La SMC acquise pour 430 millions de francs par le CCF sera vendue 1 milliard d’euros.
Article paru dans Le Nouvel Economiste.
La belle endormie était selon Patrick Careil, P.-D.G. d’urgence dépêché par Bercy « en état de coma dépassé ». 30 mois après avoir pris les rênes de la Société marseillaise de crédit, Joseph Perez affiche un résultat d’exploitation positif avec un effectif ramené sans heurt à 1 500 salariés… et des perspectives d’embauche. Il est l’homme de l’année.
Dans les pires difficultés de son métier de manager de banque, Joseph Perez ne s’est jamais départi de sa franchise, de son sourire et de son ouverture aux autres. Il aime le bon vin, les bonnes tables et la bonne musique, le tout avec mesure. Mais, il aime avant tout aller à la rencontre des gens, les clients, les journalistes, les décideurs, de sa ville, de sa région, de son entreprise. Parler, ce n’est pas perdre son temps, c’est en gagner, c’est comprendre l’autre, c’est se faire comprendre. Ce « ministère de la parole » est certainement ce qui lui a permis de sortir du gouffre deux banques méridionales, la Chaix et la SMC.
Ses origines méditerranéennes n’y sont pas pour rien. Le petit Joseph naît « dans le bled » à Aïn Temouchent, près d’Oran en Algérie dans une famille modeste, originaire d’Andalousie. Son père était salarié d’une société de transport, sa mère, couturière. Il vit sa jeunesse à Oran, un bonheur ensoleillé qui se ternit avec une guerre qui ne dit pas encore son nom. « Mon avenir s’inscrivait là-bas » dit-il pudiquement. L’Algérie reste une blessure, « un fantastique gâchis ». En 1962, sa famille s’installe à Valence ; lui, reprend son droit à Lyon. Il fonde une association d’étudiants pieds-noirs et milite pendant dix ans pour l’indemnisation et l’amnistie des rapatriés.
Marié en 1965, sa licence en poche, il cherche un travail. « Je n’étais pas fait pour la banque, je voulais être journaliste ou avocat ». Mais la banque offre des débouchés immédiats. Il a trois offres : la Société générale, la Banque populaire et le CCF. Ce sera le CCF… et pour la vie ! Il a 23 ans et après une formation bancaire, il est chargé de clientèle. C’est la grande explosion du marché, la banque sort d’une période ultra-réglementée : il monte les premiers dossiers de crédit immobilier. Jean Sibilleau, patron du groupe de Lyon du CCF le fait travailler hors hiérarchie, à de nouvelles implantations par exemple, puis le nomme à 25 ans directeur d’agence. Il découvre là ce qu’est le métier de banquier. Il découvre des clients issus de la banque Eynard, présents depuis 4 ou 5 générations. « L’acte de banque n’est, découvre-t-il, ni un acte de production, ni un acte de distribution, c’est un acte de confiance. Le métier de banquier, c’est bien sûr de produire et distribuer, mais surtout, d’établir une relation. À chaque opération bancaire correspond un événement de vie. Je ne fais pas un prêt immobilier, j’aide quelqu’un à construire sa maison ; je n’accorde pas une ligne d’escompte, je participe au développement d’une entreprise ; je ne monte pas un crédit documentaire, j’accompagne une aventure d’exportation. » Le credo, et le secret de Joseph Perez sont là. « La banque, martèle-t-il, ça consiste à comprendre ce que font les gens. » Et ça ne s’apprend pas dans les écoles de commerce. « Si c’était autre chose, je n’aurais jamais fait ce métier, » dit-il.
De Lyon à Grenoble, il découvre le textile, le BTP, la plasturgie naissante. Puis en 1982, il est appelé à Paris, il devient directeur adjoint du réseau en charge de la stratégie commerciale. Il fait entrer le CCF dans la télématique, créée des nouvelles gammes de produits, parcourt le réseau avec Michel Pébereau tout juste arrivé du Trésor. Il reste huit ans dans les brumes franciliennes. Mais l’homme de terrain, a besoin de retrouver le client… et le Sud. Il critique avec malice les parisiens « qui ne connaissent pas l’acte commercial ». « Il y a un moment de jouissance, quand le client signe un contrat », avoue-il avec gourmandise.
La Banque Chaix vient de tomber dans le groupe CCF, il en est administrateur depuis 1986 Contre l’avis de Michel Pébereau, il part pour Avignon en mai 1990 comme directeur général. Il hérite d’un président, Pierre Habib-Deloncle avec lequel il ne cohabitera qu’un mois. La banque est déboussolée par la nationalisation, puis le retour au privé. Jean Matouk, ancien conseiller économique de François Mitterrand, en a fait un laboratoire idéologique où il a expérimenté tout et son contraire. Pierre Habib Deloncle, son successeur, trésorier du Comité de soutien à Jacques Chirac, sert ses amis et prend des risques inconsidérés. Les 350 salariés, malgré le titre pompeux « d’ingénieur financier » accordé à certains d’entre eux par Matouk ont perdu le sens de leur métier.
Joseph Perez lui revient aux fondamentaux. « J’ai fait le tour de toutes les agences, j’ai beaucoup écouté, y compris les retraités, j’ai voulu retrouver l’âme de cette entreprise, l’esprit de son fondateur, Joseph Chaix. »
Il cultive la différence avec Paris et les logiques du CCF. Le groupe est plutôt élitiste, la Chaix est proche des gens, le CCF multiplie les spécialistes, Chaix a besoin de généralistes qui restent en place longtemps. « Dans une banque régionale, c’est moins l’innovation qui importe que la relation, je suis contre le turn-over » plaide le nouveau P.-D.G. Les résultats suivent. La petite Chaix devient la banque la plus rentable de la région. Il fait de la croissance externe, rachète quatre petites banques familiales. Joseph Perez notabilise ses patrons d’agence. Lui-même s’investit pour Avignon, pour l’emploi. « Nous avons inventé un modèle de banque régionale, pas une succursale de groupe, une banque qui a son histoire, sa marque, sa politique sociale, son informatique, ses propres produits ». Et il a un allié au sommet, Charles de Croissey, président du CCF, qui ne croit pas, dans la banque « à l’effet de taille ». Il est convaincu que « les petites équipes, sont plus économes que les grandes, les décisions y sont rapides, les choix sont lisibles et cohérents ». Une conviction qu’il fera partager y compris à HSBC.
Lorsque la privatisation de la SMC vient à l’ordre du jour, Joseph Perez défend le dossier auprès de Charles de Croissey. Pourtant le sujet est sensible. La banque phocéenne est une machine à perdre de l’argent, malmenée, plutôt que dirigée successivement par deux personnages qu’il connaît bien : Jean Matouk, puis Pierre Habib Deloncle. On retrouve cette banque protestante dans les rubriques faits divers ou dans les colonnes du Canard enchaîné. Les cadres sont désemparés, ils ont subi quatre P.-D.G. en cinq ans. Patrick Careil, patron de la banque Hervet a été dépêché par Bercy pour mettre fin à des malversations. Plus question de sparadrap ou de camouflages. Les auditeurs de Deloitte & Touche épluchent les crédits, ligne à ligne. Et provisionnent, lourdement. Les pertes post-audits sont abyssales : deux milliards que l’État épongera avant de privatiser.
Pourtant Joseph Perez engage la Chaix dans la compétition : « Il y a un nom, un réseau, un fonds de commerce, une clientèle d’une rare fidélité ».
La rumeur publique attribuait la SMC à la Caisse d’épargne. La BNP et la Société générale étaient venues expertiser le dossier. En fait, elles ne déposeront pas d’offre, pas plus que l’Écureuil qui se retire devant le risque social.
Joseph Perez se retrouve donc en première ligne. Le 26 octobre 98, il arrive au siège historique de la rue Paradis, avec Emmanuel Barthélemy, venu du CCF, et Maurice Dadone, de la Chaix. Le personnel est à vif et s’attend à tout. Les bruits ont circulé. Les auditeurs auraient prévu un millier de licenciements sur les 1 800 salariés. Le trio va à la rencontre des salariés, écoute, avec un discours clair : « La banque doit se remettre dans des ratios normaux d’exploitation, donc baisser ses effectifs de 500 salariés. Il y aura un plan de restructuration, mais sans départ contraint. » Pourtant, le message passe. « J’ai été surpris par la désespérance des gens, avoue Joseph Perez, certains n’osaient plus afficher leur appartenance à la SMC ». Toute la banque est réorganisée, service par service, avec des méthodes, et une priorité : comment apporter un meilleur service au client. Et un parti pris : « faire avec les gens en place ». Il faudra en fait deux ans pour remettre la banque sur ses rails avec un plan qui a coûté 290 MF et 25 % de baisse des effectifs. Mais le résultat est là. Le réseau retrouve sa rentabilité, le produit net bancaire atteint le milliard de francs des années quatre-vingt-dix. La méthode Perez marche. Au fait, c’est quoi cette méthode ? « La rigueur et l’exemplarité » dit-il. Et il glisse : « Je crois qu’aucun président n’était jamais venu manger à la cantine ».
Christian Apothéloz