Paru dans le magazine mensuel régional protestant Échanges
Président national de 93 à 96, chargé aujourd’hui du développement international, toujours partant pour une mission, Bernard Granjon, gastro-entérologue invite à la fraternité et à la citoyenneté pour combattre l’injustice du monde.
Y a‑t-il une vie après une présidence nationale très médiatique ?
On peut très vite avoir la grosse tête, on rencontre les ministres, on est reçu par le Président de la république… Mon côté provincial m’a aidé. Je suis redevenu gastro, tout en ayant encore des responsabilités nationales et internationales.
Le bénévolat est un travail qui n’est pas rémunéré par de l’argent…
J’en suis conscient. J’ai appris le caractère difficile, voire pervers du bénévolat. Le goût du pouvoir, la recherche de la reconnaissance des autres, la quête de responsabilités sont des risques. Je crois très important de rester dans la société civile, de ne pas s’enfermer, il faut des gens sur le terrain en France, pour réagir, comme nous l’avons fait, sur la précarisation avec Mission France, sur le Sida, sur les sans papiers.
Pourtant, Médecins du monde compte 200 salariés…
Le lien d’argent dans le travail est sain et les organisations humanitaires doivent dépasser la spontanéité, la générosité et l’idéalisme. Nous avons appris à planifier, à évaluer, à gérer. Un budget de 300 MF est celui d’une PME ! Nous nous appuyons sur une structure salariée, mais nous maintenons notre vocation militante : Mission France ne peut fonctionner que grâce à 1 500 bénévoles.
Constatez-vous une crise du militantisme ?
Certainement pas. L’extension du temps libre, avec les 35 heures, le phénomène des jeunes retraités, la multiplication des moyens d’information font que les Français sont de plus en plus nombreux à vouloir prendre en main leur destin politique, social, médical, écologique… La France rattrape son retard sur d’autres pays industrialisés et on voit émerger une nouvelle citoyenneté bâtie sur la solidarité. ‘
Vous êtes hostiles à un humanitaire spectacle illustré par l’action de Bernard Kouchner…
Bernard Kouchner a eu le talent de médiatiser certaines actions comme un Bateau pour le Vietnam. Le caritatif médiatique a permis de sortir de la trop prudente réserve imposée aux équipes médicales qui devaient, avant les French doctors, soigner et se taire. Mais le bluff n’a qu’un temps. Toute aventure commence par une illusion, s’exprime par un bluff et ne devient épopée que si la réalité parvient à prolonger le rêve.
Quel est pour vous le rôle de l’action associative aujourd’hui ?
Les associations sont appelées à prendre une place de plus en plus grande. La mondialisation a dessaisi les politiques de leurs marges de manœuvre, l’État Providence n’assume plus ses responsabilités. Les exclus du travail, du logement, des soins, des papiers… n’ont souvent qu’un recours : les associations. “L’humanité, disait Hannah Arendt, est une lourde charge pour l’homme,” et nous ne sommes pas trop nombreux pour la porter.
Bernard Granjon
61 ans, marseillais, gastro-entérologue, Bernard Granjon, s’il n’est pas pratiquant, est fortement enraciné dans une famille protestante. Son père, avocat était très engagé dans les “œuvres protestantes”, des colonies de vacances où le petit Bernard fut d’abord colon, puis moniteur. Il fait ses premiers pas en militance pour défendre les habitants du bidonville marseillais de Colgate. “J’y ai appris que les catastrophes sociales n’étaient pas le fruit du hasard”. On le retrouve en première ligne dans l’affaire Roland Agret, pour faire libérer cet innocent embastillé. Puis, c’est un peu par hasard qu’il s’embarque dans la “bande à Kouchner” pour créer Médecins du monde. Étranger aux querelles de chefs qui motivent la scission d’avec Médecins sans frontières, il s’attache à structurer l’action régionale, devient vice-président, puis président de 1993 à 1996. Toujours très actif, il est chargé du développement international de Médecins du monde.