Article paru dans le Nouvel Économiste.
Après les années de doute, liées à la crise mondiale du secteur de l’informatique, Sophia affiche cette année une bonne santé insolente. La technopole azuréenne engrange les résultats de son positionnement sur les technologies de l’information.
En 1997, la technopole de Sophia-Antipolis a enregistré 2 596 recrutements nouveaux, elle a perdu 1 084 emplois, ce qui laisse un gain net de plus de 1 500 emplois. Avec 18 536 emplois directs, 1103 entreprises rassemblées sur le site, la technopole demeure la locomotive de l’économie azuréenne, elle fait vivre un habitant des Alpes maritimes sur huit.
La crise n’est pourtant pas achevée. La perte d’un millier d’emplois est plus forte que lors des années noires 93/94 par exemple, mais le dynamisme économique permet de combler largement les pertes. Signe des mutations de Sophia, la création d’emploi est en majorité le fait d’entreprises stables (1 800 emplois). « La crise, explique François Kester est devenue un facteur de développement. Lorsque Digital a réduit ses effectifs, les cadres, les chercheurs sont devenus une « work force » disponible qui s’est investie dans la création d’entreprise ou qui a fourni aux nouveaux arrivants une main‑d’œuvre hautement qualifiée. » Une jeune société américaine Bay Net work spécialisée dans l’interconnexion des réseaux de télécommunication a recruté sur place des ingénieurs de Digital alors qu’elle ne trouvait pas de collaborateurs dans la Silicon valley.
Les Français d’abord ?
L’atout essentiel de la technopole est pour François Kester son « multiculturalisme ». Presse locale anglo-saxonne, radio anglophone, établissements de formation internationaux, pratique courante du multilinguisme, sont des critères décisifs pour les entreprises « flottantes » internationales. À tel point que la préfecture des Alpes maritimes a, en 97, traité 869 demandes de cartes de séjour de ressortissants de 60 pays, pour les entreprises du site, un emploi nouveau sur quatre est tenu par un étranger. Les entreprises à capital étranger représentent un quart des emplois du parc et ils sont en croissance de 23 %. Les États unis se taillent la part du lion avec 2 200 emplois, les capitaux européens sont à l’origine de 1700 emplois.
Le choix des technologies de l’information comme axe de développement a boosté Sophia. « Le changement majeur de ces dernières années, souligne Pierre Laffitte, est que nous sommes reconnus comme un pôle des technologies de l’information. Dans la Silicon valley, au Japon, Sophia est clairement identifié. » 1997 marquera un tournant avec une percée inédite sur le marché allemand. Huit sociétés germaniques ont choisi la Côte d’Azur l’an dernier, dont Siemens qui faisait l’objet de toutes les attentions depuis fort longtemps.
Une charte de relance
Sophia amorce ainsi un redéploiement prometteur. à la fin des années soixante, lorsque Pierre Laffitte lance l’idée d’un “quartier latin aux champs”, d’une “cité internationale de la sagesse, des sciences et des techniques”, la Côte d’Azur se complaît dans son rôle de tourisme et de villégiature pour le troisième âge. Au printemps 1970, le directeur de l’École des mines d’alors, Claude Daunesse réservait 10 hectares de terrain sur une zone d’activité scientifique qui serait créée au nord d’Antibes. C’était la première délocalisation, totalement volontaire, soutenue le patron de la Datar d’alors, Jérôme Monod. Enfant naturel de mai 68, Sophia Antipolis, naissait. La technopole s’est d’abord affirmée comme lieu d’implantation de grandes sociétés internationales. Puis, dans les années quatre-vingt, les services, les Pme ont pris le relais. Mais dans le milieu des années quatre-vingt-dix, au moment où le parc dépassait le millier de raisons sociales, il s’essoufflait. Les grands groupes qui avaient fait son bonheur pliaient bagage comme Dow chemical, ou dégraissaient les effectifs comme Digital ou Thomson. Pire, Sophia voyait Grenoble ou Rousset dans les Bouches du Rhône lui ravir la vedette et capter des implantations significatives (Hewlet Packard, Rank Xérox, SGS Thomson…). Les acteurs sur le terrain ont eu du mal, après la chute du système autocratique de Jacques Médecin, à retrouver un discours commun. Une Charte de relance de Sophia a finalement été signée le 30 octobre dernier et qui propose « l’organisation d’un réseau fonctionnel de développement, de promotion, de prospection et de gestion… »
L’option télécom
Mais le rebond de Sophia est dû au choix des télécommunications. Une option que le sénateur Pierre Laffitte impulse dès la fin des années quatre-vingt avec l’Installation de l’Institut européen des normes à Sophia, la création de clubs et associations qui agitent le milieu et tissent des liens avec la cyber planète : Télécom Valley, Club Mitsa, le “Club multimédia, interactivité, téléactivité de Sophia Antipolis”, l’Imet, l’Institut méditerranéen de téléactivité, Data base forum… Le Centre international de communication avancée, le Cica, un World trade center multimédia, lancé en 85 par le Conseil général, ouvert en 89, après un démarrage difficile, affiche complet avec une cinquantaine d’entreprises, des start-up pour la plupart, et 200 nouveaux emplois.
Pôle cherche terrains…
À tel point que Sophia est clairement identifié dans le rapport de Didier Lombard et Gilles Kahn, comme un pôle privé de télécommunication : « Les entreprises y ont davantage une vocation de développement, principalement dans les réseaux d’entreprises que de recherche proprement dite. C’est le cas de la plupart des grands constructeurs internationaux présents (DEC, IBM, Lucent technologies, Bay Network, Ascend communication, Texas instruments, Rockwell international…) mais aussi des opérateurs comme Sita et France Télécom. » La recherche est représentée par l’Inria, l’Institut Eurécom, et dans une moindre mesure l’université et le CNRS.
1998 devrait confirmer ces tendances, si le prix du foncier ne dissuade pas les entrepreneurs. Victime de son attractivité internationale, la Côte d’Azur affiche des prix de terrain, de construction et de logement prohibitifs, lorsqu’elle ne doit pas avouer une pénurie de locaux industriels adaptés. Seulement 20 % des sociétés sophipolitaines sont propriétaires de leurs locaux. Une situation que la Saem de Sophia n’a pas su anticiper et qui limite le champ de la prospection internationale : seules des entreprises qui emploient des salariés à hauts revenus, peuvent envisager une implantation entre Nice et Antibes.
Chirstian Apothéloz