Article paru dans le Figaro Économie.
L’intégrisme musulman a beau menacer tout le Maghreb, la guerre s’éterniser en Yougoslavie, les économies du Sud s’enliser dans la dépendance, Marseille persiste et signe, son avenir est ici, lié au sort des 17 riverains de la Grande bleue.
Pendant les trois décennies post-coloniales, Marseille a cru trouver sa voie au nord, jouer au PLM et rivaliser avec Lyon ou Amsterdam. Rejetée par un empire qui avait fait sa fortune, elle pansait ses plaies, soignait ses nostalgies, tournant le dos à la Méditerranée. Les deux tiers de ses enfants en sont pourtant originaires. Leurs parents ou grands parents ont découvert les îles du Frioul avant les quais du port ou la gare Saint Charles avant la Canebière. Marseille ville corse, arménienne, maghrébine, italienne, pied noir se croyait seulement française. Elle était plus, un “melting-pot” à la provençale, une ville cosmopolite qui réinvente chaque jour l’union de Protis et Gyptis, celle du métèque et de la gauloise.
Avec les années 90, l’idée méditerranéenne fait un retour en force. Elle s’impose aux élus comme une évidence et devient le ferment d’initiatives tant dans le domaine économique que culturel ou institutionnel.
L’Institut méditerranéen de l’eau tisse son réseau de professionnels de l’hydraulique, favorisant les relations directes entre techniciens des deux rives. FR3 va coproduire avec les télévisions du bassin méditerranéen regroupées dans le CMCA, Centre méditerranéen de la communication audiovisuelle, une série d’émissions à l’occasion de l’Année de l’eau en Méditerranée. L’Ecole de journalisme de Marseille participe, dans le cadre d’un programme soutenu par la CEE, Remfoc, (Réseau euromaghrébin de formation à la communication) à la formation de journalistes économiques marocains, algériens et tunisiens. Les services techniques de la ville de Marseille apportent leur contribution à la mise au point du plan d’assainissement du Maroc. Le Gérès, le Groupe énergies renouvelable et environnement, a réalisé l’audit énergétique des hammams de Casablanca, pour trouver des solutions afin de limiter la consommation de bois de chauffage. (70 000 tonnes équivalent pétroles pourraient être économisées). Au Maroc toujours, Olivier Pastré, responsable de l’ingénierie financière à la Société marseillaise de crédit a créé un fond commun de placement franco-marocain destiné à intervenir à la Bourse de Casablanca, particulièrement sur les entreprises publiques privatisées. Daniel Belli, animateur de l’association Écume, Echanges culturels en Méditerranée, réunit chaque année les conservatoires de musique des pays riverains. Tandis que l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée rassemble, depuis plus de dix ans, des jeunes prodiges de tous pays, en résidence pour l’été aux frais du Conseil régional Provence Alpes Côte d’Azur. Daniel Drocourt, directeur de l’Atelier du patrimoine de la ville de Marseille est un expert reconnu des centres anciens et des médinas, il est régulièrement consulté par ses homologues des municipalités du nord ou du sud.Tahar Rahmani, directeur de 3 CI, Conseil aux créateurs d’entreprises et coopération internationale, souhaite que Marseille et ses entrepreneurs s’impliquent à Jéricho ou Gaza, dans la construction de l’Etat palestinien. Avec la bénédiction de la ville de Marseille de la Région et de l’Etat, la Fondation des villes et territoires méditerranéens voit le jour pour réunir les professionnels de la ville, etc.. Initiatives foisonnantes, aux ambitions diverses, mais toutes fondées sur la volonté de s’enraciner au Sud, de retrouver une identité, de jeter des ponts entre les deux rives.
L’idée méditerranéenne qui est née à gauche, Michel Pezet ancien président du Conseil régional avait écrit au milieu des années 80 le “Défi méditerranéen”, inspire tous les discours politiques. Jean-Claude Gaudin a lancé la Charte du bassin méditerranéen avec des régions italiennes espagnoles marocaines et tunisiennes. La Ville de Marseille s’inscrit dans les programmes européens destinés à la Méditerranée comme Med Urbs. Le président de la Chambre de commerce, Henry Roux-Alezais anime l’association des chambres de commerce de la Méditerranée, l’Ascame.
Mais tous ces efforts ne se traduisent pas par des flux commerciaux significatifs. La Méditerranée dans son ensemble représente 36% des exportations de la région et 40% des fournisseurs, mais, l’Italie se taille la part du lion avec près de 20% des échanges. Les pays arabes, 9,5% des exportations, sont en légère régression sauf le Maroc.
“Nous bénéficions d’une rente de situation, analyse Jean-Louis Reiffers, directeur du Centre d’économie et de finances internationales(Cnrs), d’échanges plus forts que la moyenne nationale avec le Maghreb. Mais, si nos échanges avec ces pays sont excédentaires , c’est la zone du monde où il y a le moins d’investissements directs, où le nord ne réinvestit rien de son bénéfice commercial. Résultats, nous faisons les fins de mois des gouvernements, nous voyons venir leurs migrants et l’intégrisme s’installe.”
La solution pour ce consultant de la Banque mondiale est de créer progressivement entre le Maghreb et l’Europe un marché identique à l’Aléna mexico-américaine, une zone de libre échange qui séduirait alors les investisseurs. “L’investissement privé est la clef, plaide-t-il. Si on n’offre pas le débouché européen, le premier marché mondial, aux investisseurs potentiels, personne ne mettra un dollar au Maghreb, plutôt qu’en Asie du Sud-est. Il faut des règles du jeu stable, une plus grande ouverture, même si nos propres productions sont concernées. ”.
“Nous sommes des frontaliers de la rive Sud, en première ligne, note Jean-Louis Geiger, conseiller régional. Faudra-t-il construire un mur ou ouvrir un vrai marché?”
Christian Apothéloz
S’implanter en Algérie, malgré tout
Druon Note n’a rien d’un aventurier à la tête brûlée ou… d’un islamiste. Pied noir, rapatrié en 1962, il a fait son tour de France avant de choisir la plus méditerranéenne des métropoles, Marseille. Fils d’un répartiteur pharmaceutique algérois, il se lance naturellement dans cette activité. En 20 ans, le petit Laboratoire de pharmacologie appliquée est devenu Groupe Laphal, le chiffre d’affaires est passé de 2,5 à 320 millions de francs, les 15 salariés des débuts sont 380. L’export est dès 1985 une priorité, mais pas à n’importe quel prix. “L’Europe du médicament n’existe pas, explique Druon Note. Les fameuses autorisations de mise en marché ne s’obtiennent que pays par pays. Par contre, avec l’AMM française nous pouvons entrer en Afrique noire, au Maghreb et dans certains cas dans le Sud-est asiatique.”
L’Algérie est donc un pays cible. Dans les années 80, Laphal y écoule pour 2,5 MF de produits. Puis les Italiens et les Espagnols découvrent le pot aux roses et attaquent le marché algérien avec des prix de dumping. Pas question de s’enliser dans une guerre des prix.
En 1991 l’opportunité se présente d’un retour de Laphal en terre algérienne. La nouvelle loi du commerce autorise un industriel étranger à s’implanter sur place à condition qu’il s’associe à un partenaire local. Qu’à cela ne tienne Si les flux commerciaux ont chuté, les liens sont restés vivaces entre le deux rives. Laphal va s’associer à un répartiteur oranais et faire entrer dans l’opération une autre laboratoire français, Delalande du groupe Synthélabo. “L’objectif est simple, plaide Gérard Delettre, directeur international, il est d’abord de conditionner puis de produire sur place. N’oubliez pas qu’un médicament produit en Algérie bénéficie de la préférence nationale.”
L’Adeci, délègue un expert sur place pour finaliser l’étude de faisabilité et entreprend les démarches pour obtenir des financements de la Caisse française de développement et de la CEE. L’Institut médical algérien voit le jour. Il conditionne des produits bon marché, de médecine générale et d’utilisation facile. Laphal se rémunère sur le know how et sur les royalties Les difficultés ne manquent pourtant pas. “Les Algériens sont bon payeurs, souligne Druon Note, mais à 360 jours!”. La situation politique a ralenti le projet, l’usine conditionne, mais ne fabrique pas encore et le directeur, condamné par le Fis, a du être rapatrié.
“Il n’y a pas de stratégie internationale sans risque argumente Druon Note. Et puis j’aime ce pays, j’y suis né. Quelque soient les régimes, les hommes ont besoin de médicament. Et au plan strictement économique, nous avons à ce jour largement rentabilisé notre investissement sur place.”
CA SJ
Le port de Marseille, ingénieur des ports méditerranéens
Premier port de Méditerranée, Marseille a su exporter son savoir faire particulièrement au Maghreb et en Afrique.
Le système informatique du Pam équipe ainsi 17 ports. Le projet Méditel, inscrit dans le programme européen “Politique méditerranéenne rénovée” a été lancé en 1989. Objectif : réduire le fossé technologique entre les ports d’Europe du Nord, très avancés en informatique, et les ports de la Méditerranée, à peine ou pas du tout informatisés Méditel doit optimiser la gestion opérations portuaires des ports du bassin méditerranéen, le programme Estel, son prolongement, dans ceux de la Mer noire. La première phase, grâce au logiciel Escale, touche à sa fin : Oran, Alger, Annaba, Tanger, Tunis, Haydarpasa, Alexandrie, Larnaca et Limassol, Odessa, Illiychesk, Yuzhny en Ukraine, sont équipés pour une plus grande maîtrise du trafic portuaire. La seconde phase, celle de la mise en place d’un réseau ”d’échanges de données informatisées”, EDI, sur les navires et les marchandises, démarre cette année. Installé d’abord entre les ports de la Méditerranée puis à l’intérieur des ports, ce réseau facilitera les opérations en anticipant l’arrivée des navires, avec à la clef, une meilleure organisation des opérations relatives aux escales.
A Tunis, le partenariat va plus loin. Prévu initialement pour équiper un port par pays, Méditel sera en fait, en collaboration avec l’Office portuaire national de Tunis, installé dans tous les ports tunisiens. Méditel rayonnera ensuite à partir de Tunis. Des experts, labellisés “Méditel” pourront à terme aller vers d’autres pays. Une véritable “communauté informatique portuaire” élargie à l’ensemble de la Méditerranée est en train de naître.
Méditel n’est qu’une partie du champ de compétence du service de coopération internationale du port phocéen. Le Pam vend son ingénierie portuaire, son savoir en matière d’environnement et de sécurité, sa capacité de formation. Sur appel d’offres, Beyrouth vient de confier à Marseille la remise à niveau de ses infrastructures portuaires, un contrat d’ingénierie de 7,8 MF. Sur le continent africain, en partenariat avec la Banque africaine de développement et la CEE, le service coopération internationale du PAM se positionne sur une trentaine de projets d’assistance mécanique et d’amélioration de gestion portuaire. Outre Douala, Lomé, Conakry, Dakar, le PAM a déjà dispensé son aide au port de Cotonou pour la gestion informatisée des achats et des stocks. Résultat : le port du Bénin a doublé son chiffre d’affaires en un an. François Perdrizet, directeur du Port souhaite renforcer la coopération internationale, avec la création d’un “corps d’experts” du Pam, tant dans la réalisation d’équipements portuaires que dans la gestion.
Sylvie Jullien
Partenariat industriel : les PMI revendiquent leur place
Les papeteries de Gromelle sont depuis le début du siècle installées à Saint Saturnin les Avignon. Une quarantaine de salariés, près de 40 MF de CA dont la moitié à l’export, cette Pmi a le profil type des 150 sociétés qui adhèrent à l’Adeci, l’Association pour le développement de la coopération industrielle internationale, qui joue les interfaces pour rapprocher entrepreneurs du Nord et entrepreneurs du Sud. Les Papeteries de Gromelle sont des spécialistes de la boîte à sucre. “Le Maroc, explique son directeur Jacques Ducrès, a des besoins importants, mais c’est un marché très protégé”. L’opportunité se présente lorsque l’Adeci reçoit une demande d’audit technique d’un papetier marocain, la Sifap. Une simple demande d’expertise. “Mais, explique Jean-Claude Sitbon, directeur de l’Adeci, la meilleure expertise est celle d’un chef d’entreprise. “ Le contact est établi, des améliorations proposées, mais très vite, les deux entreprises vont aller plus loin. Les gammes de produit sont complémentaires. “Ce contact direct de patron à patron, ajoute Jean-Claude Sitbon, permet de faire le premier pas : échanger un savoir faire technique contre des débouchés, en l’occurrence les fabricants de thé et de sucre marocains. Ce n’est pas la définition du partenariat que l’on trouve dans les livres, mais c’est le plus souvent celle qui marche. Ensuite, si les contacts sont fructueux, les montages plus complexes sont envisageables.”
Beuchat, leader des articles de plongée et de chasse sous-marine avait besoin pour s’attaquer à l’export de produire dans un pays où les coûts de main‑d’oeuvre permettent de faire face aux produits asiatiques. Patrick Musk, directeur technique de Beuchat avait identifié un partenaire à Madagascar : une société récemment privatisée, Dipco, souhaitant diversifier sa production. Avec elle, Beuchat va monter en joint venture une nouvelle société qui produira en zone franche une partie de sa gamme. L’Adeci apportera aux deux parties son expertise et sa connaissance des réseaux de financement. La nouvelle unité compte une vingtaine de salariés, elle produit 6000 vêtements par an. Dipco a mis dans la corbeille le bâtiment et 80% du capital. Beuchat apporte son savoir faire la formation et les produits.
La méthode de l’Adeci, c’est le compagnonnage industriel, une méthode, pragmatique, qui privilégie les entreprises existantes, et qui veut favoriser l’émergence de vrais patrons au Sud. “Le métier, explique Francis Testa, spécialiste du tube plastique et du recyclage, président, est la base d’un langage commun, fondé sur le vécu des dirigeants. Il débouche sur des échanges de savoir-faire et de technologie, en contrepartie d’un meilleur accès aux marchés. “
CA
Un livre blanc pour secouer les institutions
Présidée par Francis Testa, animée par Jean-Claude Sitbon, l’Adeci fait figure de pionnier en France. Les dix autres structures qui en France font le même métier ont choisi Marseille comme siège et Jean-Claude Sitbon comme président. Ces professionnels du réseau Entreprises et développement ont mis en commun leur expérience dans un Livre blanc remis aujourd’hui 19 mai aux pouvoirs publics et aux institutions internationales. “Nous avons la même expérience, déclare Jean-Claude Sitbon, nous sommes convaincus que c’est la rencontre entre chefs d’entreprises du Nord et du Sud qui peut faire naître des projets communs. Les missions, les listes d’opportunités, les banques de données, les forums … sont des opérations sans impact réel. L’offre de partenariat et la demande ne se rencontrent pas. Les porteurs de projet du Sud attendent des capitaux et les candidats du nord sont souvent des équipementiers ou des vendeurs d’ingénierie”.
Le réseau touche aujourd’hui la limite de son action. L’univers financier, les dispositifs d’aide au développement, les actions des institutions internationales ne font aucune place à la petite entreprise. Un seul exemple : Jacques Giordano, fabricant de capteurs solaires a monté deux sociétés en partenariat, l’une en Egypte avec 120 salariés, l’autre à Madagascar. Bilan : “C’est intéressant, mais au plan financier, nous ne touchons rien, nous ne pouvons pas rapatrier nos royalties sur les produits fabriqués. Nous avons un gros compte courant!” D’où ce Livre blanc qui met les points sur les “i” et demande à chacun, Etats, banquiers, organismes internationaux, collectivités locales, de prendre leurs responsabilités. Les dix recommandations du réseau veulent faire reconnaître la petite entreprise comme un “agent de développement” à part entière. Entreprises et développement propose de passer aux actes avec un programme national de 100 projets de partenariat industriel avec l’Afrique et la Méditerranée. “Ce programme, plaide le président du réseau, sera fondé sur la méthode du compagnonnage industriel, il a pour objectif , sur une durée de deux ans, de susciter, d’accompagner et de réaliser 100 projets de partenariat industriel entre Pmi françaises et africaines.”
CA
Membres du réseau
- Adéci (Provence-Alpes-Côte d’Azur)
- Agence régionale de développement Nord-Pas-de-Calais
- Chambre de commerce franco-arabe Rhône-Alpes
- Chambre de Commerce et d’Industrie du Doubs
- Interco Aquitaine
- Ipad Rouen (Haute Normandie)
- Ircod Alsace
- Ircod Champagne-Ardenne
- Loire-Atlantique Coopération