Le journaliste : portraits

Juif, arabe, français… rencontre avec Gilbert Benayoun : toucher les cœurs autant que la raison

par | 03 janvier 2002

Article paru dans Echange, men­suel régio­nal protestant.

Le col­loque se tenait sage­ment à l’hôtel région à Marseille. Un col­loque sur la coopé­ra­tion médi­ter­ra­néenne. L’étudiant Palestinien, Basel Natsheh qui venait de prendre la parole avait été écou­té avec atten­tion. Puis ce fut le tour d’un étu­diant israé­lien, Miki Malul, doc­to­rant à l’université Ben Gourion. Il expli­quait comme son col­lègue Palestinien qu’ils étaient ensemble à Aix pour un sémi­naire, Unimed Forum et que cette ren­contre per­met­trait cer­tai­ne­ment de pré­pa­rer l’avenir. Séquence émo­tion ! Le matin la radio avait annon­cé de nou­veaux atten­tats, de nou­velles des­truc­tions, de nou­veaux accro­chages, mais ces deux-là était à Aix pour pré­pa­rer l’avenir. Entre les deux étu­diants, leur prof, celui par qui l’im­pos­sible ren­contre arrive. Gilbert Benayoun.
Dans l’Université Aix Marseille III, il a une place à part. Le Centre d’économie régio­nale qu’il dirige a ses bureaux entre ville et fac. Pas tout à fait dedans, pas tout à fait dehors. À 60 ans, ce spé­cia­liste de l’économie régio­nale et urbaine, des pays médi­ter­ra­néens, éco­no­miste de l’emploi et des salaires n’a plus à faire ses preuves. Ses livres s’alignent dans la biblio­thèque, du pavé savant aux Que sais-je sur “Les bas salaires en Europe”. Ses pairs, plus pas­sion­nés par les théo­ries libé­rales que par le déve­lop­pe­ment durable le res­pectent. Lui s’est enga­gé depuis les accords d’Oslo dans des échanges médi­ter­ra­néens qui lient son pays d’origine le Maroc, la région Paca et Israël.
‘“Ma per­son­na­li­té est consti­tuée de trois élé­ments, explique-t-il. Je me sens pro­fon­dé­ment fran­çais, c’est la République qui a fait d’un enfant d’ou­vrier maro­cain, mon père était relieur, un pro­fes­seur d’économie. Je me sens pro­fon­dé­ment arabe. Mes parents ne par­laient qu’arabe et même si mon père écri­vait avec des lettres hébraïques, c’était en arabe pho­né­tique, j’ai une sen­si­bi­li­té arabe et je me sens chez moi dans les pays arabes.
Et je suis pro­fon­dé­ment juif. Je suis fidèle à ma reli­gion juive tra­di­tion­nelle du Maroc, sans com­plexe et sans osten­ta­tion.“
Il par­tage et connaît bien cette spé­ci­fi­ci­té juive qui étonne le qui­dam. “Oui, nous vou­lons être comme les autres et mal­gré tout, dif­fé­rents des autres, avoue-t-il. Un juif doit en per­ma­nence jus­ti­fier son exis­tence.
J’adhère au judaïsme pour sa très grande richesse éthique et intel­lec­tuelle”. Jeune, il a par­ti­ci­pé à un groupe de réflexion avec des tal­mu­distes. Il a tra­vaillé sur les textes : “J’y ai appris que “le texte n’est qu’un pré­texte, dans un contexte”.
Né a Rabat, il débarque à Marseille à 20 ans et se retrouve d’emblée dans les quar­tiers nord pour ensei­gner à la Cabucelle. Parler arabe, tra­vailler au tour (il a un Cap de tour­neur) lui a faci­li­té les contacts avec des lycéens qui avaient à peu près son âge.
Cette mul­ti­cul­tu­ra­li­té de juif, maro­cain, mar­seillais va lui per­mettre de jouer un rôle inédit de média­tion entre Israéliens et Palestiniens. Au len­de­main des accords d’Oslo, avec le sou­tien du minis­tère des affaires étran­gères fran­çais, il monte une coopé­ra­tion tri­an­gu­laire, la pre­mière, entre Israël, la France et le Maroc. Puis, il s’at­tache à consti­tuer un réseau des doc­to­rants de la Méditerranée, le réseau Unimed Forum.
La pre­mière réunion a eu lieu à Aix en 1999. L’ambiance est éton­nante et les cli­vages ne sont pas ceux que l’on croit. Sous les lam­bris de la Faculté de droit, la fille d’un haut res­pon­sable du Fatah débat avec un doyen d’université israé­lien. Tout se passe bien et l’on se retrouve invi­tés à Gaza l’année sui­vante. C’était la pre­mière fois que des uni­ver­si­taires israé­liens entraient à l’Université de Gaza. “Ils ont eu droit à l’hymne pales­ti­nien, se sou­vient Gilbert Benayoun, mais tout s’est pas­sé cor­rec­te­ment, autant d’ailleurs autour des écrans de la coupe du monde de foot qu’autour des sujets uni­ver­si­taires“
Las, deux mois plus tard éclate l’Intifada. Le sémi­naire pré­vu cette fois en Israël se replie sur Aix, avec la par­ti­ci­pa­tion nou­velle des Marocains et des Tunisiens.
Et Gilbert Benayoun ne s’arrête pas là. Il est en train d’organiser un sémi­naire, avec des anciens négo­cia­teurs des accords d’Oslo, pour que le fil ne se rompe pas entre les deux peuples mal­gré les affron­te­ments san­glants. Le Centre Shimon Pérès pour la Paix, l’Aman cen­ter for peace and déve­lop­pe­ment de Jordanie, le doyen de l’université de Bir Zeit seront au rendez-vous. “Nous sommes peut-être plus près de la paix qu’on ne le croit, affirme-t-il autant pour se convaincre que pour ses inter­lo­cu­teurs. Et il cite Schopenhauer : “La réflexion pousse au pes­si­misme, l’action à l’optimisme”. Si Gilbert Benayoun recon­naît que tout est blo­qué aujourd’hui à cause des erreurs de “Clinton, Barak et Arafat”, il pense que ni Sharon, ni Arafat ne peuvent faire la paix. “Il n’y a plus la confiance, les Israéliens pensent que quand on a tout don­né et que l’autre en veut plus, il ne faut plus rien don­ner”.
Pour lui Oslo demeu­re­ra pour­tant la clef du pro­ces­sus. “Les Israéliens ne parlent plus d’un État d’Israël dans les fron­tières de Judée et de Samarie. Les Palestiniens ont accep­té l’idée d’un État juif à côté de la Palestine”.
La vraie ques­tion reconnaît-il, est celle de la créa­tion de l’État d’Israël. Imaginez une mai­son en feu. Un juif est à inté­rieur. Il n’y a qu’une issue, une fenêtre. Il saute… Et tombe sur un Palestinien. Est-il res­pon­sable des bles­sures du Palestinien ? “
“Il faut, plaide-t-il, un geste sym­bo­lique fort d’Israël, un geste qui touche les cœurs autant que la rai­son. Il faut trou­ver les mots pour deman­der aux Arabes d’accepter Israël dans la région, comme lorsque Sadate est venu devant la Knesset. Je suis per­sua­dé que le monde arabe est prêt à l’entendre. Il y a une tra­di­tion arabe qui veut que lorsqu’un crime a été com­mis les plus sages vont trou­ver la famille endeuillée. Ils demandent par­don et pro­posent répa­ra­tion. Cela per­met d’éviter le cycle des représailles.”

Christian Apothéloz