Paru dans le magazine mensuel régional protestant Échanges
Drôle d’HEC qui préfère les HLM, aux bureaux feutrés des grandes entreprises. À 64 ans, Alain Fourest est un militant de la ville, un médecin de la ville comme il se définit, Consultant en gestion urbaine il a été de toutes les initiatives qui se sont attaquées au mal vivre des quartiers. S’il commence dans une société d’aménagement à Lyon, sa ville natale, il bifurque très vite vers l’urbain, d’abord autour de l’étang de Berre, puis à Marseille : Agence d’urbanisme, cabinet du président de région, Gaston Defferre, puis du maire. Il est aux côtés de Pierre Mauroy, Secrétaire général de la commission nationale pour le développement social des quartiers.
Indépendant depuis 1987, il consacre depuis quelques mois une bonne part de son temps aux gens du voyage. Médiateur tsigane, auteur d’un rapport sur la situation régionale, animateur d’un groupe de travail régional, il milite pour une politique active envers les Tsiganes.
Engagé dans la cité, consultant en gestion urbaine, ce militant des droits de l’homme alerte, prévient, propose, agit pour que notre société porte un regard neuf et ouvert sur les gens du voyage.
Que sait-on des Tsiganes en Provence Alpes Côte d’Azur ?
Ils sont entre 15 000 et 20 000 (la loi interdit les recensements ethniques !) et sont à 95 % français. Une partie est complètement disséminée dans la population française et se dira plus volontiers d’origine espagnole que tsigane. La majorité est des Tsiganes venus d’Afrique du Nord, des femmes et des hommes d’origine andalouse, qui sont entrés en France avec les rapatriés, mais que l’on a logés dans les cités d’urgence avec les Maghrébins !
Et puis, il y a une catégorie qui continue à voyager, ce sont des gens d’Europe du Nord, où l’on retrouve les évangélistes. Nous voyons de plus arriver depuis un certain temps des Tsiganes d’Europe de l’Est, très différents : par exemple des familles bosniaques, musulmanes et roms.
Quels problèmes rencontrent-ils ?
Pour les voyageurs, nous connaissons les problèmes des aires de stationnement. Depuis 1990, la loi impose l’équipement de terrains dans les communes. 20 % ont été réalisés en France. Dans les Bouches du Rhône, nous avons besoin de 1 200 places, moins d’une centaine a été faite. Depuis janvier, des schémas départementaux doivent être réalisés partout. Quatre le sont. Et il ne faut pas trop s’attarder sur le contenu, souvent inapplicable. C’est une véritable hypocrisie : l’État rembourse l’investissement, paie 20 000 francs par an d’entretien par place de stationnement et rien n’est fait. Et l’on s’étonne lorsque des caravanes squattent un terrain !
Pour les sédentaires, la question du logement est explosive. Je pense qu’il n’y a pas besoin d’habitat spécifique, avec ses risques de ghettoïsation. Mais par contre, il faut que les Tsiganes voient s’ouvrir les politiques de droit commun, au besoin avec un accompagnement adapté.
Peuvent-ils intégrer notre société ?
Ils l’interrogent. Car leur vie familiale, la grande famille compte beaucoup, leur foi, la mondialisation, car ils ont parcouru le monde et gardent des liens planétaires, leur rapport au travail, à la propriété nous interpellent. Ce ne sont pas des paumés, ils savent très bien se servir du portable pour alerter sur une expulsion. Ils vivent aux marges de l’économie, dans l’artisanat, la récupération, le service. La majorité est dépendante des minima sociaux, avec un taux d’analphabétisme considérable. Ils vivent souvent l’école avec méfiance comme une tentative de nier leur culture. Ils ont un taux de natalité très fort, une envie naturelle de confort qui conduit à une sédentarisation, plutôt dans le Sud, le problème de leur intégration ne peut plus être ignoré.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Il faut d’abord combattre notre ignorance, savoir qui ils sont. Nous acceptons les chants, « très mode », les hommes du cirque comme Zavatta ou Bouglione, mais que savons-nous de leur histoire, de leur culture ?
Nous devrons adapter les services collectifs comme l’école, le logement, l’économie solidaire pour qu’ils trouvent leur place dans la société française.
En matière d’économie, d’emploi, nous devons trouver dans les filières traditionnelles, récupération, entretien des espaces naturels des dispositifs liés à l’économie solidaire qui leur ouvrent les voies d’un travail respectant leur indépendance e leur liberté.
Comment percevez-vous les Tsiganes évangéliques ?
Ils jouent un rôle important dans la communauté car ils sont les seuls à être organisés. Même si le vécu n’est pas toujours celui que l’on croit. Un ami tsigane me disait : « Le serviteur (le pasteur) est très entouré parce qu’il nous défend, parce qu’il a l’électricité (il a un groupe électrogène) et qu’il nous donne le Saint-Esprit le dimanche ». Je me définis comme un catholique non romain et je me méfie des fondamentalismes, mais, je reconnais que « Vie et lumière » structure les Tsiganes, sait organiser un rapport de force, et redonne confiance au peuple tsigane. Je pense d’ailleurs que l’église réformée, qui les reconnaît comme église sœur, pourrait avoir un rôle de médiation plus actif et jouer un rôle pour une meilleure compréhension et un meilleur accueil des gens du voyage.
Christian Apothéloz