Article paru dans le Nouvel Économiste.
Les 661 habitants de Correns, un village varois blotti autour de son château sur les rives de l’Argens, viennent de plébisciter leur maire : 66 % au premier tour avec 80 % de votants. Un quitus pour une politique audacieuse de développement local axée sur l’agriculture bio.
« On ne passe pas à Correns, affirme le maire, Michaël Latz, on y vient ». Lui y est venu à l’âge de 9 ans après un parcours peu commun. D’origine juive allemande, sa famille a parcouru le monde pour se fixer au Burundi. Apatride dans cette terre coloniale, il devient belge. Son père est donc « africain » belge, sa mère « une femme libérée des années cinquante » est américaine. « Notre histoire familiale, dit-il, reflète les malheurs du XX° siècle. Lorsque nous nous réunissons, autour de ma mère, nous avons 13 passeports différents en poche ». Lui sera corrensois. En effet, lorsque l’indépendance sonne le glas du commerce de café, ses parents reprennent un domaine viticole à Correns. Michaël fera des études d’agronomie en Belgique. Spécialiste de l’économétrie, il fera deux années à la Cee. Puis il revient dans le Var et passe cinq années à la chambre d’agriculture. En 1986, il prend les rênes d’une coopérative de distribution en difficulté, la réoriente, la transforme et en fait une établissement, rebaptisé « Racine », de distribution d’agrofournitures et de produits viticoles et de jardinerie. Un succès : Racine réalise aujourd’hui 300 MF de chiffre d’affaires et son enseigne s’affiche sur tout le territoire varois.
Mais, c’est la politique locale qui tente cet ingénieur agro. Dès 1983, il entre au conseil municipal. Au poste d’adjoint, il observe pendant douze années, puis en 1995 se lance comme tête de liste. Maire, il a déjà pris la mesure des problèmes. « Le risque est démographique, constate-il. Le village perd ses habitants, vieillit, l’école va fermer. » Sa première mesure est de créer avec un organisme Hlm, le Logis familial varois, 10 nouvelles maisons. Et chaque fois qu’une maison est louée, le bailleur social s’engage à rénover un appartement du centre-ville. De jeunes couples s’installent et le dépérissement du centre ancien est arrêté. L’école était en perdition, elle compte trois classes au complet aujourd’hui.
Le village avait une ressource cachée : les gorges de Bagarèdes et du Vallon Sourn, splendide paysage verdoyant, avec ses falaises qui attirent dans le plus grand désordre les champions d’escalade d’Europe du Nord. Le maire coupe la poire deux. Un versant sera site protégé, l’autre aménagé. Un topo-guide est édité par la commune et un camping est créé. La première année 200 Allemands y piquent leur tente ! Un tourisme vert qui respecte et enrichit le village. Michaël Latz fait ses comptes : le camping rapporte 300 000 à 400 000 francs chaque année, les commerces locaux en profitent et la saison s’étend de mars à octobre.
Viticulteur lui-même, le maire doit se préoccuper de l’activité principale de ses concitoyens : la vigne. La coopérative bat de l’aile. À la belle époque, elle produisait 20 000 hectos. Elle atteint péniblement les 10 000. Correns compte 80 coopérateurs, avec des exploitations modestes, souvent moins de 10 hectares, en dessous du seuil de rentabilité diagnostique l’agronome.
L’opportunité se présente en 1996.La France constatant son retard dans le bio proposer une prime de 5 500.00 francs à l’hectare. De quoi amortir le choc d’une conversion. Le bio, qui consiste à nourrir le sol et non le plant, à supprimer les fongicides, herbicides et autres pesticides, coûte 30 % plus cher. La nouvelle génération viticole se laisse convaincre et les anciens aussi. Ils retrouvent dans le bio des techniques traditionnelles : la bouillie bordelaise, les amendements organiques, le labour et l’enherbement. 90 % des terres de Correns passent au bio. Un apiculteur, la coopérative oléicole, deux maraîchers et le boulanger, se convertissent.
Le talent du maire est alors d’en faire un axe de communication. Le « premier village bio de France » fait l’ouverture du 20 heures de TF1, la une des magazines et intéresse la profession. Une publicité qui agace les vieux artisans du bio Varois. Qu’importe, on parle de Correns et l’on y vient. Le vin qui ne se vendait qu’en vrac et à bas prix trouve client en bouteille, la coopérative baisse sa production de 30 %, mais augmente son chiffre d’affaires ! « Nous devons créer de la valeur sur place, plaide Michaël Latz. D’autres ont vendu leur village en terres constructibles. Ça fait marcher le bâtiment, mais c’est une création de valeur artificielle, éphémère. Nous, nous avons bloqué le Pos pour éviter le mitage de notre territoire. »
Cette image est un investissement. Le célèbre chef Clément Bruno qui cuisine la truffe à Lorgues accepte de reprendre l’auberge du village. On vient à Correns pour faire des produits de beauté bio, le village devient label. Le maire rêve d’attirer un hôtel, de construire une auberge de jeunesse, de bâtir un atelier relais… Cet apatride a définitivement pris racine.
Christian Apothéloz