Le journaliste : enquêtes et reportages

Prix de l’initiative locale : Correns (Var), la valeur ajoutée du bio

par | 01 mars 2001

Article paru dans le Nouvel Économiste.

Les 661 habi­tants de Correns, un vil­lage varois blot­ti autour de son châ­teau sur les rives de l’Argens, viennent de plé­bis­ci­ter leur maire : 66 % au pre­mier tour avec 80 % de votants. Un qui­tus pour une poli­tique auda­cieuse de déve­lop­pe­ment local axée sur l’agriculture bio.

« On ne passe pas à Correns, affirme le maire, Michaël Latz, on y vient ». Lui y est venu à l’âge de 9 ans après un par­cours peu com­mun. D’origine juive alle­mande, sa famille a par­cou­ru le monde pour se fixer au Burundi. Apatride dans cette terre colo­niale, il devient belge. Son père est donc « afri­cain » belge, sa mère « une femme libé­rée des années cin­quante » est amé­ri­caine. « Notre his­toire fami­liale, dit-il, reflète les mal­heurs du XX° siècle. Lorsque nous nous réunis­sons, autour de ma mère, nous avons 13 pas­se­ports dif­fé­rents en poche ». Lui sera cor­ren­sois. En effet, lorsque l’indépendance sonne le glas du com­merce de café, ses parents reprennent un domaine viti­cole à Correns. Michaël fera des études d’agronomie en Belgique. Spécialiste de l’économétrie, il fera deux années à la Cee. Puis il revient dans le Var et passe cinq années à la chambre d’agriculture. En 1986, il prend les rênes d’une coopé­ra­tive de dis­tri­bu­tion en dif­fi­cul­té, la réoriente, la trans­forme et en fait une éta­blis­se­ment, rebap­ti­sé « Racine », de dis­tri­bu­tion d’agrofournitures et de pro­duits viti­coles et de jar­di­ne­rie. Un suc­cès : Racine réa­lise aujourd’hui 300 MF de chiffre d’affaires et son enseigne s’affiche sur tout le ter­ri­toire varois.
Mais, c’est la poli­tique locale qui tente cet ingé­nieur agro. Dès 1983, il entre au conseil muni­ci­pal. Au poste d’adjoint, il observe pen­dant douze années, puis en 1995 se lance comme tête de liste. Maire, il a déjà pris la mesure des pro­blèmes. « Le risque est démo­gra­phique, constate-il. Le vil­lage perd ses habi­tants, vieillit, l’école va fer­mer. » Sa pre­mière mesure est de créer avec un orga­nisme Hlm, le Logis fami­lial varois, 10 nou­velles mai­sons. Et chaque fois qu’une mai­son est louée, le bailleur social s’engage à réno­ver un appar­te­ment du centre-ville. De jeunes couples s’installent et le dépé­ris­se­ment du centre ancien est arrê­té. L’école était en per­di­tion, elle compte trois classes au com­plet aujourd’hui.
Le vil­lage avait une res­source cachée : les gorges de Bagarèdes et du Vallon Sourn, splen­dide pay­sage ver­doyant, avec ses falaises qui attirent dans le plus grand désordre les cham­pions d’escalade d’Europe du Nord. Le maire coupe la poire deux. Un ver­sant sera site pro­té­gé, l’autre amé­na­gé. Un topo-guide est édi­té par la com­mune et un cam­ping est créé. La pre­mière année 200 Allemands y piquent leur tente ! Un tou­risme vert qui res­pecte et enri­chit le vil­lage. Michaël Latz fait ses comptes : le cam­ping rap­porte 300 000 à 400 000 francs chaque année, les com­merces locaux en pro­fitent et la sai­son s’étend de mars à octobre.
Viticulteur lui-même, le maire doit se pré­oc­cu­per de l’activité prin­ci­pale de ses conci­toyens : la vigne. La coopé­ra­tive bat de l’aile. À la belle époque, elle pro­dui­sait 20 000 hec­tos. Elle atteint péni­ble­ment les 10 000. Correns compte 80 coopé­ra­teurs, avec des exploi­ta­tions modestes, sou­vent moins de 10 hec­tares, en des­sous du seuil de ren­ta­bi­li­té diag­nos­tique l’agronome.
L’opportunité se pré­sente en 1996.La France consta­tant son retard dans le bio pro­po­ser une prime de 5 500.00 francs à l’hectare. De quoi amor­tir le choc d’une conver­sion. Le bio, qui consiste à nour­rir le sol et non le plant, à sup­pri­mer les fon­gi­cides, her­bi­cides et autres pes­ti­cides, coûte 30 % plus cher. La nou­velle géné­ra­tion viti­cole se laisse convaincre et les anciens aus­si. Ils retrouvent dans le bio des tech­niques tra­di­tion­nelles : la bouillie bor­de­laise, les amen­de­ments orga­niques, le labour et l’enherbement. 90 % des terres de Correns passent au bio. Un api­cul­teur, la coopé­ra­tive oléi­cole, deux maraî­chers et le bou­lan­ger, se conver­tissent.
Le talent du maire est alors d’en faire un axe de com­mu­ni­ca­tion. Le « pre­mier vil­lage bio de France » fait l’ouverture du 20 heures de TF1, la une des maga­zines et inté­resse la pro­fes­sion. Une publi­ci­té qui agace les vieux arti­sans du bio Varois. Qu’importe, on parle de Correns et l’on y vient. Le vin qui ne se ven­dait qu’en vrac et à bas prix trouve client en bou­teille, la coopé­ra­tive baisse sa pro­duc­tion de 30 %, mais aug­mente son chiffre d’affaires ! « Nous devons créer de la valeur sur place, plaide Michaël Latz. D’autres ont ven­du leur vil­lage en terres construc­tibles. Ça fait mar­cher le bâti­ment, mais c’est une créa­tion de valeur arti­fi­cielle, éphé­mère. Nous, nous avons blo­qué le Pos pour évi­ter le mitage de notre ter­ri­toire. »
Cette image est un inves­tis­se­ment. Le célèbre chef Clément Bruno qui cui­sine la truffe à Lorgues accepte de reprendre l’auberge du vil­lage. On vient à Correns pour faire des pro­duits de beau­té bio, le vil­lage devient label. Le maire rêve d’attirer un hôtel, de construire une auberge de jeu­nesse, de bâtir un ate­lier relais… Cet apa­tride a défi­ni­ti­ve­ment pris racine.

Christian Apothéloz