Article paru dans le Nouvel Économiste.
Le village compte 3610 habitants, la zone d’activités 6200 emplois industriels. 20 milliards de francs y auront été investis en moins de 10 ans. Comment cohabite cette ruralité peinte par Cézanne face à ce qui est devenu le premier pôle français de microélectronique ?
« J’ai deux villages », affirme le maire de Rousset, Jean Louis Canal. Avec une frontière, le ruban noir de l’autoroute d’Aix en Provence à Nice. Vers la Sainte Victoire s’étale le village traditionnel avec autour de sa mairie, de son église et de sa place ombrée de platanes, ses vignes de Côte de Provence ses plantations d’ail et ses oliviers protégés par une appellation d’origine contrôlée. 800 mètres plus bas la zone d’activités est depuis le milieu des années quatre-vingt-dix en chantier permanent. En cinq ans, elle est passée de 3 000 salariés à plus de 6 000. Un doublement dû aux investissements lourds de deux grands de la microélectronique : Atmel et ST.
Deux usines où le micron est roi. Tout s’y fait en atmosphère contrôlée. Atmel a construit en blanc et habille ses opérateurs en bleu. ST a bâti en rose et revêt ses agents de vert. ST investit cette année 560 millions de dollars dans un bâtiment de 70 000 m 2. Atmel construit 30 000 m² dont 6000 de salles blanches et aura investi sur le site 6,2 milliards de francs.
ST doit sa présence à l’implantation dans les années quatre-vingt d’Eurotechnique, un joint-venture entre Saint Gobain et l’Américain National Semiconductors qui sera repris plus tard par Thomson. Paradoxalement, c’est la fermeture programmée de Thomson en 1990 qui va déclencher le saut quantitatif du site. Un sursaut mobilisateur qui permet de convaincre ST, (né de la fusion de Thomson Semi-conducteurs avec SGS Microeletronica), d’investir pour une usine 8 pouces.
Atmel a pris pied au même moment à Rousset. ES2 avait été fondé au début des années quatre-vingt, par les grands européens de la microélectronique, Philips, Saab, Siemens, Bull, British Aérospace, pour fabriquer les prototypes de circuits intégrés. En 94, son manager, Gérard Pruniaux sent que son outil de production à bout de souffle, est en danger… « Il fallait investir 10 millions de dollars », explique-t-il. Ses partenaires européens se font tirer l’oreille, hésitent et finalement refusent d’aller plus loin. Prudent, il se met en recherche de partenaires. Une quête soutenue par la Datar et Provence Promotion qui aboutira à une visite fructueuse du patron d’Atmel, Georges Perlegos à Rousset.
Depuis le boum de la microélectronique a fait le bonheur de la zone. Les prévisions ont explosé. Armel est passé de 254 salariés en 1995 à 1 500 aujourd’hui, dont 350 cadres et 550 techniciens. En 2000, ST a recruté 930 personnes à temps plein pour parvenir à un effectif de 2 971 salariés au 31 décembre dernier.
Le site est devenu stratégique pour les deux groupes. Pour l’américain Atmel, Rousset est, explique Bernard Pruniaux « la tête de pont vers l’Europe. Nous avons la confiance de notre actionnaire puisque nous construisons avec Fab7 la plus importante usine du groupe. » Le franco-italien ST a installé ici, son « ST University » qui accueille chaque année 5 000 stagiaire du monde entier.
Pour faire face aux recrutements, le Greta et l’Anpe ont mis en place des dispositifs spécifiques. « Nous ne sélectionnons pas sur diplôme, souligne Philippe Brun, 43 ans, patron de ST à Rousset. Nous avons mis au point des tests qui mesurent l’habileté des personnes à travailler en salle blanche ».
Le site a séduit grâce à son offre foncière, la qualité de la main d’œuvre, la disponibilité de fluides décisive dans ce métier et par son environnement : les paysages cézanniens, la proximité d’Aix-en-Provence, l’accès à l’aéroport. Toutes les qualités de la ville sans ses inconvénients. Bernard Pruniaux a converti ses actionnaires américains à la gastronomie provençale en les emmenant à la Galinière à Chateauneuf le Rouge et Laurent Roux, PDG de Ion Beam Service un sous-traitant de la micro séduit ses clients allemands en les installant à la Petite auberge de Trets face à la Sainte Victoire.
Les bonnes tables ne font pourtant pas le quotidien de la vie des 6000 salariés. La zone a grandi trop vite, plus vite que les politiques publiques. Les accès routiers sont sous-dimensionnés. « Pas un matin sans bouchon » déplore, Laurent Roux, qui travaille au regroupement de la microélectronique provençale. « L’immobilier est en retard, dénonce-t-il. Et la zone fait cohabiter des activités traditionnelles en chimie, mécanique, tôlerie avec la micro, c’est une zone hybride. » Tous les industriels se plaignent du manque d’hôtellerie. « Même Aix-en-Provence est sous équipée », souligne Philippe Brun.
Jean-Louis Canal se défend. « C’est vrai que nous avons gelé les investissements pendant un an dans l’attente de la nouvelle intercommunalité avec Aix-en-Provence. Mais nous avons fait un choix d’avenir, nous acceptons de partager la ressource fiscale pour que tout le bassin puisse profiter de ces nouvelles activités industrielles ». À terme, lorsque les exonérations de 5 ans seront échues, la microélectronique rapportera 400 MF de TP par an. Le maire annonce un hôtel 2 étoiles de 80 chambres, la construction de nouveaux locaux, l’ouverture du centre de vie. « Les discussions sont en cours avec Escota pour une sortie autoroutière : 40 MF à partager entre le département et la communauté d’agglomérations ». La route départementale s’aménage peu à peu. « On y roule en moyenne à 50 km/h, plaide le maire, pour un trajet domicile travail, ce n’est pas anormal. »
Seul un salarié sur cinq travaille dans la proximité. Rousset draine sa main‑d’œuvre du Var jusqu’à Fos-sur-Mer en passant par Marseille. D’où des débats très vifs lors de la mise en place des 35 heures. Ce fut le baptême social de la microélectronique. Les entreprises sont passées à un rythme de trois jours travaillés, suivis de quatre jours de repos. Mais trois journées de 12 heures. « Nous avons vu le nombre d’accidents de trajets augmenter très gravement » dénonce Avelino Carvalho, secrétaire de l’Union locale Cgt. « Le travail en salle blanche, c’est l’enfer, nous disent les salariés, plus vite on en sort, mieux c’est. » Atmel a connu son premier conflit social, une grève de quelques jours pour inclure dans le temps de travail, les pauses et le vestiaire et passer à 10 heurs de travail effectif. Jocelyne Carmona médecin du travail déplore « les rythmes décalés de travail qui empêchent la vie familiale et le suivi des enfants à l’école ».
Mais l’inquiétude vient de la nature cyclique de la production sur le site. Le bas de cycle de la microélectronique corollaire du tassement des ventes d’informatique et de télécoms dans le monde a provoqué un gel des embauches et des fins de CDD non renouvelées. D’où un conflit à ST pour l’emploi. « Une question de rythme » soulignent les dirigeants. « Nous sommes là depuis 20 ans, souligne Philippe Brun, et à chaque sortie de cycle, nous ressortons plus fort » Un rythme subi par les co-traitants. « Nous avons connu, précise Laurent Roux, 40 % de croissance en 98, 20 % en 99 et nous serons à moins 10 % en 2001 ». « Dans la récession, on construit l’avenir, confirme Bernard Pruniaux. Nous sommes un bateau de course. Il faut affaler les voiles au plus tard et les remonter plus tôt que les autres. La flexibilité et l’adaptabilité sont nos atouts ».
Pour s’inscrire dans la durée, nous devons souligne Stéphane Salord, tout nouvel adjoint à l’économie de la communauté du pays d’Aix, « renforcer l’amont et l’aval du secteur ». L’amont avec l’enseignement et la recherche que devrait apporter l’école d’ingénieurs de la microélectronique annoncée par Lionel Jospin l’an dernier. Pour l’aval, les sous-traitants ont suivi, mais Bernard Pruniaux rêve, lui, de voir ses clients s’installer ici : « Nous saurons les attirer. »
Christian Apothéloz