Article paru dans le Nouvel Économiste.
En 1986, la Région Provence Alpes Côte d’Azur fait le choix du développement volontariste des nouvelles technologies. Douze ans plus tard, elles sont devenues un moteur de l’économie régionale, mais pas forcément là où on l’attendait.
1986 : les premières élections au suffrage universel des conseillers régionaux, sont fatales à la gauche, la région de Gaston Defferre, le père de la décentralisation, voit arriver une équipe libérale à sa tête. Avec le soutien du Front national, Jean-Claude Gaudin s’installe à la présidence d’un Conseil régional qui n’est alors qu’un embryon d’institution. L’ancien prof d’histoire géo de l’enseignement privé suivra personnellement le dossier des lycées, il y consacrera presque toutes les ressources de la région : un investissement initial de trois milliards qui passera vite à sept. L’économie n’est pas sa passion, loin de là. L’entreprise est un monde qu’il ignore, les patrons, des gens qui échappent à ses conceptions. Il délègue, sous haute surveillance, ce domaine à un jeune élu du Parti républicain, Jean-Louis Geiger. Spécialiste de l’immobilier d’entreprise, la trentaine, il entre en politique sans en connaître les arcanes, mais avec l’ambition et l’énergie d’un homme du privé. Au retour d’un voyage initiatique à Boston, il lance l’idée d’une “Route des hautes technologies” dans le Midi de la France, qui à l’image de la fameuse Route 128, irait d’une technopole à une autre sur 200 km et se jalonnerait au fil des ans d’entreprises high-tech, de laboratoires de recherche, de campus et d’écoles d’ingénieurs.
La Route des hautes technologies devient l’emblème de la politique régionale. Elle soulève alors incrédulité et scepticisme. La Provence n’a aucune image économique. Gaston Defferre, conscient du déficit de notoriété de sa ville a commandé un audit à Démoscopie : les résultats en sont catastrophiques. Activité déclinante du port et du négoce, industries de transformation en crise, réparation navale en déclin, fuite de la population se conjuguent. Les départements voisins ne sont pas mieux lotis, le Var hésite entre viticulture et tourisme populaire, le Vaucluse reste dominé par son agriculture, les Alpes maritimes n’ont pas encore fait la démonstration que l’industrie high tech laisse autant de dividendes à la Côte d’Azur que le tourisme doré.
C’est l’Europe qui va donner sa légitimité à ce label RHT. Dans le cadre des Programmes intégrés méditerranéens, la Communauté accorde 42 MF à ce projet, l’État et la région devant en aligner autant.
Pas question, philosophie libérale oblige, d’aider directement les entreprises. (Jean-Louis Geiger a supprimé à son arrivée les aides à l’emploi et à la création d’entreprises). Le but du programme “Route” est de faire entrer les PMI régionales dans l’ère des nouvelles technologies. Il se traduira par la construction d’un réseau de communication à haut débit, le réseau R3T2, par la création d’une infothèque régionale et l’investissement dans un puissant centre de calcul. Provence Alpes Côte d’Azur est la première à se doter de tels outils et à mettre l’accent sur les inforoutes, alors que la mode ne s’en emparera que dix ans plus tard. Une association Route des Hautes technologies voit le jour, elle sillonne comme un grand S la région et relie un technopôle confirmé Sophia Antipolis à d’autres structures à vocation technopolitaines : Toulon Var technologies à Toulon, Château-Gombert à Marseille, l’Europole de l’Arbois non loin d’Aix en Provence, Manosque à côté du CEA de Cadarache et l’Agroparc d’Avignon.
Accélérer les transferts de technologie du domaine de la recherche publique, décloisonner les filières, développer les synergies régionales sont au programme de cette structure qui contourne la représentation officielle et consulaire des entreprises et privilégie chercheurs et managers de PMI.
Dix ans plus tard, la Route 128 est-elle au rendez-vous ? Rien de spectaculaire au bilan. Sophia Antipolis a après avoir vécu les affres de la crise de l’informatique demeure le pôle d’attraction des industries de l’information. Toulon Var technologies a ouvert les portes de la DCN et dans un environnement politique pollué, est le seul lieu de convergence des entreprises innovantes du département. Les Bouches du Rhône n’ont pas su donner une visibilité à leur potentiel scientifique. L’Europole de l’Arbois après bien des errements, se tourne vers le secteur de l’environnement, et la Ville de Marseille réunit sous l’enseigne Marseille technopole ses compétences éclatées. Manosque aura du mal se doter dune image industrielle. Quand à l’Agroparc d’Avignon, s’il n’a pas reçu comme l’espéraient ses promoteurs d’implantation de grand de l’agro-alimentaire, il attire à l’entrée d’Avignon, des formations et des services, des petites entreprises du secteur qui lui donnent de la consistance.
Échec ? Si l’on attendait que la région devienne un Manhattan high-tech, oui. Par contre les effets induits et parfois inattendus de cette politique sont tangibles. La région est d’abord consciente de son potentiel scientifique. En 1986, Marseille savait à peine compter le nombre de chercheurs qui travaillaient dans ses labos. La préoccupation du transfert de technologie est aujourd’hui bien présente avec des structures recalibrées, et pilotées par l’association Route des hautes technologies. De Nice à Avignon, les échanges, notamment grâce au Conseil scientifique régional, sont plus fréquents.
L’implantation d’entreprises nouvelles, le développement d’un tissu de PMI à fort contenu innovant s’est confirmé. PACA est par exemple la première région de France par le nombre de ses SRC, ces sociétés de recherche sous contrat, qui comme Bertin, ne produisent que de la matière grise.
Par contre la géographie économique a superbement ignoré les sinuosités de la Route des hautes technologies. Certes Sophia demeure le pôle majeur reconnu internationalement par les grandes firmes de l’informatique et des télécommunications. Mais en nombre d’emplois et de société, ce que l’on a appelé la “technopole spontanée” d’Aix en Provence n’a rien à lui envier. La zone des Milles n’est pas réellement une technopole, mais elle affiche une des plus forte concentration régionale d’entreprises high-tech.
En remontant la vallée de l’Arc, le petit village de Rousset aura bientôt plus d’emplois dans la microélectronique que d’habitants (2 500). Pourquoi, ici, au pied de la Sainte Victoire ? La logistique n’est pas fameuse, l’environnement scientifique inexistant. Les Houillères du Midi voulaient exploiter à Rousset un puit de lignite. Envahi par les eaux souterraines, il ne fut jamais exploité. Restait le terrain qui devint une zone d’activités longtemps délaissée. Une première usine de composants électroniques, Eurotechnique, s’y implanta, puis des PMI travaillant dans le silicium s’y sont agglomérées. Et lorsque Thomson et Atmel ont recherché un site pour implanter de nouvelles unités de production, les collectivités locales, la Région, l’État ont déroulé le tapis. Rousset est en effet sur le territoire de la zone de reconversion des houillères de Gardanne : 1 200 mineurs encore en activité avec une fermeture programmée en 2005. Plus de trois milliards ont été investis dans des usines destinées à produire les plaques de silicium huit pouces. Sur dix ans le site devrait recevoir près de dix milliards d’investissement. Le premier pôle français de microélectronique a choisi les vignes de la haute vallée de l’Arc au mépris de toutes les prévisions des politiques.
Cette zone champignon est le symbole de ce qui a vraiment bougé en dix ans. “Le changement majeur, souligne le sénateur Pierre Laffitte, président de la Fondation Sophia Antipolis, est que la région Provence Alpes Côte d’Azur est reconnue au plan international comme une région de développement des nouvelles technologies de l’information. Dans la Silicon valley, au Japon et même en Allemagne, la notoriété de notre recherche est bien réelle. Depuis 15 ans, j’essaye d’amener Siemens dans la région. Ils viennent de se décider : au lieu d’aller en Irlande, en Grande Bretagne ou en région parisienne, ils viendront à Sophia.”
Une réalité que confirme la Datar : de toutes les régions françaises, Paca est celle qui l’année dernière a attiré le plus d’emplois étrangers.
Par contre le tissu des petites et moyennes entreprises de hautes technologies de la région, hormis l’exemple exceptionnel de Gemplus, n’a pas muté vers la grande industrie. “Nous n’avons pas pu faire passer ces sociétés, reconnaît Philippe Treille, directeur du développement économique de la Région, du stade de l’innovation à celui de la production industrielle, et donc de la création plus grande d’emplois de hautes technologies.”
Les PMI high-tech sous capitalisées ont pris la crise de plein fouet. Souvent dépendantes des crédits de la défense, elles voient leur client principal réduire ses engagements. Elles n’ont pas la ressource pour franchir le pas et s’attaquer aux marchés internationaux. “C’est un mal français”, accuse Pierre Laffitte qui dénonce, “la frilosité des institutions financières nationales pour accompagner les petites entreprises. La culture, note-t-il, est en train de changer grâce au Nouveau marché qui a investi trois milliards l’an dernier”.
La société de capital-risque Sud capital, initiée par la Région “est trop restrictive dans ses choix”, regrette un chef d’entreprise recalé. Et Pierre Laffitte, qui vient de lancer le FCPI Innova France, souhaite tout haut l’arrivée de “nouveaux compétiteurs, étrangers s’il le faut”, pour le financement initial des PMI high-tech.
Les 300 MF que dépense la Région chaque année directement pour le développement économique ne satisfont plus les chefs d’entreprise. Michel Vauzelle, candidat socialiste à la région promet, “de donner de la visibilité à l’action régionale et d’engager plus de concertation avec le monde économique. Il faut que la Région s’implique, même au-delà de ses strictes compétences légales”. “On s’endort”, accuse Jean-Louis Geiger. Celui qui, après 12 ans de mandat, ne sera pas sur les listes de mars 1998, regrette le temps des débuts de la région.” Nous sommes passés d’une institution de mission à une institution de gestion. L’équipe de bâtisseurs s’est peu à peu transformée en une administration de gestionnaires de procédures. Notre rôle n’est pas de gérer au quotidien, mais de fixer de grands défis”. Et Pierre Laffitte, infatigable visionnaire, rêve d’une région qui saurait fédérer ses capacités de création, ses compétences éditoriales et son potentiel industriel pour se tailler une place originale dans le monde du multimédia et des réseaux. “Il faut, affirme-t-il, doper une industrie des contenus”.
Christian Apothéloz