Le journaliste : interviews

Alain Fourest, fondateur de Rencontres Tsiganes

par | 01 mars 2002

Paru dans le maga­zine men­suel régio­nal pro­tes­tant Échanges

Drôle d’HEC qui pré­fère les HLM, aux bureaux feu­trés des grandes entre­prises. À 64 ans, Alain Fourest est un mili­tant de la ville, un méde­cin de la ville comme il se défi­nit, Consultant en ges­tion urbaine il a été de toutes les ini­tia­tives qui se sont atta­quées au mal vivre des quar­tiers. S’il com­mence dans une socié­té d’aménagement à Lyon, sa ville natale, il bifurque très vite vers l’urbain, d’abord autour de l’étang de Berre, puis à Marseille : Agence d’urbanisme, cabi­net du pré­sident de région, Gaston Defferre, puis du maire. Il est aux côtés de Pierre Mauroy, Secrétaire géné­ral de la com­mis­sion natio­nale pour le déve­lop­pe­ment social des quartiers.

Indépendant depuis 1987, il consacre depuis quelques mois une bonne part de son temps aux gens du voyage. Médiateur tsi­gane, auteur d’un rap­port sur la situa­tion régio­nale, ani­ma­teur d’un groupe de tra­vail régio­nal, il milite pour une poli­tique active envers les Tsiganes.

Engagé dans la cité, consul­tant en ges­tion urbaine, ce mili­tant des droits de l’homme alerte, pré­vient, pro­pose, agit pour que notre socié­té porte un regard neuf et ouvert sur les gens du voyage.

Que sait-on des Tsiganes en Provence Alpes Côte d’Azur ?

Ils sont entre 15 000 et 20 000 (la loi inter­dit les recen­se­ments eth­niques !) et sont à 95 % fran­çais. Une par­tie est com­plè­te­ment dis­sé­mi­née dans la popu­la­tion fran­çaise et se dira plus volon­tiers d’origine espa­gnole que tsi­gane. La majo­ri­té est des Tsiganes venus d’Afrique du Nord, des femmes et des hommes d’origine anda­louse, qui sont entrés en France avec les rapa­triés, mais que l’on a logés dans les cités d’urgence avec les Maghrébins !
Et puis, il y a une caté­go­rie qui conti­nue à voya­ger, ce sont des gens d’Europe du Nord, où l’on retrouve les évan­gé­listes. Nous voyons de plus arri­ver depuis un cer­tain temps des Tsiganes d’Europe de l’Est, très dif­fé­rents : par exemple des familles bos­niaques, musul­manes et roms.

Quels problèmes rencontrent-ils ?

Pour les voya­geurs, nous connais­sons les pro­blèmes des aires de sta­tion­ne­ment. Depuis 1990, la loi impose l’équipement de ter­rains dans les com­munes. 20 % ont été réa­li­sés en France. Dans les Bouches du Rhône, nous avons besoin de 1 200 places, moins d’une cen­taine a été faite. Depuis jan­vier, des sché­mas dépar­te­men­taux doivent être réa­li­sés par­tout. Quatre le sont. Et il ne faut pas trop s’attarder sur le conte­nu, sou­vent inap­pli­cable. C’est une véri­table hypo­cri­sie : l’État rem­bourse l’investissement, paie 20 000 francs par an d’entretien par place de sta­tion­ne­ment et rien n’est fait. Et l’on s’étonne lorsque des cara­vanes squattent un ter­rain !
Pour les séden­taires, la ques­tion du loge­ment est explo­sive. Je pense qu’il n’y a pas besoin d’habitat spé­ci­fique, avec ses risques de ghet­toï­sa­tion. Mais par contre, il faut que les Tsiganes voient s’ouvrir les poli­tiques de droit com­mun, au besoin avec un accom­pa­gne­ment adapté.

Peuvent-ils intégrer notre société ?

Ils l’interrogent. Car leur vie fami­liale, la grande famille compte beau­coup, leur foi, la mon­dia­li­sa­tion, car ils ont par­cou­ru le monde et gardent des liens pla­né­taires, leur rap­port au tra­vail, à la pro­prié­té nous inter­pellent. Ce ne sont pas des pau­més, ils savent très bien se ser­vir du por­table pour aler­ter sur une expul­sion. Ils vivent aux marges de l’économie, dans l’artisanat, la récu­pé­ra­tion, le ser­vice. La majo­ri­té est dépen­dante des mini­ma sociaux, avec un taux d’analphabétisme consi­dé­rable. Ils vivent sou­vent l’école avec méfiance comme une ten­ta­tive de nier leur culture. Ils ont un taux de nata­li­té très fort, une envie natu­relle de confort qui conduit à une séden­ta­ri­sa­tion, plu­tôt dans le Sud, le pro­blème de leur inté­gra­tion ne peut plus être ignoré.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Il faut d’abord com­battre notre igno­rance, savoir qui ils sont. Nous accep­tons les chants, « très mode », les hommes du cirque comme Zavatta ou Bouglione, mais que savons-nous de leur his­toire, de leur culture ?
Nous devrons adap­ter les ser­vices col­lec­tifs comme l’école, le loge­ment, l’économie soli­daire pour qu’ils trouvent leur place dans la socié­té fran­çaise.
En matière d’économie, d’emploi, nous devons trou­ver dans les filières tra­di­tion­nelles, récu­pé­ra­tion, entre­tien des espaces natu­rels des dis­po­si­tifs liés à l’économie soli­daire qui leur ouvrent les voies d’un tra­vail res­pec­tant leur indé­pen­dance e leur liberté.

Comment percevez-vous les Tsiganes évangéliques ?

Ils jouent un rôle impor­tant dans la com­mu­nau­té car ils sont les seuls à être orga­ni­sés. Même si le vécu n’est pas tou­jours celui que l’on croit. Un ami tsi­gane me disait : « Le ser­vi­teur (le pas­teur) est très entou­ré parce qu’il nous défend, parce qu’il a l’électricité (il a un groupe élec­tro­gène) et qu’il nous donne le Saint-Esprit le dimanche ». Je me défi­nis comme un catho­lique non romain et je me méfie des fon­da­men­ta­lismes, mais, je recon­nais que « Vie et lumière » struc­ture les Tsiganes, sait orga­ni­ser un rap­port de force, et redonne confiance au peuple tsi­gane. Je pense d’ailleurs que l’église réfor­mée, qui les recon­naît comme église sœur, pour­rait avoir un rôle de média­tion plus actif et jouer un rôle pour une meilleure com­pré­hen­sion et un meilleur accueil des gens du voyage.

Christian Apothéloz