Paru dans le magazine mensuel régional protestant Échanges
Homme pressé, voire impatient, Henry Roux-Alezais, président de la plus ancienne chambre de commerce de France, est sur tous les terrains. Aux frontières de la société civile. Interview
Marseille a connu un été noir avec la crise du port et l’affaire OM-Valenciennes. Comment la ville peut-elle rebondir aujourd’hui ?
Nous avons un plan, un programme : “2001, Méditerranée du monde”, que nous mettons en œuvre depuis 18 mois. Une stratégie qui se fonde sur la situation de Marseille. Nous sommes en marge de l’Europe décisionnelle, mais au cœur d’une Méditerranée ouverte sur le monde. Regardez ce qui se passe au Moyen Orient : si vous mélangez la matière grise israélienne et palestinienne, les pétrodollars et le savoir faire occidental, si on est assez malin pour combiner ça, au croisement des trois religions monothéistes, c’est un bras de levier considérable. Nous voulons donc positionner Marseille comme un centre de rayonnement, de réflexion, renforcer sa position de carrefour international, avec le port, l’aéroport…
Certes, mais à court terme, Marseille est engluée dans la crise portuaire.
Nous allons en finir. J’y suis revenu deux fois, une première fois seul, en novembre 1992, appelé par les dockers. Au bout d’une centaine d’heures, nous sommes parvenus à un accord. Nous avons été ressaisis le 10 septembre, nous avons résolu le problème des car-ferries et celui des occasionnels. Il nous reste deux ou trois points à régler. J’ai proposé la signature d’une charte de fiabilité qui n’a pas soulevé l’enthousiasme. Mais il faudra faire comprendre aux deux parties, 1 100 salariés d’un côté, sept entreprises de l’autre, que leur querelle n’est pas supportable par le reste de la communauté.
Vous avez joué l’arbitre…
Plus qu’arbitre, entraîneur, joueur, metteur en scène. Si vous voulez négocier, il faut créer un climat d’estime réciproque. Il faut beaucoup de détermination et de patience. C’est une mutation culturelle considérable, tant pour les employeurs que pour les employés et leur syndicat.
Pourquoi privilégier les activités traditionnelles, portuaires, plutôt que de nouvelles activités à hautes technologies ?
Dans une entreprise en difficulté, il faut valoriser les points forts, il faut avoir des coups gagnants. On ne peut tout baser sur les hautes technologies quand on a 15 ou 20 % de chômeurs. Il faut bien sûr prospecter des investisseurs, inventer des nouveaux métiers à partir de nos compétences scientifiques comme les biotechnologies, mais c’est long et c’est cher… le port, c’est immédiat. Si vous rétablissez la fiabilité, si vous améliorez la qualité, la sécurité, l’image, la commercialisation, nous avons un plan pour le faire, le port peut connaître une croissance à deux chiffres.
Pourquoi Marseille a‑t-elle toujours du mal à se faire entendre du pouvoir central, à obtenir un soutien de l’État à ses projets ?
Vieille histoire, à Marseille, depuis trois siècles, on est républicain sous la royauté, monarchiste sous Napoléon… c’est l’esprit de la ville. Et puis Gaston Defferre s’était brouillé avec la Datar. Nous avons zéro ministre, il y en a quatre en Rhône Alpes. À nous d’occuper le terrain autrement.
La rumeur vous donne candidat à la mairie, qu’en est-il ?
Les chefs d’entreprises sont plus des loups que des chiens, ils préfèrent la course libre plutôt que la pelouse. J’ai refusé trois fois d’être conseiller municipal. Je termine mon mandat dans un an, je suis renouvelable une fois, je suis passionné par ce que je fais. Je n’ai pas le temps de faire autre chose.
Propos recueillis par Nicolas Beaud et Christian Apothéloz