Le journaliste : portraits

CCF, Chaix, SMC : La méthode Joseph Perez

par | 01 mars 2001

La SMC acquise pour 430 mil­lions de francs par le CCF sera ven­due 1 mil­liard d’euros.

Article paru dans Le Nouvel Economiste.

La belle endor­mie était selon Patrick Careil, P.-D.G. d’urgence dépê­ché par Bercy « en état de coma dépas­sé ». 30 mois après avoir pris les rênes de la Société mar­seillaise de cré­dit, Joseph Perez affiche un résul­tat d’exploitation posi­tif avec un effec­tif rame­né sans heurt à 1 500 sala­riés… et des pers­pec­tives d’embauche. Il est l’homme de l’année.

SMC
Le SMC (Société mar­seillaise de cré­dit): l’é­tage de la direction 

Dans les pires dif­fi­cul­tés de son métier de mana­ger de banque, Joseph Perez ne s’est jamais dépar­ti de sa fran­chise, de son sou­rire et de son ouver­ture aux autres. Il aime le bon vin, les bonnes tables et la bonne musique, le tout avec mesure. Mais, il aime avant tout aller à la ren­contre des gens, les clients, les jour­na­listes, les déci­deurs, de sa ville, de sa région, de son entre­prise. Parler, ce n’est pas perdre son temps, c’est en gagner, c’est com­prendre l’autre, c’est se faire com­prendre. Ce « minis­tère de la parole » est cer­tai­ne­ment ce qui lui a per­mis de sor­tir du gouffre deux banques méri­dio­nales, la Chaix et la SMC.
Ses ori­gines médi­ter­ra­néennes n’y sont pas pour rien. Le petit Joseph naît « dans le bled » à Aïn Temouchent, près d’Oran en Algérie dans une famille modeste, ori­gi­naire d’Andalousie. Son père était sala­rié d’une socié­té de trans­port, sa mère, cou­tu­rière. Il vit sa jeu­nesse à Oran, un bon­heur enso­leillé qui se ter­nit avec une guerre qui ne dit pas encore son nom. « Mon ave­nir s’inscrivait là-bas » dit-il pudi­que­ment. L’Algérie reste une bles­sure, « un fan­tas­tique gâchis ». En 1962, sa famille s’installe à Valence ; lui, reprend son droit à Lyon. Il fonde une asso­cia­tion d’étudiants pieds-noirs et milite pen­dant dix ans pour l’indemnisation et l’amnistie des rapa­triés.
Marié en 1965, sa licence en poche, il cherche un tra­vail. « Je n’étais pas fait pour la banque, je vou­lais être jour­na­liste ou avo­cat ». Mais la banque offre des débou­chés immé­diats. Il a trois offres : la Société géné­rale, la Banque popu­laire et le CCF. Ce sera le CCF… et pour la vie ! Il a 23 ans et après une for­ma­tion ban­caire, il est char­gé de clien­tèle. C’est la grande explo­sion du mar­ché, la banque sort d’une période ultra-réglementée : il monte les pre­miers dos­siers de cré­dit immo­bi­lier. Jean Sibilleau, patron du groupe de Lyon du CCF le fait tra­vailler hors hié­rar­chie, à de nou­velles implan­ta­tions par exemple, puis le nomme à 25 ans direc­teur d’agence. Il découvre là ce qu’est le métier de ban­quier. Il découvre des clients issus de la banque Eynard, pré­sents depuis 4 ou 5 géné­ra­tions. « L’acte de banque n’est, découvre-t-il, ni un acte de pro­duc­tion, ni un acte de dis­tri­bu­tion, c’est un acte de confiance. Le métier de ban­quier, c’est bien sûr de pro­duire et dis­tri­buer, mais sur­tout, d’établir une rela­tion. À chaque opé­ra­tion ban­caire cor­res­pond un évé­ne­ment de vie. Je ne fais pas un prêt immo­bi­lier, j’aide quelqu’un à construire sa mai­son ; je n’ac­corde pas une ligne d’escompte, je par­ti­cipe au déve­lop­pe­ment d’une entre­prise ; je ne monte pas un cré­dit docu­men­taire, j’accompagne une aven­ture d’exportation. » Le cre­do, et le secret de Joseph Perez sont là. « La banque, martèle-t-il, ça consiste à com­prendre ce que font les gens. » Et ça ne s’apprend pas dans les écoles de com­merce. « Si c’était autre chose, je n’aurais jamais fait ce métier, » dit-il.
De Lyon à Grenoble, il découvre le tex­tile, le BTP, la plas­tur­gie nais­sante. Puis en 1982, il est appe­lé à Paris, il devient direc­teur adjoint du réseau en charge de la stra­té­gie com­mer­ciale. Il fait entrer le CCF dans la télé­ma­tique, créée des nou­velles gammes de pro­duits, par­court le réseau avec Michel Pébereau tout juste arri­vé du Trésor. Il reste huit ans dans les brumes fran­ci­liennes. Mais l’homme de ter­rain, a besoin de retrou­ver le client… et le Sud. Il cri­tique avec malice les pari­siens « qui ne connaissent pas l’acte com­mer­cial ». « Il y a un moment de jouis­sance, quand le client signe un contrat », avoue-il avec gourmandise.

FM Beyrouth Symposium 2006
A Beyrouth en 2006 Photo Christian Apothéloz


La Banque Chaix vient de tom­ber dans le groupe CCF, il en est admi­nis­tra­teur depuis 1986 Contre l’avis de Michel Pébereau, il part pour Avignon en mai 1990 comme direc­teur géné­ral. Il hérite d’un pré­sident, Pierre Habib-Deloncle avec lequel il ne coha­bi­te­ra qu’un mois. La banque est débous­so­lée par la natio­na­li­sa­tion, puis le retour au pri­vé. Jean Matouk, ancien conseiller éco­no­mique de François Mitterrand, en a fait un labo­ra­toire idéo­lo­gique où il a expé­ri­men­té tout et son contraire. Pierre Habib Deloncle, son suc­ces­seur, tré­so­rier du Comité de sou­tien à Jacques Chirac, sert ses amis et prend des risques incon­si­dé­rés. Les 350 sala­riés, mal­gré le titre pom­peux « d’ingénieur finan­cier » accor­dé à cer­tains d’entre eux par Matouk ont per­du le sens de leur métier.
Joseph Perez lui revient aux fon­da­men­taux. « J’ai fait le tour de toutes les agences, j’ai beau­coup écou­té, y com­pris les retrai­tés, j’ai vou­lu retrou­ver l’âme de cette entre­prise, l’es­prit de son fon­da­teur, Joseph Chaix. »
Il cultive la dif­fé­rence avec Paris et les logiques du CCF. Le groupe est plu­tôt éli­tiste, la Chaix est proche des gens, le CCF mul­ti­plie les spé­cia­listes, Chaix a besoin de géné­ra­listes qui res­tent en place long­temps. « Dans une banque régio­nale, c’est moins l’innovation qui importe que la rela­tion, je suis contre le turn-over » plaide le nou­veau P.-D.G. Les résul­tats suivent. La petite Chaix devient la banque la plus ren­table de la région. Il fait de la crois­sance externe, rachète quatre petites banques fami­liales. Joseph Perez nota­bi­lise ses patrons d’agence. Lui-même s’investit pour Avignon, pour l’emploi. « Nous avons inven­té un modèle de banque régio­nale, pas une suc­cur­sale de groupe, une banque qui a son his­toire, sa marque, sa poli­tique sociale, son infor­ma­tique, ses propres pro­duits ». Et il a un allié au som­met, Charles de Croissey, pré­sident du CCF, qui ne croit pas, dans la banque « à l’effet de taille ». Il est convain­cu que « les petites équipes, sont plus éco­nomes que les grandes, les déci­sions y sont rapides, les choix sont lisibles et cohé­rents ». Une convic­tion qu’il fera par­ta­ger y com­pris à HSBC.
Lorsque la pri­va­ti­sa­tion de la SMC vient à l’ordre du jour, Joseph Perez défend le dos­sier auprès de Charles de Croissey. Pourtant le sujet est sen­sible. La banque pho­céenne est une machine à perdre de l’argent, mal­me­née, plu­tôt que diri­gée suc­ces­si­ve­ment par deux per­son­nages qu’il connaît bien : Jean Matouk, puis Pierre Habib Deloncle. On retrouve cette banque pro­tes­tante dans les rubriques faits divers ou dans les colonnes du Canard enchaî­né. Les cadres sont désem­pa­rés, ils ont subi quatre P.-D.G. en cinq ans. Patrick Careil, patron de la banque Hervet a été dépê­ché par Bercy pour mettre fin à des mal­ver­sa­tions. Plus ques­tion de spa­ra­drap ou de camou­flages. Les audi­teurs de Deloitte & Touche épluchent les cré­dits, ligne à ligne. Et pro­vi­sionnent, lour­de­ment. Les pertes post-audits sont abys­sales : deux mil­liards que l’État épon­ge­ra avant de pri­va­ti­ser.
Pourtant Joseph Perez engage la Chaix dans la com­pé­ti­tion : « Il y a un nom, un réseau, un fonds de com­merce, une clien­tèle d’une rare fidé­li­té ».
La rumeur publique attri­buait la SMC à la Caisse d’épargne. La BNP et la Société géné­rale étaient venues exper­ti­ser le dos­sier. En fait, elles ne dépo­se­ront pas d’offre, pas plus que l’Écureuil qui se retire devant le risque social.
Joseph Perez se retrouve donc en pre­mière ligne. Le 26 octobre 98, il arrive au siège his­to­rique de la rue Paradis, avec Emmanuel Barthélemy, venu du CCF, et Maurice Dadone, de la Chaix. Le per­son­nel est à vif et s’attend à tout. Les bruits ont cir­cu­lé. Les audi­teurs auraient pré­vu un mil­lier de licen­cie­ments sur les 1 800 sala­riés. Le trio va à la ren­contre des sala­riés, écoute, avec un dis­cours clair : « La banque doit se remettre dans des ratios nor­maux d’exploitation, donc bais­ser ses effec­tifs de 500 sala­riés. Il y aura un plan de restruc­tu­ra­tion, mais sans départ contraint. » Pourtant, le mes­sage passe. « J’ai été sur­pris par la déses­pé­rance des gens, avoue Joseph Perez, cer­tains n’osaient plus affi­cher leur appar­te­nance à la SMC ». Toute la banque est réor­ga­ni­sée, ser­vice par ser­vice, avec des méthodes, et une prio­ri­té : com­ment appor­ter un meilleur ser­vice au client. Et un par­ti pris : « faire avec les gens en place ». Il fau­dra en fait deux ans pour remettre la banque sur ses rails avec un plan qui a coû­té 290 MF et 25 % de baisse des effec­tifs. Mais le résul­tat est là. Le réseau retrouve sa ren­ta­bi­li­té, le pro­duit net ban­caire atteint le mil­liard de francs des années quatre-vingt-dix. La méthode Perez marche. Au fait, c’est quoi cette méthode ? « La rigueur et l’exemplarité » dit-il. Et il glisse : « Je crois qu’aucun pré­sident n’était jamais venu man­ger à la cantine ».

Christian Apothéloz