Le journaliste : interviews

Daniel Carrière, nous avons à imaginer un œcuménisme interreligieux

par | 22 janvier 2000

Paru dans le maga­zine men­suel régio­nal pro­tes­tant Échanges

Du Protestant, il a la pos­ture sévère et le regard sour­cilleux. Et l’exigence de mettre ses talents au ser­vice des plus faibles. Arrière-petit-fils de pas­teur, ori­gi­naire de Millau, Daniel Carrière à 64 ans reven­dique sa foi, même s’il n’appartient à aucune église. Sa vie est celle de la rébel­lion et de l’engagement. Sa pre­mière révolte, c’est la guerre d’Algérie. Il avait vu la Gestapo tor­tu­rer son grand père, il ne sup­por­te­ra pas que la France tor­ture en Algérie. Il s’engage donc, par­ti­cipe à la publi­ca­tion d’écrits inter­dits, puis rejoint ceux que l’on appel­le­ra les por­teurs de valise du Fln. Chimiste de for­ma­tion, il débute sa car­rière chez Pechiney et fait l’apprentissage du syn­di­ca­lisme. Insatisfait, il fonde une coopé­ra­tive ouvrière qui s’investit dans la réha­bi­li­ta­tion et l’entretien des loge­ments. En 1963, les Algériens lui demandent d’intervenir sur un chan­tier de 3 000 chô­meurs char­gé de résor­ber des bidon­villes. Parti pour six mois, il y res­te­ra jusqu’en 1972, et crée là-bas un des pre­miers bureaux d’étude coopé­ra­tif.
À son retour en France, il devient conseiller du Centre de déve­lop­pe­ment de l’Ocde, puis consul­tant de l’Onudi. De sa période « afri­caine », il garde la convic­tion que la coopé­ra­tion fran­çaise fait fausse route, que les pays en déve­lop­pe­ment ne décol­le­ront jamais avec des « aides para­chu­tées ». « Il faut être à l’écoute des gens, des peuples, de leurs besoins » Pour contri­buer au renou­veau de la coopé­ra­tion, il fonde à Marseille en 1976 l’association Échanges Méditerranée qui va ini­tier les pre­miers accords entre Alger, Marseille et leurs régions. Une asso­cia­tion qui sera la pépi­nière d’initiatives durables dans le domaine de la coopé­ra­tion décen­tra­li­sée. De 1984 à 1995 il sera le délé­gué régio­nal du Fond d’action sociale. Aujourd’hui jeune retrai­té actif, il est pré­sident de 3CI, une struc­ture qui aide les créa­teurs d’entreprises des quar­tiers en dif­fi­cul­té et il vient d’accepter de pré­si­der un col­lec­tif de 15 asso­cia­tions qui œuvrent pour les échanges méditerranéens.

Daniel Carrière est un mili­tant de la pre­mière heure des rela­tions entre Nord et Sud de la Méditerranée. Il plaide pour une recon­nais­sance de l’Islam et pour une ouver­ture de notre région vers ses voi­sins du Maghreb.

Vous avez pris l’initiative, avec des chré­tiens des quar­tiers sud de Marseille, d’une péti­tion pour l’ouverture d’un lieu de culte musul­man à Marseille. Pourquoi ?

Il faut que ceux qui ont la chance de vivre leur foi confor­mé­ment à la consti­tu­tion de la République, donc dans des lieux iden­ti­fiés, visibles, sou­vent très beaux, entre­te­nus, voire construits avec les deniers publics, sou­tiennent ceux qui sont aujourd’hui contraints de se recueillir, de prier, de vivre les fêtes reli­gieuses dans des lieux indignes, cachés, vétustes. Depuis des années, on met des préa­lables plus ou moins fal­la­cieux, finan­ciers, poli­tiques, archi­tec­tu­raux, juri­diques…, à la créa­tion d’un lieu cultuel et cultu­rel pour les 130 000 musul­mans de Marseille. Nous avons, en tant que citoyens, à aider l’Islam à sor­tir des caves.

Pourquoi l’Islam, seconde reli­gion fran­çaise, devant le pro­tes­tan­tisme, est-il si mal reconnu ?

En effet, le monde chré­tien connaît mal l’Islam. Sans remon­ter aux croi­sades, les conflits en Iran, en Afghanistan, en Tchétchénie, les vio­lences en Algérie, la déco­lo­ni­sa­tion ont dres­sé un mur d’incompréhension. L’enseignement de l’Islam a dimi­nué depuis 30 ans, l’apprentissage de l’arabe est réduit à la por­tion congrue. Nous avons une image défor­mée de la foi musul­mane, l’Iran, c’est le chiisme, l’Afghanistan, le fruit de la guerre sovié­tique, l’Algérie, une mau­vaise ges­tion du pays qui a conduit à une radi­ca­li­sa­tion de la pauvreté.

Quel enjeu repré­sente aujourd’hui le dia­logue avec les musulmans ?

Sur le simple plan géo­po­li­tique, il suf­fit de regar­der une carte de la Méditerranée. La reli­gion musul­mane l’emporte sur le monde judéo-chrétien, la paix dans cette région dépend donc de l’entente entre les reli­gions du Livre. Elles ont connu des schismes, des polé­miques, des conflits, mais les fon­de­ments sont iden­tiques. On mécon­naît par exemple la grande atten­tion aux pauvres pré­sente dans les paroles du Prophète. La morale reli­gieuse, nos morales reli­gieuses trouvent toutes leur ori­gine dans l’Ancien tes­ta­ment, nous sommes tous enfants d’Abraham. Le fonds com­mun existe, nous avons à ima­gi­ner, non plus un œcu­mé­nisme chré­tien, mais un œcu­mé­nisme inter­re­li­gieux, qui ne sup­prime pas nos his­toires, mais qui réponde à l’évolution de l’histoire.
Les 200 der­nières années ont été, avec la colo­ni­sa­tion, puis la déco­lo­ni­sa­tion, un drame pour les peuples de la Méditerranée. Si l’on n’invente pas des rela­tions nou­velles entre le Nord et le Sud, entre les enfants d’Ismaël et les enfants d’Isaac, entre les dis­ciples du Messie et les dis­ciples du Prophète, je ne donne pas cher de notre avenir.

Avec une quin­zaine d’associations régio­nales, vous appe­lez à un renou­veau des échanges en Méditerranée…

Oui, parce qu’il faut que ce dia­logue soit sous-tendu par des actes. Les bonnes inten­tions, les dis­cours, les visites offi­cielles ne suf­fisent pas. Il faut écou­ter les gens, leurs besoins et y répondre avec eux. Il ne faut pas écra­ser nos par­te­naires sous le poids d’une aide même bien inten­tion­née, il faut construire avec eux des actions de coopé­ra­tion qui vont contri­buer à notre propre déve­lop­pe­ment. Le col­lec­tif qui s’est créé n’a pas d’autre but : tis­ser des liens entre acteurs de ter­rain, agir au plus près des besoins, s’attaquer ensemble aux pro­blèmes de mal développement.

Christian Apothéloz

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