Article paru dans Echange, mensuel régional protestant.
Le colloque se tenait sagement à l’hôtel région à Marseille. Un colloque sur la coopération méditerranéenne. L’étudiant Palestinien, Basel Natsheh qui venait de prendre la parole avait été écouté avec attention. Puis ce fut le tour d’un étudiant israélien, Miki Malul, doctorant à l’université Ben Gourion. Il expliquait comme son collègue Palestinien qu’ils étaient ensemble à Aix pour un séminaire, Unimed Forum et que cette rencontre permettrait certainement de préparer l’avenir. Séquence émotion ! Le matin la radio avait annoncé de nouveaux attentats, de nouvelles destructions, de nouveaux accrochages, mais ces deux-là était à Aix pour préparer l’avenir. Entre les deux étudiants, leur prof, celui par qui l’impossible rencontre arrive. Gilbert Benayoun.
Dans l’Université Aix Marseille III, il a une place à part. Le Centre d’économie régionale qu’il dirige a ses bureaux entre ville et fac. Pas tout à fait dedans, pas tout à fait dehors. À 60 ans, ce spécialiste de l’économie régionale et urbaine, des pays méditerranéens, économiste de l’emploi et des salaires n’a plus à faire ses preuves. Ses livres s’alignent dans la bibliothèque, du pavé savant aux Que sais-je sur “Les bas salaires en Europe”. Ses pairs, plus passionnés par les théories libérales que par le développement durable le respectent. Lui s’est engagé depuis les accords d’Oslo dans des échanges méditerranéens qui lient son pays d’origine le Maroc, la région Paca et Israël.
‘“Ma personnalité est constituée de trois éléments, explique-t-il. Je me sens profondément français, c’est la République qui a fait d’un enfant d’ouvrier marocain, mon père était relieur, un professeur d’économie. Je me sens profondément arabe. Mes parents ne parlaient qu’arabe et même si mon père écrivait avec des lettres hébraïques, c’était en arabe phonétique, j’ai une sensibilité arabe et je me sens chez moi dans les pays arabes.
Et je suis profondément juif. Je suis fidèle à ma religion juive traditionnelle du Maroc, sans complexe et sans ostentation.“
Il partage et connaît bien cette spécificité juive qui étonne le quidam. “Oui, nous voulons être comme les autres et malgré tout, différents des autres, avoue-t-il. Un juif doit en permanence justifier son existence.
J’adhère au judaïsme pour sa très grande richesse éthique et intellectuelle”. Jeune, il a participé à un groupe de réflexion avec des talmudistes. Il a travaillé sur les textes : “J’y ai appris que “le texte n’est qu’un prétexte, dans un contexte”.
Né a Rabat, il débarque à Marseille à 20 ans et se retrouve d’emblée dans les quartiers nord pour enseigner à la Cabucelle. Parler arabe, travailler au tour (il a un Cap de tourneur) lui a facilité les contacts avec des lycéens qui avaient à peu près son âge.
Cette multiculturalité de juif, marocain, marseillais va lui permettre de jouer un rôle inédit de médiation entre Israéliens et Palestiniens. Au lendemain des accords d’Oslo, avec le soutien du ministère des affaires étrangères français, il monte une coopération triangulaire, la première, entre Israël, la France et le Maroc. Puis, il s’attache à constituer un réseau des doctorants de la Méditerranée, le réseau Unimed Forum.
La première réunion a eu lieu à Aix en 1999. L’ambiance est étonnante et les clivages ne sont pas ceux que l’on croit. Sous les lambris de la Faculté de droit, la fille d’un haut responsable du Fatah débat avec un doyen d’université israélien. Tout se passe bien et l’on se retrouve invités à Gaza l’année suivante. C’était la première fois que des universitaires israéliens entraient à l’Université de Gaza. “Ils ont eu droit à l’hymne palestinien, se souvient Gilbert Benayoun, mais tout s’est passé correctement, autant d’ailleurs autour des écrans de la coupe du monde de foot qu’autour des sujets universitaires“
Las, deux mois plus tard éclate l’Intifada. Le séminaire prévu cette fois en Israël se replie sur Aix, avec la participation nouvelle des Marocains et des Tunisiens.
Et Gilbert Benayoun ne s’arrête pas là. Il est en train d’organiser un séminaire, avec des anciens négociateurs des accords d’Oslo, pour que le fil ne se rompe pas entre les deux peuples malgré les affrontements sanglants. Le Centre Shimon Pérès pour la Paix, l’Aman center for peace and développement de Jordanie, le doyen de l’université de Bir Zeit seront au rendez-vous. “Nous sommes peut-être plus près de la paix qu’on ne le croit, affirme-t-il autant pour se convaincre que pour ses interlocuteurs. Et il cite Schopenhauer : “La réflexion pousse au pessimisme, l’action à l’optimisme”. Si Gilbert Benayoun reconnaît que tout est bloqué aujourd’hui à cause des erreurs de “Clinton, Barak et Arafat”, il pense que ni Sharon, ni Arafat ne peuvent faire la paix. “Il n’y a plus la confiance, les Israéliens pensent que quand on a tout donné et que l’autre en veut plus, il ne faut plus rien donner”.
Pour lui Oslo demeurera pourtant la clef du processus. “Les Israéliens ne parlent plus d’un État d’Israël dans les frontières de Judée et de Samarie. Les Palestiniens ont accepté l’idée d’un État juif à côté de la Palestine”.
La vraie question reconnaît-il, est celle de la création de l’État d’Israël. Imaginez une maison en feu. Un juif est à intérieur. Il n’y a qu’une issue, une fenêtre. Il saute… Et tombe sur un Palestinien. Est-il responsable des blessures du Palestinien ? “
“Il faut, plaide-t-il, un geste symbolique fort d’Israël, un geste qui touche les cœurs autant que la raison. Il faut trouver les mots pour demander aux Arabes d’accepter Israël dans la région, comme lorsque Sadate est venu devant la Knesset. Je suis persuadé que le monde arabe est prêt à l’entendre. Il y a une tradition arabe qui veut que lorsqu’un crime a été commis les plus sages vont trouver la famille endeuillée. Ils demandent pardon et proposent réparation. Cela permet d’éviter le cycle des représailles.”
Christian Apothéloz