Le journaliste : enquêtes et reportages

Une ville une entreprise – Rousset Atmel et STMicroelectronics

par | 10 mars 2001

Article paru dans le Nouvel Économiste.

Le vil­lage compte 3610 habi­tants, la zone d’activités 6200 emplois indus­triels. 20 mil­liards de francs y auront été inves­tis en moins de 10 ans. Comment coha­bite cette rura­li­té peinte par Cézanne face à ce qui est deve­nu le pre­mier pôle fran­çais de microélectronique ?

« J’ai deux vil­lages », affirme le maire de Rousset, Jean Louis Canal. Avec une fron­tière, le ruban noir de l’autoroute d’Aix en Provence à Nice. Vers la Sainte Victoire s’étale le vil­lage tra­di­tion­nel avec autour de sa mai­rie, de son église et de sa place ombrée de pla­tanes, ses vignes de Côte de Provence ses plan­ta­tions d’ail et ses oli­viers pro­té­gés par une appel­la­tion d’origine contrô­lée. 800 mètres plus bas la zone d’activités est depuis le milieu des années quatre-vingt-dix en chan­tier per­ma­nent. En cinq ans, elle est pas­sée de 3 000 sala­riés à plus de 6 000. Un dou­ble­ment dû aux inves­tis­se­ments lourds de deux grands de la micro­élec­tro­nique : Atmel et ST.
Deux usines où le micron est roi. Tout s’y fait en atmo­sphère contrô­lée. Atmel a construit en blanc et habille ses opé­ra­teurs en bleu. ST a bâti en rose et revêt ses agents de vert. ST inves­tit cette année 560 mil­lions de dol­lars dans un bâti­ment de 70 000 m 2. Atmel construit 30 000 m² dont 6000 de salles blanches et aura inves­ti sur le site 6,2 mil­liards de francs.
ST doit sa pré­sence à l’implantation dans les années quatre-vingt d’Eurotechnique, un joint-venture entre Saint Gobain et l’Américain National Semiconductors qui sera repris plus tard par Thomson. Paradoxalement, c’est la fer­me­ture pro­gram­mée de Thomson en 1990 qui va déclen­cher le saut quan­ti­ta­tif du site. Un sur­saut mobi­li­sa­teur qui per­met de convaincre ST, (né de la fusion de Thomson Semi-conducteurs avec SGS Microeletronica), d’investir pour une usine 8 pouces.
Atmel a pris pied au même moment à Rousset. ES2 avait été fon­dé au début des années quatre-vingt, par les grands euro­péens de la micro­élec­tro­nique, Philips, Saab, Siemens, Bull, British Aérospace, pour fabri­quer les pro­to­types de cir­cuits inté­grés. En 94, son mana­ger, Gérard Pruniaux sent que son outil de pro­duc­tion à bout de souffle, est en dan­ger… « Il fal­lait inves­tir 10 mil­lions de dol­lars », explique-t-il. Ses par­te­naires euro­péens se font tirer l’oreille, hésitent et fina­le­ment refusent d’aller plus loin. Prudent, il se met en recherche de par­te­naires. Une quête sou­te­nue par la Datar et Provence Promotion qui abou­ti­ra à une visite fruc­tueuse du patron d’Atmel, Georges Perlegos à Rousset.
Depuis le boum de la micro­élec­tro­nique a fait le bon­heur de la zone. Les pré­vi­sions ont explo­sé. Armel est pas­sé de 254 sala­riés en 1995 à 1 500 aujourd’hui, dont 350 cadres et 550 tech­ni­ciens. En 2000, ST a recru­té 930 per­sonnes à temps plein pour par­ve­nir à un effec­tif de 2 971 sala­riés au 31 décembre der­nier.
Le site est deve­nu stra­té­gique pour les deux groupes. Pour l’américain Atmel, Rousset est, explique Bernard Pruniaux « la tête de pont vers l’Europe. Nous avons la confiance de notre action­naire puisque nous construi­sons avec Fab7 la plus impor­tante usine du groupe. » Le franco-italien ST a ins­tal­lé ici, son « ST University » qui accueille chaque année 5 000 sta­giaire du monde entier.
Pour faire face aux recru­te­ments, le Greta et l’Anpe ont mis en place des dis­po­si­tifs spé­ci­fiques. « Nous ne sélec­tion­nons pas sur diplôme, sou­ligne Philippe Brun, 43 ans, patron de ST à Rousset. Nous avons mis au point des tests qui mesurent l’habileté des per­sonnes à tra­vailler en salle blanche ».
Le site a séduit grâce à son offre fon­cière, la qua­li­té de la main d’œuvre, la dis­po­ni­bi­li­té de fluides déci­sive dans ce métier et par son envi­ron­ne­ment : les pay­sages cézan­niens, la proxi­mi­té d’Aix-en-Provence, l’accès à l’aéroport. Toutes les qua­li­tés de la ville sans ses incon­vé­nients. Bernard Pruniaux a conver­ti ses action­naires amé­ri­cains à la gas­tro­no­mie pro­ven­çale en les emme­nant à la Galinière à Chateauneuf le Rouge et Laurent Roux, PDG de Ion Beam Service un sous-traitant de la micro séduit ses clients alle­mands en les ins­tal­lant à la Petite auberge de Trets face à la Sainte Victoire.
Les bonnes tables ne font pour­tant pas le quo­ti­dien de la vie des 6000 sala­riés. La zone a gran­di trop vite, plus vite que les poli­tiques publiques. Les accès rou­tiers sont sous-dimensionnés. « Pas un matin sans bou­chon » déplore, Laurent Roux, qui tra­vaille au regrou­pe­ment de la micro­élec­tro­nique pro­ven­çale. « L’immobilier est en retard, dénonce-t-il. Et la zone fait coha­bi­ter des acti­vi­tés tra­di­tion­nelles en chi­mie, méca­nique, tôle­rie avec la micro, c’est une zone hybride. » Tous les indus­triels se plaignent du manque d’hôtellerie. « Même Aix-en-Provence est sous équi­pée », sou­ligne Philippe Brun.
Jean-Louis Canal se défend. « C’est vrai que nous avons gelé les inves­tis­se­ments pen­dant un an dans l’attente de la nou­velle inter­com­mu­na­li­té avec Aix-en-Provence. Mais nous avons fait un choix d’avenir, nous accep­tons de par­ta­ger la res­source fis­cale pour que tout le bas­sin puisse pro­fi­ter de ces nou­velles acti­vi­tés indus­trielles ». À terme, lorsque les exo­né­ra­tions de 5 ans seront échues, la micro­élec­tro­nique rap­por­te­ra 400 MF de TP par an. Le maire annonce un hôtel 2 étoiles de 80 chambres, la construc­tion de nou­veaux locaux, l’ouverture du centre de vie. « Les dis­cus­sions sont en cours avec Escota pour une sor­tie auto­rou­tière : 40 MF à par­ta­ger entre le dépar­te­ment et la com­mu­nau­té d’agglomérations ». La route dépar­te­men­tale s’aménage peu à peu. « On y roule en moyenne à 50 km/h, plaide le maire, pour un tra­jet domi­cile tra­vail, ce n’est pas anor­mal. »
Seul un sala­rié sur cinq tra­vaille dans la proxi­mi­té. Rousset draine sa main‑d’œuvre du Var jusqu’à Fos-sur-Mer en pas­sant par Marseille. D’où des débats très vifs lors de la mise en place des 35 heures. Ce fut le bap­tême social de la micro­élec­tro­nique. Les entre­prises sont pas­sées à un rythme de trois jours tra­vaillés, sui­vis de quatre jours de repos. Mais trois jour­nées de 12 heures. « Nous avons vu le nombre d’accidents de tra­jets aug­men­ter très gra­ve­ment » dénonce Avelino Carvalho, secré­taire de l’Union locale Cgt. « Le tra­vail en salle blanche, c’est l’enfer, nous disent les sala­riés, plus vite on en sort, mieux c’est. » Atmel a connu son pre­mier conflit social, une grève de quelques jours pour inclure dans le temps de tra­vail, les pauses et le ves­tiaire et pas­ser à 10 heurs de tra­vail effec­tif. Jocelyne Carmona méde­cin du tra­vail déplore « les rythmes déca­lés de tra­vail qui empêchent la vie fami­liale et le sui­vi des enfants à l’école ».
Mais l’inquiétude vient de la nature cyclique de la pro­duc­tion sur le site. Le bas de cycle de la micro­élec­tro­nique corol­laire du tas­se­ment des ventes d’informatique et de télé­coms dans le monde a pro­vo­qué un gel des embauches et des fins de CDD non renou­ve­lées. D’où un conflit à ST pour l’emploi. « Une ques­tion de rythme » sou­lignent les diri­geants. « Nous sommes là depuis 20 ans, sou­ligne Philippe Brun, et à chaque sor­tie de cycle, nous res­sor­tons plus fort » Un rythme subi par les co-traitants. « Nous avons connu, pré­cise Laurent Roux, 40 % de crois­sance en 98, 20 % en 99 et nous serons à moins 10 % en 2001 ». « Dans la réces­sion, on construit l’avenir, confirme Bernard Pruniaux. Nous sommes un bateau de course. Il faut affa­ler les voiles au plus tard et les remon­ter plus tôt que les autres. La flexi­bi­li­té et l’adaptabilité sont nos atouts ».
Pour s’inscrire dans la durée, nous devons sou­ligne Stéphane Salord, tout nou­vel adjoint à l’économie de la com­mu­nau­té du pays d’Aix, « ren­for­cer l’amont et l’aval du sec­teur ». L’amont avec l’enseignement et la recherche que devrait appor­ter l’école d’ingénieurs de la micro­élec­tro­nique annon­cée par Lionel Jospin l’an der­nier. Pour l’aval, les sous-traitants ont sui­vi, mais Bernard Pruniaux rêve, lui, de voir ses clients s’installer ici : « Nous sau­rons les attirer. »

Christian Apothéloz