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Série exceptionnelles de trois émissions, Futur composé regarde vers le passé industriel de Marseille.La mémoire est volatile. Et injuste. Ainsi, quand, chez certains, le nom de Pierre Terrin éveille un souvenir, c’est, généralement, celui de la SPAT. Plus précisément de la fin de la SPAT, cette terrible faillite de la réparation navale marseillaise. Pourtant, « Monsieur Pierre » comme l’appelaient ceux qui travaillaient avec lui, c’est bien autre chose. Bien mieux.
Pour tout dire, notre région, tellement oublieuse, lui doit beaucoup. De ce qu’elle est. De ce qu’elle aurait pu être, aussi.
À la naissance de Pierre Terrin – on est en 1923 – son nom est, à peu de chose près, synonyme de construction et de réparation navale. Augustin, son oncle, dirige les Ateliers marseillais qui portent son nom et qu’il a hérités de leur fondateur, son propre père, Augustin premier du nom. Son père, Jean-Marie, est, lui, à la tête du chantier naval de la Ciotat.
Un destin tout tracé ? Pas sur.
La guerre est là. Pierre a 16 ans. Il s’engage, dans les chars, et combat avec la Première Armée d’Afrique. Il en revient avec la Croix de Guerre… et l’envie d’aller vite.
Il oublie le rêve, un temps caressé, de faire HEC, devient ingénieur en soudure autogène, se dispute avec son père et embarque pour l’Uruguay, avec dans ses bagages sa mère et sa future épouse. À Montevideo, pour vivre, il ouvre un commerce d’électroménager, se fait installateur de réfrigérateurs. Jusqu’à ce que, en 52, Marseille se manifeste : les entreprises ont besoin de lui.
Il se rapatrie pour prendre la direction de la SPCN, la Société Provençale de Construction Navale (dirigée, jusque-là, par la famille D’Huart). C’est une entreprise dure, au climat social compliqué. Pierre Terrin y ramènera le calme avant de la fusionner, en 1961, avec la société familiale des Ateliers Terrin. C’est la naissance du groupe SPAT, qui deviendra en quelques années le fleuron de la réparation navale française, un leader européen respecté… avant de signer l’une des catastrophes économiques les plus cuisantes que notre ville ait connue.
Mais dans ces années 60, tout semble réussir à l’entrepreneur marseillais, Le groupe se développe. Il compte 13 sociétés et 6800 personnes. Les bateaux, en attente, embouteillent la rade. Des pistes de diversifications sont explorées, vers le service à l’industrie nucléaire notamment.
Sur le plan social, la SPAT est citée en exemple –à l’agacement de certains patrons du cru, qui trouvent que « décidément Monsieur Pierre en fait trop ». Les anciens, qui se pressaient à ses obsèques et pour l’inauguration du stade qui, dans les quartiers Nord, porte aujourd’hui son nom, disent, eux, combien ce patron-là, sortait de l’ordinaire.
Tout va pour le mieux donc, même si, en interne, les tensions persistent. L’oncle et le père, actionnaires majoritaires du holding familial conservent la haute main sur les décisions stratégiques. Pierre n’a pas vraiment les mains libres. Cela aura des conséquences. On le verra plus tard.
Ami de Gaston Defferre, qui voyait, dit-on, en lui un possible successeur ; proche de Giscard d’Estaing qui voulait lui confier des responsabilités au Parti Républicain, il aurait pu s’essayer à la politique. Il a préféré consacrer du temps à ce qu’il appelait « l’environnement de l’entreprise ». Le développement de sa région. Il préside le Centre de Jeunes Patrons –l’actuel CJD- puis l’Union Patronale, siège au bureau de la Chambre de Commerce … et se forge une conviction : « la France doit constituer, aux pieds de l’axe Rhin-Rhône, un espace économique et social puissant, unissant Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, appuyé sur Marseille – l’Europort du Sud – et sur la zone industrialo-portuaire de Fos, qui accueillera une sidérurgie sur l’eau, la seule rentable. Faute de quoi, le triangle Anvers, Rotterdam et Düsseldorf, en cours d’élaboration, fera du Nord un aspirateur économique contre lequel il sera difficile de lutter ». Il obtiendra d’Antoine Pinay qu’il défende ce projet devant l’Assemblée.
Dans la foulée, celui qui vient de reformater le patronat marseillais pour en faire une union active, organise les Journées économiques, qui réuniront à Marseille la fine fleur de la politique et de l’industrie française et crée le Grand Delta, l’association chargée de mettre en œuvre ce programme.
Il avait compris que l’interlocuteur, désormais, était l’Europe ; que sans une liaison fluviale et des tunnels alpins, Marseille ne serait plus qu’une enclave ; que les régions, désormais, avaient besoin de marketing territorial pour attirer des investisseurs. Très vite. Trop tôt. Les Lyonnais le trouvaient trop marseillais, la gauche trop à droite et la droite « trop social »… et tous n’appréciaient guère que des industriels viennent jouer dans le pré carré des politiques.
La décentralisation aura eu raison du Grand Delta.
1976, Pierre Terrin préside le Port Autonome de Marseille, qu’il doit quitter pour assister, impuissant, à l’explosion de son entreprise. Rattrapé cette fois par les lourdeurs familiales, la d&eeacute;fection de quelques-uns … la rancœur de quelques autres.
Le groupe avait grandi trop vite, pour satisfaire l’appétit dévorant des anciens, Augustin et Jean-Marie, pour répondre aussi aux sollicitations du gouvernement qui voyait d’un bon œil la concentration de chantiers de réparation. L’intégration n’avait pas fonctionné. L’esprit d’entreprise s’y était dilué. Des concurrences internes plombaient les budgets. Le choc pétrolier là-dessus…
La catastrophe aurait, peut-être, pu être évitée si le gouvernement Barre n’avait pas imposé une mesure de suspension des poursuites englobant l’ensemble des sociétés, si les aides promises étaient arrivées, si les mesures de retraite anticipées, demandées, avaient été accordées. Si …
Meurtri, l’industriel aurait peut-être lâché la rampe sans l’intervention de Gaston Defferre qui, se souvenant de son amitié, le propose pour la présidence de Marseille Parc Auto.
Le choc passé, celui qui, au temps de sa splendeur, allait le dimanche, avec une camionnette de l’entreprise et quelques collaborateurs volontaires, récupérer auprès des bonnes familles bourgeoises de la rue Paradis, de quoi alimenter les Chiffonnier d’Emmaüs, n’a rien abandonné de ses engagements. Il sait trouver du temps pour l’association SOS Amitié qu’il avait, longtemps, présidée ou pour servir l’économie de sa région. En siégeant au Comité départemental du Tourisme, par exemple ; ou en aidant à débloquer, à la demande de la CCI Marseille-Provence, le délicat dossier de la microélectronique de Rousset ; ou encore en apportant, toujours pour la Chambre, le poids de son expérience dans l’organisation du premier congrès World’Med.
Le 26 mai 2006 Pierre Terrin s’en est allé. Sans déranger beaucoup ses pairs, ceux qui lui ont succédé.
Que voulez-vous, « il en fait toujours un peu trop Monsieur Pierre ». Même dans la discrétion.
Michel Raphaël, Marseille février 2007
Evocation de ce temps présent avec
- Bruno Terrin, conseiller tourisme à la Chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence, fils de Pierre Terrin.
- Gabriel Chakra, journaliste honoraire, historien.
- Jean Doménichino, historien (UMR Telemme à la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme), coauteur de la « Réparation navale » parue aux éditions Jeanne Laffitte*.
- Jean-Claude Juan, ancien directeur de la Chambre régionale de commerce et d’industrie Provence Alpes Côte d’Azur Corse.
- Michel Raphaël, journaliste.
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Animée bénévolement par Christian Apothéloz consultant et Michel Raphaël, journaliste.
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