Article paru dans Réforme, hebdomadaire protestant.
Principal de collège à Marseille, hussard de la République, Bernard Ravet écrit à l’orée de sa retraite un livre, « Principal de collège ou imam de la République », avec le journaliste Emmanuel Davidenkoff. Son éditeur fait un tirage optimiste à 4 000 exemplaires. Il s’en est vendu à ce jour près de 15 000. Narrateur plus que théoricien, il est de tous les débats sur la laïcité à l’école et sur l’islamisme rampant chez les jeunes. Homme libre, il a levé l’omerta sur ce qui menace l’école dans les territoires abandonnés de la République.
Sa rondeur naturelle, son parler volubile, sa faconde et son regard malicieux pourraient induire en erreur, Barnard Ravet porte la moustache de Clémenceau, son autorité et ses convictions sont à son image. Fils d’une agricultrice et d’un plombier de Lyon, il a ses racines dans la Drome protestante, du petit village de Ravel et Ferriers près de Chatillon en Diois. Sa mère rêvait pour lui de l’École normale et dès 6 ans, il faisait déjà la classe à ses nounours sagement alignés dans sa chambre. L’enseignement c’est pour lui un ascenseur social et une vocation, une façon d’être. Célestin Freinet et Johan Heinrich Pestalozzi, le pédagogue suisse, sont ses références pour former les enfants de Croix Rousse à Lyon. Passionné de photo, d’histoire, engagé dans le quartier aux côtés notamment de la Cimade, du Secours catholique, du Secours populaire, il est un « enseignant militant ». Au début des années quatre-vingt, il engage un parcours de 20 années dans l’univers des centres régionaux de documentation pédagogique et produit des outils d’autoformation, des supports pour soutenir ses confrères qui sont « au front ».
À 50 ans, il passe le concours de directeur de collège et atterrit dans les quartiers nord de Marseille. 3 ans au collège Manet. Le choc. La pédagogie n’est plus la vocation première de l’établissement scolaire. « Nous vivons la première transformation de notre métier lâche-t-il : je deviens directeur d’une ONG, la gestion de l’urgence sociale a pris le pas sur tout le reste ». Le collège est devenu un lieu clos où il faut gérer la survie, la violence est quotidienne : « Tout rapport à autrui est un rapport de force, l’agression verbale est permanente ».
En 2004, Bernard Ravet est nommé à Versailles, ne rêvez pas au château, c’est l’étrange nom de baptême d’un collège du centre-ville de Marseille, « au pied de l’autoroute, décrit-il, dans une impasse de dealers à côté d’une déchetterie, au milieu d’un no man’s land, protégé par de hautes grilles. ». Nous sommes dans le 3e arrondissement le plus pauvre et le plus abandonné de la Cité phocéenne. Après avoir été le quartier italien, celui des ouvriers de la réparation navale, il est devenu le refuge de migrants venus des Comores, d’Algérie ou de Tchétchénie. « Dans ce quartier, souligne Bernard Ravet, le collège est la seule institution publique qui tienne encore debout. » La tension est permanente avec les caïds, avec les dealers. Tous les matins Bernard Ravet marque son territoire, avec le conseiller principal d’éducation, il « fait la grille », il accueille personnellement sur le trottoir, devant le portail, les élèves. Il brave l’hostilité ambiante. Il ne lâche rien, invente des solutions pour chaque détail, de la propreté des toilettes aux vols de téléphones. Il largue ses propres convictions libertaires et devient un partisan et un artisan de la « tolérance zéro ». Pour ne pas s’habituer, pour ne pas baisser la garde.
Le principal de collège consacre beaucoup plus d’énergie et de temps à sa mission d’ordre public, qu’à la transmission des savoirs et aux apprentissages ! « La périphérie de la mission dévore le centre » déplore-t-il. Rien ne l’avait formé à ces situations et son administration peine à suivre restant prudemment éloignée de ses interpellations.
Mais en 2004, Bernard Ravet se découvre un autre adversaire : « Dieu » dit-il provocant !
Que s’est-il passé ? Un soir quelques jours après la rentrée, trois enseignantes, en jupe, se font agresser sur le chemin du métro. Jets de cannettes, menaces, injures : « putes, salopes ». Des élèves seront aussi prises à partie par ces « barbus ». Le principal de collège va découvrir un autre monde. D’abord ceux qui vont être ses plus proches soutiens : la police ! La BAC veille à l’entrée du collège, la police infiltre un faux enseignant pour obtenir un flagrant délit, le principal fréquente les sombres couloirs des renseignements généraux. Et il va faire arrêter un ancien élève du collège qui sera mis en garde à vue.
La suite va démontrer que cette agression n’est que le symptôme d’une prise en main du quartier par des courants intégristes. En 2005, un prof d’histoire géo est confronté à des élèves qui défendent des conceptions de la justice surprenante, justifiant de couper la main d’un voleur par exemple. En fait les élèves ont reçu à la mosquée, un petit livre imprimé en Arabie saoudite et interdit en France qui fait l’apologie d’un islam radical du courant Tabligh. Avec l’aide des renseignements généraux, il va découvrir que “l’excellent” surveillant qui officie dans ses classes est en fait un agent recruteur de la mosquée Tabligh. « Nous sommes seuls écrit-il. Seuls à encaisser l’irruption du religieux dans la sphère publique. Comment alerter sans alimenter le discours antimusulman ? »
Le livre est un témoignage au quotidien de cette radicalisation sur fonds de pauvreté et de démission des pouvoirs publics. Tenu au devoir de réserve, Bernard Ravet a décidé au lendemain de sa retraite de dire ce que vivent ses collègues. Reçu par Jean Michel Blanquer, par le maire de Marseille il a pu dire les menaces sur les enseignants quand ils traitent de la Shoah, du big-bang, du Moyen orient, de la place des femmes…
Bernard Ravet ne cède pas au défaitisme. « Jamais je ne laisserai dire que nous sommes impuissants. Comment tolérer que des enfants soient abreuvés de valeurs contraires à la constitution ? C’est notre jeunesse qui est en danger. »
Christian Apothéloz
« Principal de collège ou imam de la République », de Bernard Ravet, Éditions Kero