Article paru dans Réforme, hebdomadaire protestant.
Le 21 octobre 1945, au soir de l’élection de l’Assemblée nationale constituante, au siège de la SFIO des Bouches du Rhône personne ne s’attend à voir sortir une femme députée. Gaston Defferre et Francis Leenhardt sont en tête. Mais le scrutin à la proportionnelle au plus fort reste fait sortir Irène Laure des urnes. C’est la seule fois dans l’histoire où les Bouches du Rhône votent pour trois députés protestants. Cela ne durera pas : le 10 novembre 1946 aux législatives Irène n’est pas réélue.
Mais quelle femme ! Cette infirmière de métier est issue d’une famille cossue italienne du Piémont, les Guelpa-Cichetto. Son père est entrepreneur dans le bâtiment installé à Lausanne, puis à Antibes. Et la petite Irène a très tôt le sens de la justice et de l’injustice. Elle ne supporte pas de voir les ouvriers transpirer pour des salaires de misère et peiner à nourrir leur famille. Elle détourne les vivres du garde-manger familial, s’emporte contre son père et à 16 ans elle prend sa carte aux jeunesses socialistes.
Elle rencontre Victor Laure, un homme de la mer qui comme elle est en rupture de ban avec sa famille. Elle l’épouse en 1920, « avec, pour voyage de noces, le congrès de Tours ». Irène aborde la Guerre avec cinq enfants. Elle est infirmière et vit dans un HLM d’Aubagne. La résistance est une évidence (au Mouvement de libération nationale). Elle ira soigner clandestinement les malades et blessés des maquis. Et lorsque ses propres enfants souffrent des décalcifications faute de vivres, en mai 1944, elle organise une « marche de la faim » avec 4 000 femmes qui vont en préfecture de Marseille exiger du pain pour leurs enfants.
À la Libération, elle devient secrétaire générale des femmes socialistes de France et siège au comité directeur du Parti socialiste (1946–1947).
En 1947, répondant à la sollicitation d’Initiatives et Changement (alors « Réarmement Moral »), elle se rend à Caux en Suisse. La rencontre avec des Allemands est une épreuve, mais elle accepte et elle va jusqu’à demander pardon aux ennemis d’hier présents à Caux, pour la haine qu’elle a ressentie à leur égard. « J’ai souhaité la destruction de l’Allemagne et sa disparition de la carte du monde. De ma haine, je vous demande pardon ». Ce sera une véritable conversion à la paix et elle va parcourir le monde pour porter ce message aux USA, en Inde, en Europe, en Afrique. Elle restera socialiste, mais abandonnera la lutte des classes : « Ce qu’on appelle guerre des classes est une lutte pour le pouvoir et non pour le bien-être des pauvres et des opprimées », plaide Irène Laure y compris devant Guy Mollet ou Léon Blum.
Irène Laure va consacrer sa vie jusqu’à ses derniers jours à plaider le dialogue et la renonciation : « La plus puissante des armes c’est le temps de silence. Nous avons la possibilité de participer à un monde nouveau, si nous savons écouter notre cœur dans le silence ».
Christian Apothéloz