Paru dans le magazine mensuel régional protestant Échanges
Il a la lourde responsabilité de représenter les 80 000 Arméniens de la région marseillaise. Et de conduire le combat pour que cette communauté voie enfin reconnue ce qui est la cause de son exil et de ses souffrances : le premier génocide du XX siècle, un crime contre l’humanité commis par le gouvernement jeune turc, une purification ethnique qui fit un million et demi de morts.
Le Sénat s’est refusé à voter la proposition de loi reconnaissant publiquement le génocide des Arméniens. Pourquoi ce refus, alors que l’Assemblée nationale l’a votée ?
Pour ces 172 sénateurs, la paix se fait en acceptant l’insulte et la violence, en acceptant la raison du plus fort. La France ne veut pas se fâcher avec la Turquie qui a toujours été alliée de la France et de l’Europe. Après tout le génocide ne concerne directement que 400 000 personnes en France et six millions dans le monde. Notre pays se ridiculise dans un marchandage sordide. Le silence contre un marché d’hélicoptère qui n’a jamais été honoré !
85 années après, pourquoi raviver encore et toujours ce drame ?
Tant qu’un crime n’est pas puni, il reste l’exemple pour d’autres crimes. Le premier génocide du XXe siècle a servi d’exemple aux autres. Hitler s’y référait pour anéantir la Pologne. Il y a en Turquie des monuments à la gloire des assassins. On ne peut pas bâtir l’éthique du prochain siècle sans dénoncer tous les crimes commis au XXe, tous, y compris le génocide des Arméniens. Nous devons lutter contre l’indignation sélective. C’est Jaurès qui disait, « L’humanité tout entière ne peut vivre avec dans sa cave le cadavre d’un peuple assassiné ».
Pour vous, qui n’avez pas connu l’Arménie dans votre enfance qu’est-ce que cela évoque ?
Je n’avais pas dix ans quand mon père m’a raconté sa maison, son cheval, ses champs de coton. Puis j’ai su ce qu’avait subi mon grand père, mon aïeul, son voisin ce qu’avait subi l’Arménie : les hommes fusillés, les femmes et les enfants déportés et massacrés au bord des chemins, noyés dans l’Euphrate, la destruction des villages, le pillage, l’exode des survivants. C’est pour le respect de notre mémoire, pour que justice soit faite que nous nous mobilisons. Le crime a été tel, qu’il est en nous, de génération en génération. Les Arméniens appellent le génocide « la grande catastrophe », elle est écrite dans notre histoire à l’encre indélébile.
Et vous refusez l’entrée de la Turquie dans la communauté européenne…
La Turquie nous a chassés entre autres parce que nous étions et sommes européens. La reconnaissance du génocide est une condition première pour parler du reste : les droits de l’homme, Chypre, etc.
Vous êtes croyant. Est-ce que le temps du pardon n’est pas venu ?
Pour accorder le pardon, il faut qu’il soit demandé. On ne peut pardonner à qui ne reconnaît pas son crime, sinon, on renforce l’exemplarité du criminel.
Si je suis croyant, je me souviens de la parabole des talents. Qu’avons-nous fait du trésor que Dieu nous a confié ? Dieu nous a donné un pays porteur de trois symboles d’espoir.
La naissance de l’humanité, aux sources du Tigre et de l’Euphrate, la Bible y situe le jardin d’Eden.
La renaissance de l’humanité avec le mont Ararat, où s’est échouée l’Arche de Noé.
Enfin l’Arménie a été le premier pays à accepter le christianisme comme religion d‘État.
J’espère que ce pays redeviendra symbole de paix et d’amour.
Jacques Donabédian
Jacques Donabédian a dans sa mémoire un double exil. Il est né à Tunis. Son père y était pasteur de l’église réformée. Une église vivante et une ville chaleureuse, il suit l’école du dimanche et devient éclaireur. En 1961, du fait des événements de Bizerte, les enfants français quittent la Tunisie et sont mis en pension en métropole. Le petit Jacques, il a 15 ans, viendra au lycée Saint Charles à Marseille. Il fait des études en physique et décroche un doctorat. Il fera d’abord carrière à Paris, chez Alcatel, puis s’installera à Marseille. Depuis 7 ans, il a créé avec un associé une petite société de d’informatique.
Son identité arménienne est indissolublement liée à sa foi protestante. « À l’école du dimanche, dit-il on n’apprend pas seulement la Bible, mais une manière d’être, un comportement ». Et Jacques Donabédian va donner de son énergie et de son temps à l’Arménie. Il milite au Centre d’études arméniennes, structure qui dès les années soixante a joué un rôle moteur pour faire reconnaître le génocide. Le Centre, se souvient-il, se mobilisait pour que le 24 avril, les magasins soient fermés et les églises ouvertes. Depuis 2 ans, Jacques Donabédian (55 ans, marié, et père d’une fille) est président du Comité du 24 avril 1915, une structure qui regroupe toutes les composantes, cultuelles, culturelles, politiques, associatives de la communauté arménienne. Créé à l’origine pour commémorer la date anniversaire des massacres, il a élargi son champ d’action à tous les problèmes de la communauté.