Article paru dans le magazine mensuel régional protestant Échanges.
Il a marqué toute l’architecture marseillaise du XIX° siècle : il a suivi le chantier de la cathédrale de la Major, conçu le Palais Longchamps et le Palais du Pharo, l’école des Beaux-arts, les églises de Saint Giniez et de Saint Défendant, et inventé Notre Dame de la Garde. Et il était protestant. Questions.
Henry Espérandieu, vous avez conçu les plans de la basilique Notre Dame de la Garde et lorsqu’il faut présenter le projet, c’est sous la signature de votre maître Léon Vaudoyer qu’il est avalisé par les autorités religieuses marseillaises…
Vous sous-entendez que j’ai triché ? Non, je travaillais à l’atelier Vaudoyer et il valait mieux présenter le projet au nom d’un cabinet parisien que sous la plume d’un architecte inconnu de 24 ans comme moi.
Et pourtant Vaudoyer pense que votre religion aurait pu vous faire rejeter…
Peut-être. Mais le grand débat en 1850 est entre les partisans d’un style néogothique et mon projet qui est romano-bysantin, inspiré de Saint Marc à Venise.
Le clergé aura pourtant des réticences…
Monseigneur de Mazenod en eut. Mon protestantisme a parfois jeté un froid. Je me souviens de la première réunion de travail avec le conseil d’administration, le 23 juin 53, on a supprimé les prières à cause de ma présence. Mais notez tout de même que mon dessin a été lithographié à mille exemplaires pour soutenir la souscription et que le 11 septembre de la même année, j’étais à côté de Monseigneur de Mazenod pour la pose de la première pierre.
Est-ce vraiment la place d’un protestant ?
Mais, je rêve. J’ai dû, toute ma vie, me battre contre des cléricaux obtus, des dévots et des notables sectaires et il faut qu’au quatrième centenaire de l’Édit de Nantes les protestants me reprochent d’avoir mis mon savoir faire au service de la ville. Je ne suis pas né dans l’opulence, Monsieur ! Mes parents étaient de modestes commerçants, j’ai suivi l’école mutuelle protestante et je n’ai pu aller au collège royal que grâce à une bourse. Mon diplôme d’architecte je l’ai obtenu en travaillant pour les maîtres ou pour des clients fortunés. Pourquoi devrais-je refuser des concours pour la conception d’édifices catholiques ?
Tout de même, Notre Dame de la Garde est un lieu de dévotion mariale éloigné de ce que vous avez appris à l’école protestante…
J’y ai appris le respect de Marie, pas vous ? Et je respecte les convictions des catholiques.
Mais vous avez placé toute la ville sous la bénédiction de la Vierge…
Erreur. Si vous regardez bien la statue vous verrez que c’est Jésus qui étend ses mains sur la ville. Le regard monte vers Marie et la ville reçoit la bénédiction d’un enfant…
Vous n’auriez pas préféré œuvrer pour les lieux de culte protestants…
Je l’ai fait, puisque j’ai aussi dessiné les plans de surélévation du temple de la rue Grignan. Mais je crois avoir réussi à donner à Marseille une image, des constructions qui font toujours, 150 ans plus tard sa fierté. Et je ne pense pas que les protestants aient à en rougir.
Propos recueillis (?) par Christian Apothéloz,
avec la complicité d’Isabelle Langlade, attachée de conservation du patrimoine aux archives de Marseille.
Henry Espérandieu
Henry Espérandieu est né le 22 février 1822 à Nîmes de parents commerçants. Après ses études nîmoises, il s’installe à Paris et entre aux Beaux-arts. Il travaille avec les architectes Vaudoyer et Questel. En 1852 ses projets sont retenus pour Notre Dame, en 1854, il est inspecteur des travaux de la cathédrale de la Major. En 1861, il devient architecte du gouvernement pour la résidence impériale du palais du Pharo et il est retenu pour le projet du Palais Longchamps. En 1867, il devient architecte de la ville et supervisera tous les grands travaux du XIX° marseillais, y compris la préfecture.
Il meurt brutalement le 11 novembre 1874, à l’âge de 45 ans à son domicile rue saint Férréol.
A lire le livre réalisé par les archives de Marseille à l’occasion d’une remarquable l’exposition paru chez Edisud : « Henry Espérandieu, architecte de Notre Dame de la Garde ».