjeu national souligne-t-on en mairie. Une mission interministérielle a déjà remis son rapport et un prochain Ciat devrait enclencher, si Charles Pasqua confirme son avis positif, la création d’un établissement public. Ce rééquilibrage vers le port est amorcé. Certes il est toujours de bon ton d’avoir ses bureaux sur le Prado, mais les docks de la Joliette, réhabilités par la Sari, situés au cœur du futur centre Euroméditerranée connaissent malgré la crise un véritable engouement, une mode, confortée par des activités culturelles comme la “Fiesta des docks” qui réconcilie port et ville, latinité et économie.
Cet aggiornamento de la vocation méditerranéenne n’est pas un retour nostalgique vers le passé. De même que Marseille découvre l’intercommunalité, la prospection internationale, la concurrence des villes avec une décennie de retard, la ville accorde enfin à son potentiel scientifique et technologique une plus grande attention. C’est François Kourilski, aujourd’hui patron du Cnrs qui a le premier, au milieu des années quatre-vingt, alerté les institutionnels régionaux sur les ressources de la recherche. Nés de la tradition médicale de la cité, succombant à hélio tropisme, les laboratoires se sont multipliés, sans cohérence.
Où sont les 4 000 chercheurs marseillais ?
“Marseille est une ville très riche, note un ingénieur de recherche à Eurocopter, dans des domaines qui nous intéressent : nouveaux matériaux, acoustique, codes de calcul, logiciels, systèmes experts, etc. Dommage que ces scientifiques soient une bande de Gaulois qui ne se parlent pas !” Anecdote significative : Eurocopter, qui pourtant travaillait déjà avec des chercheurs marseillais du Laboratoire de mécanique acoustique ou de l’École supérieure d’ingénieurs, a appris il y a trois ans par le CNRS de… Nantes que l’Institut universitaire des systèmes thermiques industrielles de Marseille (contrats de recherche avec Renault, la Nasa, Dassault, EDF…) développait des moyens de calcul permettant de prévoir les comportements de certains matériaux à température extrême ! Calculs dont Eurocopter a besoin !
Marseille découvre, justement, qu’elle ne sait pas vendre, ses 4000 cerveaux, 2500 chercheurs dans le public qui cogitent dans plus de 200 laboratoires et 1500 dans le privé. Seconde ville de recherche publique derrière la région parisienne, la métropole marseillaise dépasse dans le secteur privé, depuis 1990 les scores de la Côte d’Azur avec plus de 4000 personnes employées en R & D. Secteurs en pointe : l’électronique, la chimie, et l’aéronautique.
Côté public, la majeure partie de cette matière grise phosphore dans les filières scientifiques de l’Université, qui réalisent environ 75 MF de contrats de recherche avec les entreprises et emploient près de 1200 enseignants-chercheurs. Forte présence aussi de l’Inserm (12 unités à Marseille contre 5 à Nice) et surtout du Cnrs, seconde délégation régionale après Paris, avec 600 chercheurs. La carte détaillée des compétences révèle les points forts de Marseille : 650 chercheurs dans le domaine de la vie et de la santé avec des “must” en immunologie, neurosciences, endocrinologie, microbiologie et biologie moléculaire, et un ensemble hospitalier en pointe dans le domaine de la cancérologie, des transplantations, des pathologies du système nerveux et cardio-vasculaire ; 380 dans les sciences de la matière – avec notamment le Centre de physique des particules en pleine expansion à Luminy, les études sur les plasmas et la chimie organique ; 350 dans les sciences de l’ingénieur et les mathématiques associées à l’informatique et à l’Intelligence artificielle ; 330 dans l’environnement marin et littoral.
“Nous devons regrouper nos forces, savoir nous associer, afin de nous vendre à l’échelle européenne, non pas par labo mais par compétence…” affirme Jacques Pantaloni, directeur de l’IUSTI, l’unité de recherche associée CNRS dans la région, et auteur, près le recteur, du schéma d’aménagement de la recherche universitaire dans le cadre du plan Université 2000. Un schéma qui met de l’ordre dans un labyrinthe illisible de labos. Outre la médecine localisée en centre ville – deux pôles géographiques, focalisent les activités de recherche et d’enseignement scientifique. Au Nord, le technopôle de Château-Gombert et le campus de Saint-Jérôme concentrera toutes les sciences de l’ingénieur. Au Sud, le “biopôle” de Luminy, rassemblera les sciences de la vie. Deux pôles déjà fortement esquissés aujourd’hui mais dont le trait serait renforcé.
Château-Gombert deviendra ainsi, entre autres, l’un des plus importants complexes français de formation et de recherche dans le domaine de la mécanique énergétique avec, un ensemble de 500 spécialistes, en prise directe avec les entreprises régionales de la sidérurgie et de la mécanique.
Ces labos constituent le substrat des ambitions technopolitaines de Marseille. Comme la recherche, les pôles à vocation technologiques se dessinent au nord avec Chateau-Gombert, au sud avec Luminy et en cœur de ville avec la Cité de la biotique.
Au Nord, le technopôle de Château-Gombert
Château-Gombert à sa naissance a suscité plus que du scepticisme. Le site enclavé, le projet longtemps mûri dans les institutions, une architecture funéraire pour le premier grand bâtiment, l’Institut méditerranéen de technologie, une communication tapageuse pour un projet naturellement lent n’ont pas servi ses promoteurs. Pourtant, quatre ans après sa naissance officielle, la première rentrée de l’IMT, les avis évoluent. Thierry Bruhat, le Monsieur Technopole de la Datar avoue qu’il était dubitatif, mais qu’aujourd’hui, “si un vrai technopôle est une opération où se mêlent sur un même site, laboratoires, universités et entreprises, Château-Gombert est une technopole.” “La réalité de Château-Gombert, affirme François Hirn, directeur régional de Bull et président du club des dirigeants, est nettement plus positive que son image. J’ai parié, en m’installant ici, après avoir examiné 20 autres sites, sur un développement de la technopole à 5 ans, sur la capacité d’attraction de l’IMT et de l’Institut international de robotique et d’intelligence artificielle”.
Avec 300 salariés, Bull est l’une des quatre “grosses” entreprises implantées sur les 180 ha de Château-Gombert. À ses côtés, la direction régionale Sud-Est du groupe d’assurances Axa (200 emplois), créée là en 1989, Cybernétix, (ingénierie des systèmes automatiques et robotique) et Serete Méditerranée (contrôle et conception électrotechnique et électromécanique). À elles quatre, elles représentent plus de la moitié des 1200 emplois créés, la majorité des 50 autres sociétés ne dépassant pas les 10 salariés.
L’important souligne Thierry Bruhat n’est pas la taille des entreprises ou leur nombre, mais “qu’elles soient motivées plus par la proximité d’un réseau de ressources, de transfert de technologie que par un espace”. Chateau-Gombert est devenu lieu de rencontre scientifique. Outre les congrès, deux clubs rayonnent sur toute la région : le club des entreprises technoperformantes et le club des entreprises du secteur de l’environnement. Les pépinières de l’IMT et de l’Iiriam aident à mûrir des projets d’entreprises souvent issues de la recherche. Et l’association d’animation scientifique de Chateau-Gombert devrait renaître avec une vocation élargie à toute l’aire métropolitaine.
Au Sud le biopôle de Luminy
Conçu au départ comme un campus universitaire un peu hétéroclite, disséminé dans les pinèdes, et planté au-dessus des calanques de Marseille, Luminy, qui abrite 6500 étudiants, dont la moitié dans la fac de sciences, ne mobilise l’attention des collectivités locales que depuis deux ans.
Pourtant ce campus verdoyant héberge aussi 26 laboratoires et 1300 scientifiques et chercheurs avec deux unités phares : le centre d’immunologie Inserm-Cnrs (147 personnes) et l’unité Inserm de recherche sur le sida (rétrovirus et maladies associées) de Jean Claude Chermann. Côté recherche est en projet, approuvé par le Ciat, un vaste Institut fédératif de la biologie du développement regroupant génétique, biologie cellulaire, immunologie. Côté formation, la construction d’un Centre de biotechnologie est en cours avec formation d’ingénieurs en génie biologique et microbiologie, et sans doute, une autre en instrumentation biomédicale, des labos de recherche (Orstom, INRA) et, éventuellement, une structure de transfert de technologie.
L’Association du Grand Luminy, créée en 1986 par les différents organismes et présidée aujourd’hui par le doyen Méry de la faculté des sciences, oriente son action vers la création d’entreprises directement liée aux activités de recherche des labos, avec, par exemple, la création d’un incubateur pour les thésards. Le site n’accueille pour l’instant que 6 entreprises (300 salariés) – dont Immunotech, l’entreprise bannière née il y a dix ans des travaux du centre d’immunologie, créatrice de 115 emplois. Mais les ambitions industrielles resteront limitées sur Luminy, seuls cinq hectares sont disponibles pour des activités économiques très ciblées.
La Cité de la biotique
Le troisième grand pôle de développement à vocation technopolitaine sera installé en cœur de ville. Marseille Provence est en effet la deuxième région de France de recherche biomédicale et d’activités cliniques. L’Assistance publique, 5000 lits et 3000 médecins, constitue le premier ensemble hospitalier d’Europe du Sud. La cité de la biotique englobe deux hôpitaux de l’assistance publique dotés de 2 700 lits, trois facultés, médecine, pharmacie, odontologie et la future Villa Hippocrate, un ensemble immobilier de 60 000 m², qui formera des bioticiens et accueillera des activités de développement industriel.
Elle a déjà séduit la société américaine Genta pharmaceutical, spécialisée dans la fabrication de médicaments de 3e génération dits “anticodes”, qui vient d’installer dans des locaux provisoires sa direction Europe et souhaite créer une unité de recherche et de développement à Marseille, employant d’ici trois ans une centaine de personnes, en vue d’implanter ensuite une entité de production, fournissant le marché européen. “Nous avons trouvé à Marseille, explique M. Van de Winckel, directeur général de Genta Europe, des possibilités très intéressantes de partenariat avec des équipes locales cliniques et scientifiques et une volonté très forte des collectivités locales de créer un terreau de développement de sociétés en bio technologies. Nous allons d’abord mener des recherches précliniques et tester dans les 3 ans à venir une dizaine de molécules dans un laboratoire que nous implantons à Luminy (10 chercheurs) et qui collaborera notamment avec le centre d’immunologie. Puis, d’ici 2 ans sans doute, nous mènerons des recherches de développement clinique dans la cité de la biotique”.
En affichant des ambitions d’une technopole, structurée autour de ses trois pôles, Chateau-Gombert Saint Jérôme, Luminy et la Cité de la biotique, en projetant en bordure des quais un centre d’affaires décisionnel, Marseille joue enfin un rôle de capitale. Elle réfléchit, investit, construit non pour elle-même, mais pour toute sa région avec l’ambition de reconquérir une place spécifique dans le paysage sud-européen. Et ces projets s’inscrivent dans une stratégie nationale matérialisée par le Livre blanc sur l’aire métropolitaine marseillaise de la Datar et par les travaux de prospective conduits toujours par la Datar sur le devenir de l’espace méditerranéen. Lors de l’entretien qu’il a accordé au maire de Marseille, Charles Pasqua a confirmé l’intérêt qu’il porte à Euroméditerranée. Depuis Fos sur Mer, l’État n’en avait jamais fait autant. Est-ce la fin du divorce Paris Marseille ?
Une place financière régionale organisée comme un club
La suppression des bourses régionales fut un électrochoc, salutaire, pour les professionnels de la finance de Marseille. La corbeille, aussi désuète soit-elle, symbolisait la vie financière de la cité. Un ersatz. On y traitait plus d’obligations que d’actions.
Électrochoc donc, qui conduit les professionnels de la finance, sous l’impulsion de celui qui n’était pas encore président de la chambre de commerce, Henry Roux-Alezais, à créer une Communauté économique et financière méditerranéenne en 1988. Club et lobby régional de la finance, la Céfim s’ouvre aux banques bien sûr, aux conseils financiers, aux avocats, aux experts-comptables aux notaires. Elle réussit à animer ce monde-là et à faire mûrir des projets. Autour du professeur Claude Bensoussan par exemple, se crée l’Iséfi, l’Institut supérieur d’études financières qui forme des étudiants de l’après-bac aux mastères en “ingénierie financière” ou “gestion de patrimoine”.
Des commissions animées par José Yborra ou Eugène André Rey, conseils financiers sont consultées pour d’importants dossiers. Deux reprises d’entreprises par les salariés, verront le jour au plan juridique et financier grâce à la Céfim : le Res d’Ortec, qui sortit du giron du groupe Onet et celui de Snef Électric Flux, reprise en main par ses cadres. Débats, conférences, rencontres ont trouvé dans l’enceinte du Palais de la Bourse un lieu cossu et feutré spécialement aménagé pour les recevoir : le club Céfim.
La place financière de Marseille ne peut rivaliser avec les outils d’une capitale, mais toutes les compétences qu’un chef d’entreprise peut attendre en région sont là. Huit banques, disposent d’un siège en Provence. Réellement autonomes comme la banque Martin Maurel ou appartenant à un réseau comme la Banque populaire, elles offrent une proximité de décision et une vraie connaissance du terrain. Des “trois vieilles”, le Crédit Lyonnais est historiquement le mieux implanté. Dans les interventions en haut de bilan, on retrouve souvent Finadvance, la société animée par Pierre Bellon, Altus Finance ou Innolion avec le Crédit lyonnais, la BNP avec Banexi.
Trois fonds de reconversion peuvent être sollicités selon la localisation de l’entreprise : Sofréa, société de reconversion d’Elf Aquitaine ; la Sodicem d’Usinor-Sacilor et la Sofirem des Charbonnages de France dans le bassin d’emploi de Gardanne. La ville de Marseille en association avec les banques a créé un fond de garantie, “Marseille métropole garantie” qui dispense avec prudence, sous le couvert de Sofaris, une caution en générale égale au tiers du crédit, aux entreprises industrielles.
Les trois outils de capital-risque régionaux, créés avec des fonds publics sont aujourd’hui en panne. La Société de développement régional Méditerranée, sous capitalisée, après des pertes importantes, doit s’associer avec Sud Capital, société créée par le Conseil régional avec des fonds européens. La fusion des deux institutions, dont l’une est cotée en Bourse, s’avère délicate. Et les deux sont en stand by. La petite Saménar, société de capital-risque de proximité, née dans les Alpes et abondée récemment par le Conseil général 13 et la Caisse d’épargne attend un feu vert du Conseil d’État pour étendre ses interventions dans les Bouches du Rhône.
L’activité de gestion de patrimoine elle, est très animée. » Notre région est excédentaire, note Yves Blisson de Schelcher France. À cause des tranches d’âge bien sûr, mais aussi parce que l’on retrouve des gens qui ont vendu leur société. Il y a un marché vivant”. Worms, Paribas et toujours le Crédit Lyonnais y sont très présents.
Marseille sur Méditerranée
L’ouverture méditerranéenne est devenue le credo de tous les politiques. Une évidence géopolitique à nuancer selon que l’on parle de la rive sud ou nord de la Méditerranée.
Les relations commerciales qui existent entre la région marseillaise et l’Italie sont traditionnellement fortes autant par choix stratégique que par héritage culturel. L’Italie, premier partenaire commercial du département absorbe 22 % des exportations et 11,5 % des importations, loin devant l’Espagne, l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Marseille rêve d’échanges avec Barcelone, mais commerce avec son voisin transalpin.
Si l’Europe du Sud constitue le premier axe d’ouverture de Marseille, les liens se sont maintenus, malgré les vicissitudes des indépendances, avec les pays du Maghreb qui absorbent 6 % des exportations du département et 13 % des importations ; au premier rang, l’Algérie. Ce pays en crise constitue toujours, parce les relations affectives et commerciales n’ont jamais été rompues, une destination pour les PMI régionales. Les Laboratoires Laphal, par exemple, basés à Allauch ont créé avec Synthélabo une société de droit algérien, l’Institut médical algérien en joint-venture avec un répartiteur pharmaceutique local. Une unité de production de spécialités pharmaceutiques de prescription de 20 MF devrait être construite avec des crédits de la caisse française de développement. Les Moteurs Baudoin, ont par le biais de l’Institut méditerranéen pour l’économie et le développement, IMED, officialisé un contrat de représentation avec une société algérienne, Dieselec, assortis de commandes de pièces importantes pour le dépannage de moteurs. Une nouvelle entité, Baudoin Algérie est en cours de constitution.
La Turquie, un micromarché à l’échelle statistique offre pour certaine PMI une vraie bouffée d’oxygène. La société Legré Mante livre des produits chimiques à l’industrie pharmaceutique turque ; Galex SA, filiale d’Air liquide mise sur le développement de ces marchés.
Le Port autonome de Marseille est très présent dans tous les pays du bassin méditerranéen grâce à son savoir faire en ingénierie et informatique. Le projet Méditel, qu’il pilote depuis 1989, soutenu par la Communauté européenne doit informatiser et mettre en réseau 17 ports de la Méditerranée et de la Mer noire. La première phase d’informatisation des opérations portuaires touche à sa fin. La phase de mise en réseau est prévue pour 1994.
Les marchés méditerranéens longtemps considérés comme un héritage du passé font l’objet de toutes les attentions. Le Conseil régional a signé à Séville une charte du bassin méditerranéen qui l’engage avec six autres régions : Languedoc-Roussillon, Catalogne, Ligurie, Piémont, Municipalité de Tunis, Région de Tétouan. Le Conseil général privilégie ses relations avec la Tunisie et le Maroc. La ville de Marseille tisse des liens avec les villes riveraines dans les domaines de l’environnement, de la gestion de l’eau, avec l’Institut méditerranéen de l’eau, de la gestion urbaine avec la Fondation des villes et territoire méditerranéens.
“Notre capacité à commercer, à échanger, dans cette région du monde est un atout que nous devons vendre à l’extérieur, souligne Jean-Claude Sitbon, directeur de l’Adéci. S’installer à Marseille ce n’est pas choisir un marché d’un million d’habitants mais une zone de chalandise de 386 millions d’habitants aujourd’hui, de 500 millions en 2010”.
Christian Apothéloz