Paru dans le magazine mensuel régional protestant Échanges
Il a fallu dix-huit siècles de chrétienté, un siècle d’Esprit des lois pour aboutir à l’abolition de l’esclavage. Retour sur une idée jeune.
À quand peut-on situer l’apparition du concept de Liberté ?
L’émergence dans le droit et dans la réflexion publique du mot Liberté, au singulier, est récente : la première moitié du XVII°. L’Ancien régime ne connaissait que des franchises, des libertés limitées pour certaines catégories d’individus.
Montesquieu écrit l’Esprit des lois en 1748, il commence cet ouvrage génial par une définition de la loi. L’idée d’un monde qui a ses lois en dehors de Dieu s’impose. La Déclaration de 1789 instaure des droits individuels naturels opposables à tous, à chacun et à tous les pouvoirs. L’individu tire sa liberté, non d’une relation à Dieu mais de sa nature humaine, tous les hommes sont initialement, égaux et libres.
S’ajoute ensuite le débat sur la liberté, comme citoyen, de participer au pouvoir, liberté à laquelle Rousseau est très attaché.
Le droit est-il l’expression de cette liberté, de ces libertés ?
Le droit consacre des droits précis, mais pas la Liberté comme droit de décider soit même de son devenir. J’affirme même que La Liberté suprême n’existe pas juridiquement. Le droit est incapable de donner un contenu à la Liberté entendue dans son sens absolu. Le droit procède par fractions de libertés.
Il a fallu 1 800 ans de christianisme, un siècle après l’esprit des lois pour abolir l’esclavage. Pourquoi ?
La première explication est économique. Le volume du commerce colonial, du commerce triangulaire, du rhum des Antilles, des esclaves des côtes d’Afrique a été multiplié par 13 entre le début du XVIII° et 1789. La France du XVIII° n’aurait pas été ce qu’elle a été s’il n’y avait pas eu l’esclavage. Les bons bourgeois nantais et bordelais ont permis le développement économique de notre pays.
Les Chrétiens se sont donnés bonne conscience. Le code noir, code de l’esclavage rédigé en 1585, édicte que, dès qu’un homme devient esclave, il faut immédiatement le baptiser. On le traite comme un homme dans sa relation à Dieu, mais comme un sous-homme dans sa relation aux autres hommes.
Et puis en 1789 au moment de la Constituante des grands propriétaires d’esclaves des Antilles ont joué de leur influence. Ce n’est qu’en 1794, qu’on affranchit les esclaves et qu’on les fait citoyens. Bonaparte va reprendre l’esclavage et il faudra donc attendre 1848.
Comment expliquer ce laisser-faire des Chrétiens ?
Le christianisme n’avait pas sur l’esclavage une position très tranchée, il ne s’est jamais prononcé de façon radicale contre l’esclavage, qui ne prend fin en Occident qu’au X°et XI° siècle et qui reprend dès le XV° siècle, avec les grandes découvertes.
Comment peut-on justifier un tel système ?
On semble dire : « Puisque tous les hommes sont égaux in christu, qu’ils soient esclaves ou libres a peu d’importance ». On a hiérarchisé les humains. Certains ont le droit maximal « optimo jure » et d’autres un droit minimal. L’idée d’un genre humain unique ne s’imposera que progressivement. C’est un combat.
Les Protestants n’ont-ils pas joué un rôle spécifique dans l’abolition de l’esclavage ?
En tant que minoritaires les Protestants français persécutés ont eu un grand sens de la Liberté. Mais, est-ce à relier aux œuvres mêmes de Luther ou Calvin ? Je serais plus réservé. Quant à l’esclavage, je crois que tout le monde a péché, les Protestants comme les Catholiques !
Christian Bruschi est juriste de formation. Agrégé des universités, il est professeur à la faculté de droit de Lyon. Ses pairs aixois ont jugé ce spécialiste de l’histoire du droit indésirable en Provence. Peu lui importe, il voyage. Et il milite. Il a fondé avec des magistrats et des avocats, l’Association des juristes pour le respect des droits fondamentaux des immigrés, association qui a joué et joue un rôle important dans la défense des sans droits. Il a décidé de prendre la robe d’avocat tardivement, mais garde ses fonctions enseignantes. Père de famille, catholique, il est un combattant exigeant de la défense des droits de l’homme.
Christian Apothéloz