Article paru dans Le Nouvel Economiste.
André Einaudi n’aurait jamais dû devenir l’entrepreneur de l’année, pour la bonne et simple raison qu’il se refuse à collectionner les prix et diplômes. Il a accepté de faire une exception pour le Nouvel économiste. Peut-être parce que le mot entrepreneur lui va comme un gant.
À 41 ans, il pourrait légitimement adopter le profil blasé du grand patron débordé et inaccessible : Ortec affiche aujourd’hui 1,5 milliard de chiffres d’affaires avec 1 600 salariés dans les métiers de l’environnement, et de la maintenance.
André Einaudi pourtant garde les pieds sur terre. Il est terrien d’abord. Fils d’un vigneron varois, de Carcès, il a conscience de la fragilité des succès économiques. Le vignoble le mieux entretenu peut en effet d’un coup de gel devenir stérile.
Il commence sa carrière avec une double formation, ingénieur des arts et métiers et management à l’IAE. Il entre en 1979 au groupe Onet. Il prend la direction de la branche industrie. Il développe ces activités et la branche Ortec Buzzichelli atteint le milliard de chiffre d’affaires en 1990.
Mais pour le groupe Onet, cette excroissance est atypique. Les cultures d’entreprises sont alors aux antipodes. Onet a construit son succès sur des marges étroites, mais maîtrisées, avec un personnel nombreux et peu qualifié, encadré par une hiérarchie forte. Ortec est devenu une boîte d’ingénieurs, qui travaille sur des marchés porteurs comme la pétrochimie, mais qui a de grands besoins d’investissements. Onet, coté en Bourse, apprécié comme une valeur sûre, le groupe craint pour sa stabilité.
André Einaudi rencontre les repreneurs, il calcule, évalue, négocie. Puis se refuse à ce qui se profile alors, une vente par appartements à la Générale ou à la Lyonnaise. Il est convaincu par ses propres business plans et il monte un LMBO avec 10 cadres.
1992 : le montage est bouclé, dix cadres cassent leur tirelire et s’endettent. André Einaudi devient par le biais d’une série de sociétés emboîtées, de poupées russes, il devient l’actionnaire majoritaire d’un groupe évalué à 110 M.F.. Ortec prend son indépendance. Il lui faudra quatre ans pour digérer et assainir. Ortec cède des participations non stratégiques. Le chiffre d’affaires est réduit à 750 M.F.. Mais sans casse. Quand André Einaudi ne croit plus au développement d’une activité dans le groupe, il fait en sorte que l’emploi soit préservé et il cherche des repreneurs.
En 1996, la société est désendettée, de nouveaux actionnaires bancaires, rejoignent le tour de table. Ortec est prêt pour la croissance externe.
La cible n’est pas une TPE.
Depuis dix ans, les équipes d’Ortec se retrouvent sur les mêmes marchés avec Friedlander, une filiale du groupe GTM. Et souvent, bien qu’ils soient concurrents, ils font le même métier, ils ont ensemble répondu à des appels d’offres.
Friedlander est la cible idéale. Et consentante. Ortec va doubler donc son chiffre d’affaires et passe de 750 M.F. à 1,5 milliard. Aujourd’hui, il faut unifier la gestion, fusionner les agences, raccorder les systèmes informatiques, marier les équipes… et éliminer, sans casse, les doublons.
De ses ascendants vignerons, André Einaudi a gardé le goût de la taille. Et du travail. “Mon grand père n’a jamais pris de congés”, m’a-t-il confié “J’ai été formé par les marchés agricoles, il ne faut pas courir derrière le chiffre d’affaires, mais vers le résultat”.
Une profession de foi digne de l’entrepreneur de l’année.
Christian Apothéloz