Le journaliste : enquêtes et reportages

Sous-traitance et dépendance ou la tragédie du monoclient

par | 15 juin 1993

Article paru dans le Nouvel Économiste.

Dis-moi com­ment tu sous-traites, et je te dirai qui tu es. La chute des effec­tifs de la grande indus­trie masque sou­vent une sous-traitance insoup­çon­née : 800 per­sonnes par jour à Naphtachimie sur 2000 sala­riés, 100 à 220 chez Esso pour 300 sala­riés, 300 à 600 chez BP pour 690 sala­riés, 2000 sous-traitants à Sollac pour 3800 sala­riés ; L’entreprise n’y a pas for­cé­ment gagné en coût immé­diat, mais en sou­plesse. Et avec la réces­sion, les indus­triels usent et abusent de cette sou­plesse. Eurocopters a don­né fin 92 un coup de frein bru­tal à ses acti­vi­tés, chute de car­net de com­mande oblige. Sans ména­ge­ment, sans délais et après avoir deman­dé de forts investissements.

Saint Marcel Ferroviaire (entre­tien de wagons) n’a pas résis­té à la chute des com­mandes de son unique client, la SNCF. Le TGV rem­pla­çant les trains Corail, la socié­té, reprise par ses cadres en 1988, a vu son chiffre d’affaires tom­ber de plus de 50 %. Depuis son dépôt de bilan, il y a quatre mois, Pierre Colombo, son Pdg se bat pour trou­ver un repre­neur. Sartec et Sefca n’ont pas don­né suite. Cannes La Bocca Industries a dépo­sé cette semaine un pro­jet avec à la clef une cin­quan­taine de sup­pres­sions de poste sur les 242 emplois. Amertume néan­moins pour Pierre Colombo qui quit­te­ra le navire. Lorsqu’il avait repris Titan Coder, tout le monde se louait de l’issue enfin trou­vée à la crise d’un des fleu­rons indus­triels de Marseille. : “Les élus se sont mobi­li­sés pour Sud Marine, dit-il, alors que Saint Marcel Ferroviaire n’intéresse per­sonne”
L’entreprise mono-client a mon­tré ses limites. La diver­si­fi­ca­tion vers le camion était trop coû­teuse. SMF devra res­ter dans le fer­ro­viaire avec une diver­si­fi­ca­tion pos­sible vers les rames de métro.
Les sous-traitants d’Eurocopter ne veulent pas se lais­ser prendre dans la nasse de leur don­neur d’ordre. Ils se sont pré­sen­tés grou­pés avec leurs col­lègues four­nis­seurs de la DCAN de Toulon au Salon du Bourget dans le cadre d’une asso­cia­tion qu’ils viennent de créer, l’Association des indus­triels de l’aéronautique et de l’armement. Jacques Giner, pré­sident de l’association et Pdg de Sudinove, socié­té d’ingénierie, compte sur l’Assia pour atta­quer le mar­ché inter­na­tio­nal et ouvrir de nou­velle pistes pour les tech­no­lo­gies maî­tri­sées par ces sous-traitants high-tech. Une démarche adap­tée à des socié­tés de matière grise. Pour les autres, la diver­si­fi­ca­tion ne se fera que grâce à un effort vers la qua­li­té. Sollac par exemple joue à fond la sécu­ri­té avec ses 2000 four­nis­seurs et signe des contrats qua­li­té moyen­nant la garan­tie d’une cer­taine péren­ni­té des com­mandes, jusqu’à 3 ans. C’est ce type de démarche que la Chambre régio­nale de com­merce sou­hai­tait encou­ra­ger en négo­ciant une charte du par­te­na­riat. Plusieurs mois de dis­cus­sions, conduites par Claude Cardella, indus­triel, vice pré­sident de la CRCI, ont per­mis de rédi­ger un code de bonne conduite du busi­ness to busi­ness révo­lu­tion­naires : “prio­ri­té au mieux disant”, rela­tions contrac­tuelles sur trois ans, recon­nais­sance de la norme ISO 9000, recon­nais­sance mutuelle des agré­ments d’entreprise, amé­lio­ra­tion de la sécu­ri­té des per­son­nels, réduc­tion des délais de paie­ment, pré­ser­va­tion de l’hygiène et de l’environnement et enfin mise sur pied d’un “comi­té d’éthique”. Joli pro­gramme qui ne ver­ra pas le début d’un com­men­ce­ment d’application. À la der­nière minute, les fédé­ra­tions patro­nales de la chi­mie et de la métal­lur­gie ont refu­sé d’apposer leur signa­ture en bas du docu­ment. Sur ordre des grands groupes natio­naux qui ne veulent pas se lier les mains à l’heure où ils demandent à leurs direc­teurs régio­naux de ser­rer les bou­lons. Seuls, EDF, l’Aérospatiale de Cannes, la Fédération des tra­vaux publics étaient prêts à signer. Gilbert Jauffret, pré­sident de la Chambre régio­nale garde les tables de la loi et mesure aujourd’hui, le sens de cette volte-face. Le dum­ping a encore de beaux jours.

Christian Apothéloz